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La plus vieille étoile de l'Univers ?

Une équipe d'astronomes européens vient de découvrir dans la constellation du Lion l'une des étoiles les plus vieilles de notre galaxie, la Voie lactée.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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C'est l'un des rêves des astronomes de ce début de troisième millénaire, et ce rêve pourrait bien se réaliser pour la génération de chercheurs actuelle, ou alors la prochaine, ou bien la suivante, qui scrutera le ciel reflété par les miroirs géants des télescopes des décennies 2030-2050... Voir la première étoile de l'Univers. Quand s'est-elle allumée, et comment ? La question se pose depuis près d'un siècle, depuis que, grâce aux travaux théoriques d'Einstein, de Lemaître et grâce aux observations de Hubble, on sait que l'Univers n'a pas toujours été tel qu'il est aujourd'hui, que le ciel actuel est le fruit d'une histoire, d'une évolution, débutée voici 13,7 milliards d'années et des poussières, au moment du big bang. A cette époque, qui marque l'origine de notre univers, si ce n'est l'origine de l'Univers en soi, le cosmos entier était un brouillard homogène et brûlant, constitué de près de 75 % d'hydrogène et de 25 % d'hélium, plus quelques traces de lithium : bref, l'Univers c'était du gaz chaud.
Très chaud (des milliards de milliards de milliards etc. de degrés) au moment même du big bang, si cette expression a un sens, moins chaud (trois mille degrés environ) 380 000 ans plus tard, pour cause d'expansion universelle – l'expansion de l'Univers est inscrite dans les gènes de l'Univers, d'après les cosmologistes – et franchement froid 100 millions d'années après le big bang. C'est à cette époque là que se cache, nimbée de voiles d'hydrogène, la toute première génération d'étoiles... La Nature a offert aux astronomes un outil puissant pour la trouver : la vitesse finie de la lumière, qui permet, à raison de 300 000 kilomètres toutes les secondes, de remonter toujours plus loin dans le temps lorsqu'on regarde plus loin dans l'espace. Mutine, elle a aussi fait en sorte que ce ne soit pas simple du tout, que d'aller contempler l'origine du monde : dans le cosmos relativiste qui est le nôtre, plus on s'approche du big bang, véritable horizon phénoménologique, plus son image nous fuit.
Ainsi, en principe, avec un télescope suffisamment puissant, il serait possible d'observer aujourd'hui en quelque sorte « en direct », la naissance de la toute première génération d'étoiles. Si ce télescope n'existe pas encore – il devrait mesurer environ 100 mètres de diamètre, pour fixer les idées – les astronomes disposent dès aujourd'hui de l'arsenal théorique pour imaginer ce qui s'est passé à ce moment là. C'était il y a environ 13,5 milliards d'années, soit environ deux cents millions d'années après le big bang. Le « gaz univers » refroidi – il régnait alors une température de l'ordre de -240 degrés dans le cosmos – et très dilué a commencé, sous l'effet de la gravitation, à se condenser en nuages de plus en plus denses et chauds. On ne connait pas encore la taille de ces premières structures cosmiques, on ne sait pas si l'Univers a commencé à se structurer en petits objets, des protos amas, ou en grands objets, des proto galaxies, ou même des proto amas de galaxies, voire tout en même temps, mais dans ces nuages de gaz, les premières étoiles ont émergé. Au sein des nuages, des noyaux plus denses et chauds se sont effondrés sur eux-mêmes jusqu'à ce que leur température centrale atteigne le point d'ignition thermonucléaire. Une étoile c'est çà : une sphère de gaz, chauffée par son noyau thermonucléaire.
