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"Cette chambre disciplinaire a été créée pour faire taire les juges" : en Pologne, le parti au pouvoir prend progressivement le contrôle de l’appareil judiciaire

Alors que le gouvernement polonais est suspecté de violation de l'État de droit par l'Union européenne, il continue de réformer la justice avec des décisions très controversées dans le pays.

Article rédigé par franceinfo - Thomas Giraudeau
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
Des personnes munies d'un livret constitutionnel et portant un gant aux couleurs de la Pologne manifestent en soutien des juges de la Cour suprême devant le palais présidentiel à Varsovie, le 3 juillet 2018. (JANEK SKARZYNSKI / AFP)

Jeudi 20 décembre, cela fera un an que la Pologne est sous le coup de l’article 7 du traité de l’Union européenne. C’est le premier État membre à se voir appliquer cette menace. Le gouvernement actuel à Varsovie est suspecté de violation de l’État de droit avec ses réformes très controversées de la justice. Le PiS, le parti au pouvoir, prend progressivement le contrôle de l’appareil judiciaire polonais.

Récemment, le PiS est revenu en arrière sur la Cour suprême, en permettant aux juges mis à la retraite de retourner à leur poste. Mais les tribunaux "ordinaires" sont eux, toujours plus sous pression du pouvoir politique. Si des juges s’expriment publiquement contre les réformes de la justice, c’est à leurs risques et périls.

J’ai reçu des menaces par téléphone, par mail. On a crevé les pneus de ma voiture.

Waldemar Zurek
juge à Cracovie

à franceinfo

Un homme a particulièrement subi les attaques du pouvoir. Il s'agit de Waldemar Zurek. Depuis deux ans, ce juge à Cracovie critique ouvertement les réformes, porte parfois des t-shirts contestataires, participe à des conférences sur le musèlement de la justice. Depuis, il a été transféré dans une autre juridiction, mais il a également subi d'autres pressions. "Le compte en banque de ma femme a été contrôlé, le mien aussi sur les cinq dernières années. On a jeté des œufs sur la maison de mes parents. C'est vraiment difficile à vivre. Mes parents, mes enfants, ma femme sont très inquiets", raconte-il.

D’autres magistrats subissent aussi des pressions, comme l'explique le président de l’association des juges polonais : "Le pouvoir est allé encore plus loin ces derniers mois, il a créé une chambre disciplinaire destinée à sanctionner les juges un peu trop critiques." Elle a été créée en septembre au sein de la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays. Dans cette chambre siègent dix juges désignés par le ministre de la Justice. Elle va débuter dans très peu de temps ses premières audiences contre les magistrats qui sont sous le coup de procédures disciplinaires.

Les juges condamnés peuvent être virés de la magistrature, suspendus, ou bien devoir payer des amendes.

Sylwia Gregorczyk-Abram
avocate de Waldemar Zurek

à franceinfo

"Cette chambre disciplinaire a uniquement été créée pour faire taire les juges, les empêcher de parler de ce qu’il se passe ici en Pologne", estime Sylwia Gregorczyk-Abram. L'avocate de Waldemar Zurek "espère que cela ne fonctionnera pas", car en Pologne, il y a "beaucoup de juges très courageux". Toutefois, elle reconnaît que cela "est vraiment une menace pour ceux qui sont dans des petites villes, qui ont une famille, des crédits. Peut-être qu’ils seront contraints de rendre des jugements favorables au pouvoir politique et pas à la société".

Ces magistrats espèrent encore que l'Europe peut les aider. Ils ne comptent pas sur la procédure de l’article 7 lancé par la Commission européenne, car il faut l’unanimité des États membres pour sanctionner la Pologne dans ce cadre. Certains, la Hongrie par exemple, mettront leur veto. En revanche, ils espèrent que la Cour de justice de l’Union leur viendra en aide. Dans trois mois, à la mi-mars, elle doit notamment se pencher sur le cas de cette chambre disciplinaire. Elle pourrait condamner le pays à payer de très fortes amendes.

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