Une planète autour de l'étoile Alpha Centauri
Il y a une planète autour de l'étoile Alpha Centauri ! Cette découverte réalisée par une équipe européenne, essentiellement suisse, frappera tous les lecteurs qui ont une certaine culture du ciel... Alpha Centauri, ou Alpha du Centaure, "l'étoile la plus proche de la Terre", Alpha du Centaure, cousine du Soleil, Alpha du Centaure, quatrième plus brillante étoile du ciel, Alpha du Centaure, si souvent citée par les écrivains de SF, de Philip K. Dick à Isaac Asimov, Alpha du Centaure, enfin, objectif fantasmé de futurs, et bien hypothétiques, long-courriers interstellaires.
Désormais, en contemplant cette étoile magnifique, sertie dans l'une des régions les plus belles de la Voie lactée, nous pourrons rêver aux rivages d'un autre monde, même si, hélas, la belle constellation du Centaure et sa magnifique voisine, la Croix du Sud, ne sont visibles que depuis l'hémisphère austral. Dans le communiqué de presse annonçant leur découverte, les astronomes de l'Université de Genève et leurs collaborateurs européens (Xavier Dumusque, Francesco Pepe, Christophe Lovis, Damien Ségransan, Johannes Sahlmann, Willy Benz, François Bouchy, Michel Mayor, Didier Queloz, Nuno Santos et Stéphane Udry ) n'ont pas résisté à la tentation de jouer avec la mythologie d'Alpha du Centaure, en affirmant non sans humour avoir trouvé une "Pandora" autour de l'étoile Pandora ? Oui, bien sûr, la planète luxuriante du film de James Cameron. Avant d'analyser les bonnes et moins bonnes raisons qui expliquent l'enthousiasme de la communauté astronomique pour cette découverte, dressons le portrait de cette nouvelle exoplanète, la plus proche jamais trouvée.
D'abord le célèbre système d'étoiles où elle a été découverte : Alpha Centauri , comme son nom ne l'indique pas, est une étoile triple. Si à l'oeil nu, l'astre, à la couleur jaune soutenue, est bien seul dans le ciel, un simple télescope d'amateur révèle sa duplicité. Deux étoiles, presque aussi lumineuses l'une que l'autre, se tournent autour, en quatre-vingts ans. Elles s'approchent jusqu'à 1,7 milliard de kilomètres l'une de l'autre, et s'éloignent jusqu'à 5,3 milliards de kilomètres. Alpha Centauri A et B sont des sœurs presque jumelles du Soleil, la première est à peine plus grande, plus massive et plus brillante que notre propre étoile. Alpha Centauri B est à peine moins grande et massive que le Soleil, et tout juste deux fois moins lumineuse que lui. Une troisième étoile, bien plus discrète, navigue à grande distance du couple stellaire : c'est Proxima Centauri , une étoile naine rouge célébrissime pour être l'étoile la plus proche de nous, à 4,22 années-lumière seulement. Alpha Centauri A et B sont à peine plus distantes : 4,36 années-lumière. Bref, ce qui a rendu ce trio stellaire si célèbre et si fascinant, c'est qu'il est le système d'étoiles le plus proche du Soleil.
C'est autour de Alpha Centauri B que la nouvelle exoplanète a été trouvée. Mais d'abord, une précision s'impose : les astronomes n'ont pas vu directement leur "Pandora", ni n'ont perçu son passage en ombre chinoise devant son étoile. La découverte a été réalisée avec le spectrographe Harps, équipant le télescope de 3,6 m de diamètre de l'observatoire de La Silla, au Chili. Ce télescope a été mobilisé environ deux cents heures, distribuées sur quatre cents nuits, pour mesurer précisément la vitesse radiale d'Alpha Centauri A et B. C'est dans ces mesures spectroscopiques qu'a été détecté le très léger " balancement " de Alpha Centauri B sur son orbite, un va et vient interprété comme la réponse gravitationnelle de l'étoile à la présence autour d'elle d'une planète d'un peu plus de une masse terrestre. Une "Terre", autour d'un " Soleil " le Graal recherché par les astronomes, une planète accueillante, habitable, habitée, peut-être ?