Voilà pour les grandes lignes. L'ennui, c'est que cette belle fresque théorique souffre de nombreux angles morts. En particulier, les astronomes ont réalisé qu'il est très difficile, dans les conditions de l'Univers primordial, de fabriquer des étoiles ! On l'a vu plus haut, l'Univers, à l'époque, c'est 75 % d'hydrogène pour 25 % d'hélium. Or ce mélange n'est pas favorable à la formation d'étoiles... Un nuage gazeux ainsi constitué, en se condensant, chauffe énormément, et sa température stoppe son effondrement. D'après les modèles théoriques, seules des étoiles supergéantes ont pu se former dans les conditions initiales, des astres peut-être deux cent fois plus massifs que le Soleil, voire beaucoup plus encore... De telles étoiles, on connaît leur comportement : quoique rarissimes, car éphémères, elles brillent comme un million de Soleil pendant un million d'années puis explosent brutalement. Cependant, durant leur courte existence, elles ont synthétisé, dans leurs puissantes forges nucléaires, des atomes plus lourds et complexes que l'hydrogène et l'hélium primordiaux : de l'oxygène, du carbone, de l'azote, du calcium, du potassium, du magnésium, du silicium, du fer, de l'or, bref la centaine d'atomes du tableau périodique des éléments. Jusqu'ici, les chercheurs supposaient que, une fois passée la première flambée d'étoiles supergéantes, une seconde génération d'étoiles s'étaient formée, toujours à partir du gaz primordial, mais, et c'est décisif, ce gaz s'était enrichi des éléments lourds rejetés dans l'espace par la première étoile et ses nombreuses sœurs jumelles... Or ce gaz enrichi d'éléments lourds est bien plus efficace pour condenser des étoiles, car les éléments lourds ont tendance à empêcher le chauffage de la nébuleuse et donc permettent son effondrement plus rapide. Au fil du temps, les premières étoiles de petite taille, riches en éléments lourds, auraient commencé à ensemencer l'Univers...
Pour fixer les idées, notons en passant que notre propre étoile, le Soleil, a une composition de 70 % d'hydrogène, 28 % d'hélium et 2 % d'éléments lourds.
De fait, il existe, pour les astronomes, deux axes de recherche possibles pour trouver les plus vieilles étoiles de l'Univers : d'abord, les chercher « sur place », à 13,5 milliards d'années-lumière de distance et les observer telles qu'elles étaient à l'époque. Ce sera peut-être bientôt envisageable : les étoiles primordiales, au moment de leur explosion, brillent entre un et dix milliards de fois plus que le Soleil : un télescope géant, tels le E-ELT ou le JWST, prévus pour la prochaine décennie, seront peut-être capables de les détecter. L'autre piste consiste à chercher ici et maintenant, dans la Voie lactée, de vieilles étoiles, nées il y a environ 13 milliards d'années, quelques dizaines ou centaines de millions d'années après la toute première génération stellaire.
C'est ce qu'a entrepris l'équipe de recherche eureupéenne de Elisabetta Caffau, et c'est le résultat de cette recherche qu'elle a publié dans la revue scientifique Nature, ce 1 septembre 2011. Elisabetta Caffau, Piercarlo Bonifacio, Patrick François, Luca Sbordone, Lorenzo Monaco, Monique Spite, François Spite, Hans Ludwig, Roger Cayrel, Simone Zaggia, François Hammer, Sofia Randich, Paolo Molaro et Vanessa Hill, ont observé avec le Very Large Telescope de l'ESO l'étoile SDSS J102915+172927. Cette très discrète étoile, un peu moins massive que le Soleil, se trouve à 4000 années-lumière d'ici, dans la constellation du Lion. Cet astre appartient à une liste de près de trois mille étoiles que l'équipe de Elisabetta Caffau soupçonne d'être très anciennes. C'est un spectre, obtenu avec le VLT, qui a permis de confirmer l'âge extraordinaire de SDSS J102915+172927 : environ 13 milliards d'années. Mais une surprise de taille attendait l'équipe européenne : d'après les données du VLT, cette petite étoile est composée à 75 % d'hydrogène et 25 % d'hélium, plus 0,00007 % d'atomes lourds ! En clair, la composition de l'Univers primordial... Or, d'un point de vue théorique, c'est en principe impossible, puisque seules des étoiles supergéantes – plusieurs centaines de fois plus massives que SDSS J102915+172927 ! - peuvent se former dans le gaz primordial. Ainsi, l'équipe de Elisabetta Caffau a mis la main sur une pépite : SDSS J102915+172927 est probablement l'une des plus vieilles étoiles de notre galaxie, la Voie lactée. Cet astre, extraordinairement vieux, aux caractéristiques inattendues, va obliger les théoriciens à revoir... leurs théories sur la genèse des premières étoiles. Si peu de chercheurs considèrent que SDSS J102915+172927 va bouleverser les scénarios cosmologiques actuels, il est néanmoins certain que la vénérable étoile – née plus de huit milliards d'années avant notre système solaire... - va être l'objet, dès que la constellation du Lion réapparaitra dans le ciel, à la fin de l'hiver 2012, de toute l'attention des astronomes.

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