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Culture d'info. Mohamed El Khatib : "En France on est handicapé de l'altérité"

Le metteur en scène français d'origine marocaine, Mohamed El Khatib, reconnu dans le monde entier, commente les réformes sur l'immigration présentées cette semaine par Emmanuel Macron.

Article rédigé par franceinfo, Thierry Fiorile
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
L'auteur et réalisateur Mohamed El Khatib à Paris le 10 novembre 2016 (JACQUES DEMARTHON / AFP)

L'invité de Thierry Fiorile, c'est le metteur en scène Mohamed El-Khatib. Il réagit aux réformes de l'immigration annoncées par Emmanuel Macron. Français d'origine marocaine, qu'on peut présenter, entre guillemets, comme un modèle d'intégration, Mohamed El-Khatib montre ses pièces dans le monde entier, il dit son inquiétude. 

franceinfo : Que pensez-vous de ces nouvelles lois à venir sur l’immigration ? 

Mohamed El-Khatib : On est handicapé en France de l’hospitalité et de l’altérité, et comme on n’a pas d’idées, on accumule les lois. Ça relève d’une peur, je suis relativement inquiet de la banalisation, de la façon dont on rejette les musulmans par exemple sur l’affaire du voile. J’ai un enfant depuis pas très longtemps, j’ai presque honte, je me dis dans 20 ans elle va me dire : "mais qu’est-ce que vous avez fait, comment vous avez accueilli les immigrés, comment vous avez traité de la question des migrants ?"

Ce qui se passe en Europe est totalement honteux. On n’a jamais créé la surface de réparation, la première chose serait de reconnaître ce qui a été fait.

Le plus difficile, ce n’est pas tellement le colonialisme mais l’inconscient colonial qu’on continue à véhiculer aujourd’hui. Dans tous les secteurs, y compris le secteur culturel comme le théâtre ou le cinéma

Mohamed El-Khatib

Ça ne pourra se résoudre que lorsqu’il y aura une reconnaissance, de ce qui a  été fait, de ce qui a  été subi, et partant de cette reconnaissance, alors, on pourra recoller les morceaux et recréer un dialogue entre les peuples, mais là, pour commencer, il faut recréer un dialogue entre les français.  

Quand Emmanuel macron dit : ce ne sont pas les bourgeois qui vivent ces problèmes, c’est dans les quartiers populaires, vous qui êtes d’origine marocaine, comment le vivez-vous ?  

Je le reçois avec une extrême violence,  une violence tournée contre les classes populaires. Aujourd’hui, si vous êtes noir ou arabe, vous êtes un peu plus en danger que les autres citoyens. Vous vous retrouvez dans des zones périphériques et vous êtes physiquement en danger, quand on voit le traitement fait par la police…

Cette mise en danger n’est que la conséquence de 25 ans de politique totalement rétrograde à l’endroit des populations qu’on a fait venir en France, à une époque où on en avait besoin. Toutes les politiques récentes témoignent presque d’un mépris des classes populaires, et en plus, on essaie de les culpabiliser en leur disant vous êtes responsables de votre malheur. De ce point de vue là, on a manqué de courage, à commencer par la gauche, avant Emmanuel Macron, qui n’a fait qu’emboiter le pas de ses prédécesseurs.  

Parler d’immigration quand on voit le peu de personnes autorisées à s’installer en France, le problème ne serait-il pas celui des descendants de migrants ?  

La pensée qui devient dominante, c’est une pensée de le peur qui rejoint les thèses d’extrême droite. C’est cette banalisation qui m’inquiète et ça nous évite de poser la question de l’emploi. Ce qui se passe dans les banlieues, c’est d’abord parce que les gens n’ont pas à bouffer, ils n’ont pas de travail, c’est compliqué de rejoindre un lieu culturel, parce que vous êtes enclavé.

Quand on a de l’argent que fait-on ? On met ses enfants dans les écoles privées, on passe notre temps à parler de la mixité sociale, mais tout ce qu’on fait va à l’encontre de la mixité sociale. On doit chacun réfléchir à ça, mais c’est au gouvernement de mettre fin à cette politique de ségrégation. Moi qui suis laïque et athée, je combats les communautarismes. Ceux qui sont poussés vers les communautarismes, c’est qu’ils n’ont pas le choix. Dans le fond, ça nous va très bien, parce qu’on n’a pas envie de se mélanger.

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