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Dans la peau de l'info. La probité

Tous les matins, Marie Dupin se glisse dans la peau d'une personnalité, d'un événement, d'un lieu ou d'un fait au cœur de l'actualité.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Sculpture de la justice (allégorie). (RELAXFOTO.DE / E+ / GETYY IMAGES)

Ce vendredi 28 octobre, je suis une qualité qui n'est pas sortie d'affaires. Je suis la probité, une qualité mal récompensée. Vous auriez aussi pu m’appeler droiture, honnêteté incorruptibilité ou intégrité… Je fais partie des valeurs placées en tête de gondole des priorités des Français dans les sondages d’opinion à chaque élection. Mes adversaires de toujours s’appellent corruption, prise illégale d’intérêts ou favoritisme. Les affaires comme on dit.

Et ce matin je me suis réveillée à cause d'un cauchemar. En France les atteintes à ma probité seraient en forte hausse. Plus qu'un cauchemar, puisque ce sont les statistiques officielles qui le disent, publiées par le ministère de l’Intérieur. + 28% d’infractions enregistrées entre 2016 et 2021, 800 rien que l’an dernier, contre un peu plus de 600 en 2016. Dans un tiers des cas, on parle d’affaires de corruption, et les mis en cause sont très majoritairement des hommes âgés de 45 à 54 ans, à 95% de nationalité française… des délinquants en col blanc qui ont tous une bonne raison de m’en vouloir.

Mais comment ça s'explique ? C'est toujours le problème avec les mauvais rêves, c'est un peu flou. Difficile de savoir s'il y a vraiment eu plus d’infractions ou si elles sont simplement mieux prises en compte. Ce qui est sûr c'est que ces dernières années ont prouvé que je n'étais pas sortie d'affaires. Avec deux présidents et deux anciens Premiers ministres condamnés par la justice, la France est-elle en train de s'habituer progressivement à vivre sans moi, la probité, au risque d'une défiance toujours plus grande envers le monde politique ?

Abus de confiance

Pourtant, après l'affaire Cahuzac, là encore un ancien ministre condamné, les choses avaient un peu changé : création d’un parquet national financier (PNF), d’une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et d’un Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF)... Mais depuis, on a un peu abusé de ma confiance. Alors que j’ai en partie permis à Emmanuel Macron de gagner sa première présidentielle face à un François Fillon dans la tourmente – "Le principal danger pour la démocratie ce sont les manquements à la probité", affirmait-il alors. Et c'était promis : tout ministre mis en examen devrait démissionner.

Mais cinq ans plus tard, alors qu’il est renvoyé devant la justice pour prise illégale d’intérêts, non seulement le ministre de la Justice n’a pas été écarté mais il a même été reconduit… Quant à la promesse de supprimer la juridiction d'exception qu'est la Cour de justice de la République (CJR), on n'en entend plus parler... Du coup j’ai un peu le sentiment de m’être faite escroquer.

Ce qui ne nous empêche pas de rêver. Alors que 2 000 citoyens supplémentaires sont venus en trois ans grossir les rangs de l’association Anticor qui lutte pour me défendre, je rêve toujours d’une France exemplaire, je rêve d'une France où la police judiciaire ne serait pas menacée..Je rêve d'une France qui ne se laisserait pas s'envoler chaque année plusieurs dizaines de milliards d'euros. Bref je rêve d'une France qui aurait vraiment le sens des affaires. Mais je crois que je vais aller me recoucher.


 
 
 

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