CHRONIQUE. Attal-Bardella : le débat de la discorde ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 19 mai : le grand débat entre Jordan Bardella et Gabriel Attal, qui aura lieu jeudi prochain sur France 2 et qui promet d’être un temps fort de cette campagne européenne.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Jordan Bardella, président du RN, et Gabriel Attal, Premier ministre, débattront le 23 mai sur France 2 (JOEL SAGET / AFP)

Le choc annoncé aura donc bien lieu ! Deux figures montantes de la politique. Jeunes, mais déjà sur le devant de la piste. L’un est Premier ministre, l'autre ne cache pas son ambition de le devenir. Tout est réuni pour faire, en effet, de ce débat un point d’orgue de la campagne. C’est d’ailleurs le président de la République lui-même qui en est à l’initiative : début mai, il a demandé à Gabriel Attal de s’impliquer davantage dans la campagne.

D’un point de vue tactique, pour Gabriel Attal et Jordan Bardella, c’est un débat gagnant-gagnant. Gagnant pour Gabriel Attal : s’il parvient à mettre en difficulté le président du Rassemblement national, alors que rien ne semble jusqu’alors pouvoir enrayer sa campagne, il ne pourra qu’en sortir renforcé. Gagnant aussi pour Jordan Bardella, qui décroche l’occasion de débattre avec le Premier ministre. Or, n’oubliez pas cette règle rhétorique : celui avec lequel on débat, c’est celui que l’on reconnaît comme son égal. Pour peu que la soirée ne vire pas à la débâcle, Jordan Bardella ressortira donc de ce débat grandi, car légitimé dans sa prétention à accéder un jour à Matignon. Enfin, disons-le : gagnant également pour les téléspectatrices et les téléspectateurs, qui se révèlent souvent friands de ces grandes confrontations.

L'extrême droite légitimée ?

Cette soirée pourrait bien avoir, sur notre vie politique, des répercussions importantes. Ce que traduit l’organisation de ce débat, du point de vue du parti présidentiel, c’est une stratégie claire : réactiver le clivage entre ceux qu’ils appelles les "nationalistes" d’une part, et les "progressistes", c’est-à-dire eux-mêmes, d’autre part. Le calcul, c’est de se dire que dans un tête-à-tête avec l’extrême droite, ils ne peuvent qu’être victorieux.

À court terme, c’est déjà discutable. Cela n’avait pas marché aux européennes de 2019, où la liste emmenée par Nathalie Loiseau était arrivée derrière celle de Jordan Bardella. Aujourd’hui, si l’on en croit les intentions de vote qui donnent la liste RN très nettement en tête, le calcul parait encore plus incertain. Sauf, bien sûr, à parier sur un débat aussi victorieux pour Gabriel Attal que l’avaient été ceux d’Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. À long terme, la conséquence de cette stratégie, c’est d’installer l’idée que la seule véritable opposition – et donc, la seule véritable alternative – au macronisme, c’est l’extrême droite. Implicitement, cela vient donner de la crédibilité et de la légitimité aux discours du Rassemblement national et de Reconquête !, qui ne disent pas autre chose.

Dans cette campagne pour les élections européennes, aucune autre tête de liste n’aura le privilège de débattre avec le Premier ministre. Et même au-delà. Ni François-Xavier Bellamy, ni Raphaël Glucksmann, ni Manon Aubry, ni Marie Toussaint n’ont eu l’opportunité d’affronter en duel Valérie Hayer, la tête de liste du parti présidentiel. En revanche, elle a accepté de débattre avec Jordan Bardella. Elle a même accepté de débattre avec Marion Maréchal, dans l’objectif assumé de faire monter la liste Reconquête !, pour tenter d’atténuer un peu le succès de la liste Rassemblement national. Et tant pis si, dans l’opération, le parti d’Éric Zemmour y gagne un regain de légitimité. En d’autres termes, non seulement le parti présidentiel utilise la distribution de ses débats pour distordre la campagne européenne, mais de surcroît il le fait au profit de l’extrême-droite, qu’ils prétend pourtant combattre.

Distorsion de la campagne, distorsion du débat public

Le parti présidentiel n’est pas le seul à utiliser la distribution de sa parole comme une arme électorale. Jordan Bardella lui-même, rappelez-vous, s’était permis de snober les quatre premiers grands débats aux élections européennes, sous prétexte qu’ils n’étaient pas de son niveau. Et c’est là que l’on se rend compte qu’il y a également une responsabilité médiatique dans cette distorsion du débat public. Autrefois, les campagnes étaient structurées en quelques grandes soirées de débat, qui s’attachaient à traiter chaque liste ou candidat avec une certaine équité.

Depuis la dernière présidentielle, entre la démultiplication des canaux de diffusion et le morcellement du champ politique, chacun fait ce qu’il veut. Les chaînes organisent chacune leurs duels ou leurs débats, avec certains candidats, ou avec tous, en fonction parfois, de toute évidence, de logiques d’audience. Les responsables politiques choisissent où ils veulent bien se rendre, avec qui ils veulent bien débattre, en fonction, toujours, de leur intérêt électoral. Les règles du débat démocratiques sont en train de ployer sous la logique du marché médiatique. Avec, dans tout cela, me semble-t-il un grand perdant : le peuple français, qui doit désormais se forger son jugement au cours d’une campagne inéquitablement structurée.

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