"Droit à la paresse" : ce concept français d'inversion du rapport entre travail et temps libre, théorisé dès le XIX siècle

Alors que le Premier ministre vante la "valeur travail" pour sauver la France, parlant de "déverrouiller" l'économie, Paul Lafargue, défenseur de la classe ouvrière, exhortait, en 1880, les Français à cesser de considérer la paresse comme un vilain défaut.
Article rédigé par Marie Dupin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Paresser c’est aussi rêvasser, flâner, prendre le temps de vivre pour soi et non pour autrui. (photo d'illustration) (HENRIK SORENSEN / DIGITAL VISION)

Selon Gabriel Attal, lors de sa déclaration de politique générale du mardi 30 janvier, "personne ne revendique un droit à la paresse en France". Certes, peu nombreux sont ceux qui osent prendre la défense d'un tel droit, à part Sandrine Rousseau, qui n’a d’ailleurs pas hésité à se fendre, dans la foulée du discours, d’un tweet à propos de la paresse et de son "intérêt majeur pour penser l’avenir".

Mais au-delà de la députée écologiste, la France n’est-elle pas le berceau du droit à la paresse ? Le concept a été inventé en France par le gendre de Karl Marx, Paul Lafargue, dans un livre intitulé ainsi, publié en 1880. Ce défenseur de la classe ouvrière y appelait à renverser la question du rapport entre le travail et le temps libre. Il exhortait les lecteurs à cesser de considérer la paresse comme un vilain défaut mais plutôt comme un projet de vie politiquement subversif. La paresse comme "jouissance de soi", "une simplicité que l’âge adulte excelle à compliquer".

Le choix d'une vie plus contemplative, mais pas forcément inactive

Il y a quelques mois, le New York Times s’interrogeait à ce propos, en pleine révolte contre la réforme des retraites. Le journal se demandait si "les Français ne seraient pas des fainéants ?". Selon le quotidien new-yorkais, le goût des Français pour l’oisiveté relèverait d’une tradition philosophique. Si ce n'est du domaine du mythe, le New York Times rappelait que la productivité française au travail est supérieure à la moyenne.

C’est certain qu'il faut beaucoup d'ingéniosité pour toujours trouver la façon la moins fatigante d’accomplir une tâche. Pour la tradition philosophique, il faut remonter à Montaigne, qui fit le choix d’arrêter son travail de magistrat à 38 ans en 1570. Montaigne fit le choix de renoncer à la vie active pour une vie plus contemplative, ce qui lui donna le temps d’écrire ses Essais. La paresse n'est pas forcément synonyme d’inactivités, mais d’autres types d’activités.

Ne pas travailler ne veut pas forcément dire ne rien faire. Paresser c’est aussi rêvasser, flâner, prendre le temps de vivre pour soi et non pour autrui. Ne pas investir dans l’avenir mais investir son présent, car on ne sait pas de quoi demain sera fait. Encore faut-il pour cela avoir, comme Montaigne, le courage, mais aussi les moyens matériels de faire ce choix. Si la paresse n'est pas nécessairement un péché, elle est toujours un luxe. Alors peut-on vraiment dire comme Gabriel Attal qu'en France "personne en France ne revendique de droit à la paresse" ? Il serait plus juste de dire que peu nombreux sont ceux qui ont la chance de pouvoir s’arroger ce droit.

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