Oui, enfin, non, pas vraiment. Car la "Pandora" suisse tourne en trois jours, à une distance de six millions de kilomètres de son étoile. En clair, elle est perpétuellement brûlée par Alpha Centauri B, située vingt cinq fois plus près d'elle que le Soleil de la Terre ! La température à la surface de cet astre dépasse largement 1000 °C. Il n'empêche, la découverte de cette planète – Alpha Centauri B b – est symboliquement très importante. D'abord, c'est la première fois qu'une planète de même masse que la Terre est trouvée. Ensuite, sa proximité même signifie statistiquement, si l'on en doutait encore, que les planètes sont des sous-produits naturels de la formation des étoiles : il existe probablement mille milliards de planètes dans notre galaxie. Sa présence autour d'Alpha Centauri B, surtout, promet, peut-être, la découverte d'autres planètes dans le système d'étoiles le plus proche de la Terre, des planètes dont la période de révolution se compterait en mois, ou en années, et qui auraient donc échappé jusqu'ici à Harps.
Mais revenons à la découverte d'aujourd'hui, Alpha Centauri B b. Peut-on espérer autre chose de la proximité d'Alpha Centauri, en terme d'observations, voire d'exploration future ? Oui et non, parce que cette proximité est toute relative. 4,36 années-lumière, cela représente très exactement 41 250 milliards de kilomètres. C'est, en chiffres ronds, quatre cent mille fois la distance moyenne de la Terre à Mars. Pour réussir à voir directement une exoplanète à une telle distance, à la photographier, il faudrait aux astronomes un télescope optique ou infrarouge spatial d'une dizaine ou d'une douzaine de mètres, doté d'un système optique spécial, très sophistiqué, afin d'éclipser sa trop brillante étoile. Imaginer un tel engin est envisageable, des télescopes, ou des interféromètres spatiaux d'une telle taille, dédiés à l'observation des exoplanètes, sont à l'étude ; on pourrait imaginer voir de tels systèmes en orbite entre 2030 et 2050. Mais avec des télescopes de cette taille, Alpha Centauri B b, ou ses hypothétiques voisines, n'apparaîtront toujours que comme des points, sans aucun détail : un point rouge pour Alpha Centauri B b, un point bleu pour une hypothétique "planète océan", un point vert, comme il se doit, pour une planète regorgeant de vie. Et pour contempler réellement ces exoplanètes, comme on observe celles du système solaire, en détaillant leur surface ? Là, les choses se compliquent, puisqu'il faudrait utiliser des télescopes (des interféromètres infrarouges, plus exactement) de plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre. De tels systèmes dépassent les possibilités techniques et les budgets actuels. Ils seront peut-être disponibles dans quelques décennies, qui sait.
Reste bien sûr une solution radicale : aller voir sur place, envoyer une sonde dans le système d'Alpha Centauri. Quelques ingénieurs et scientifiques en rêvent depuis un demi-siècle. Plusieurs équipes se sont même amusées – mais très sérieusement – à concevoir des vaisseaux spatiaux capables d'atteindre les étoiles, et donc, a fortiori, la plus proche d'entre elles. Mais pas question d'aller voir à quoi ressemble Alpha Centauri B b avec une sonde comme Voyager 1, qui a atteint la distance record de 18 milliards de kilomètres en 35 ans ! Non, à ce rythme, il faudrait quelques soixante quinze mille ans à une sonde pour atteindre l'étoile la plus proche du Soleil !
Inspirés par les récits de SF les plus échevelés et émerveillés par les progrès techniques prodigieux qu'avait permis la Seconde Guerre Mondiale, des ingénieurs anglo-saxons ont donc étudié, depuis les années 1950, trois grands projets de vaisseaux interstellaires, Orion, Deadalus et Longshot, basés sur une propulsion nucléaire plutôt que chimique. Ces engins, propulsés par des bombes atomiques ou par des réacteurs à fusion nucléaire utilisant de l'hélium-3 comme combustible (combustible qu'ils se proposaient d'aller puiser dans les nuages de Jupiter) étaient à minima farfelus, au mieux utopiques et auraient mis Alpha Centauri à un siècle de voyage environ. Mais le fantasme du voyage interstellaire a la vie dure : en 2009, une association "à but non lucratif" s'est créée pour promouvoir un nouveau paquebot interstellaire : Icarus. Ses concepteurs ne savent pas encore à quoi il ressemblera ni quand il s'envolera, ni d'ailleurs vers quelle "Pandora" luxuriante il se dirigera, mais leur site internet Icarus Interstellar, propose d'ores et déjà aux amateurs passionnés et patients d'effectuer une donation, on peut rêver des étoiles et avoir les pieds solidement ancrés sur Terre.
Les photographies de l'observatoire de La Silla et du télescope de 3,6 m de diamètre équipé du spectrographe Harps sont visibles sur le site du magazine Science & Vie.
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