En Russie, la chanteuse féministe choisie pour l'Eurovision bouscule nationalistes et conservateurs
Manizha va représenter la Russie au traditionnel concours de chanson. Ses origines tadjikes, mais également ses engagements féministes font de ce choix une surprise.
En Russie, le choix de l'interprète et de la chanson qui représentent le pays à l'Eurovision 2021 est surprenant dans le contexte social actuel. Russian Woman évoque l’évolution des femmes russes à travers les décennies, depuis leur condition de paysannes et d’ouvrières, jusqu’à la place fièrement occupée aujourd’hui, par exemple dans la conquête spatiale. Jusqu’ici rien de problématique, mais là où les choses se compliquent, c’est lorsque l’on apprend que la chanteuse, Manizha Sangin, 30 ans, n’est pas seulement russe, mais aussi tadjike. Et surtout qu’elle s’affiche ouvertement féministe.
La première surprise a été de constater que Manizha Sangin est sortie victorieuse à l’issue d’un vote du public organisé sur une chaine fédérale proche du pouvoir, Pervyi Kanal. Alors bien sûr, la lutte a été serrée, l’écart avec le concurrent le plus proche n’est que de deux points, 35% contre 33%. Mais tout de même, ce choix à contre-courant a de quoi étonner. Manizha Sangin ne cache pas ses origines tadjikes, tout en revendiquant sa culture russe, un contrepoids insuffisant aux yeux des nationalistes.
Mais surtout, c’est une artiste engagée, qui défend aussi bien les femmes battues que les homosexuels, dans un pays où, majoritairement, ces causes, au mieux n’ont pas droit de cité, au pire font l’objet de restrictions légales sévères. En clair, un double positionnement et un choix qui vont à l’encontre des tendances conservatrices actuelles en Russie.
Depuis, les critiques ne manquent pas. Le spécialiste du genre, qui ne pouvait pas rater une telle occasion, c’est bien sûr l’ultra-conservateur Vladimir Jirinovski. Le leader du parti "libéral démocratique" dénonce le manque d’exemplarité de la chanson, notamment lorsque Manizha Sangin évoque les jeunes femmes russes de 30 ans qui n’ont pas d’enfants, un sacrilège selon lui. Le pire, pour les courants ultra-conservateurs et nationalistes, serait évidemment que la chanteuse russo-tadjike soit sacrée le 22 mai à Rotterdam.
Pour la petite histoire, l’autoritaire voisin bélarusse, lui, n’a pas pris de risque, en proposant comme représentant à l’Eurovision un candidat dont la chanson consiste, tout simplement, à tourner en dérision les centaines de milliers de manifestants qui dénoncent la réélection frauduleuse d’Alexandre Loukachenko. Comme affichage politique, on peut difficilement faire plus clair.
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