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À la foire d’art contemporain de Madrid, une galerie sommée de retirer des photos jugées trop politiques

Arco, grand événement culturel madrilène, s’est clôturé dimanche, entaché d’une polémique après qu’une galerie a dû retirer une série de photos de Santiago Sierra, "jugées trop politiques".

Article rédigé par franceinfo, Mathieu de Taillac
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Une des photographies de Santiago Sierra, le 21 février 2018, à Madrid. (GABRIEL BOUYS / AFP)

Arco, la grande foire d’art contemporain de Madrid, s’est clôturée dimanche 25 février dans la soirée au grand soulagement de ses organisateurs. Car le grand événement culturel a été entaché par une polémique. Certains y verront un grand classique de l’art contemporain, sauf que, cette fois-ci, la controverse vient de l’organisation elle-même, puisque ce sont les gérants du salon d’exposition où a lieu Arco qui ont demandé à une galerie de retirer l’œuvre d’un artiste qu’elle exposait. Trop politiques, ces photos risquaient d’éclipser le reste des œuvres…

Deux portraits d’indépendantistes actuellement détenus

Jugée "trop politique", l’œuvre de Santiago Sierra qui a été retirée s’appelait “Prisonniers politiques dans l’Espagne contemporaine” et était liée au conflit indépendantiste catalan. Il s’agit de 24 portraits photographiques, en noir et blanc, alignés les uns à côté des autres. Les visages ont été pixellisés, mais on devine de qui l’on parle. Notamment parce que ces photos sont accompagnées de légendes détaillés qui décrivent pourquoi ces personnes sont en prison. On y trouve beaucoup d’activistes de gauche, condamnés parfois pour des altercations, parfois pour apologie du terrorisme. Parmi elles, deux portraits de dirigeants indépendantistes catalans actuellement placés en détention provisoire. Vu l’ambiance actuelle en Espagne, qualifier ces dirigeants de prisonniers politiques, c’est remettre en cause le gouvernement et la justice espagnoles. Et in fine, provoquer le scandale : c’est probablement cette raison qui a poussé le président de l’Ifema, le palais des expositions ou a lieu Arco, de demander à la galerie de décrocher les photos.

Dès lors, le soupçon de la censure pointe : le mot a ainsi surgi dès que la décision de retirer les cadres a été connue. Il sera dans les éditoriaux des journaux et aux journaux télévisés. Il faut dire que c’est la toute première fois, 36 ans après la naissance d’Arco, qu’une œuvre est ainsi retirée. Le plus inconcevable, peut-être, est la justification de la décision : Ifema indique que la polémique aurait risqué d’éclipser les autres oeuvres de la foire, décuplant ainsi la polémique. Comme si, au fond, la foire donnait raison à l’artiste. Un critique d’art, Fernando Castro Florez, confiait ainsi qu’on pouvait trouver là un splendide syllogisme : “L’artiste dénonce que la liberté d’expression est menacée en Espagne. Or l’Espagne censure l’artiste. Donc la liberté d’expression est bel et bien menacée en Espagne.”

En quelques jours, d’autres affaires

L’affaire en évoque d’autres, quoique différentes, qui font parler en ce moment de la liberté d’expression et de création en Espagne. Mardi dernier, un rappeur était condamné à trois ans et demi de prison ferme pour le texte de ses chansons. Outre des insultes contre le roi, il y proférait des menaces de mort contre des politiques et se livrait à une apologie du terrorisme d’ETA. Mercredi encore, un tribunal local a exigé de retirer de la vente Fariña, une enquête journalistique sur le trafic de drogue : un ancien maire d’une commune de Galice considérait que son honneur y était attaqué et a obtenu le retrait de l’ouvrage des librairies. En quelques jours, cela peut faire réfléchir sur la très grande susceptibilité de certains en Espagne et sur la sévérité du Code pénal. On pourra néanmoins se réjouir que grâce aux provocations des artistes, le débat reste bien vivant en Espagne.

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