Vêtements : une rentrée "made in France", possible mais chère
On s'est lancé un
défi : s'habiller de la tête au pied en "made in France " pour
cette rentrée. Et on s'est aperçu que c'était un défi possible à relever. Dans
l'absolu. Il y a de rares fabricants de textiles qui n'ont pas délocalisé dans
les années 60 et 70. Il y a aussi quelques jeunes créateurs qui se mettent
depuis peu sur ce créneau du "made in France ", conscients que cela
fait recette à l'étranger. Au Japon et aux Etats-Unis notamment.
"Vous
trouverez de jolis articles en cuir dans l'Aveyron, de belles pièces en
tricot en Bretagne, de la soierie aussi dans plusieurs régions, de la dentelle
sympa à Calais. Même à Paris, il y a des ateliers textiles" , se réjouit
Charlotte Brunel, rédactrice de mode pour le magazine l'Express style .
Mais la jeune femme reconnait que ces ateliers, des chaines de production
restent trop rares. "Il vous sera par exemple impossible de trouver une
usine qui fabrique du denim, du jean" , concède la jeune femme.
Autre
obstacle de taille qu'on ne tarde pas à découvrir : il faut avoir un
sacré budget. Le patriotisme au rayon "vêtements" coûte cher. Sur le
site web Le dressing du cocardier* spécialisé "made in France" , une
chemise coûte entre 80 et 300 euros. Les marques populaires sur les avenues
commerciales divisent ces prix par six ou sept. Mais dans ces boutiques-là,
c'est depuis une dizaine d'années le règne du "made in China". *
Made in Africa
"Les vêtements en
provenance de Chine représentent la majorité des vêtements vendus dans
l'Hexagone ", explique Yves Marin. Il a été acheteur textile pour la grande
distribution. Il est aujourd'hui consultant pour le cabinet Kurt Salmon.
Et selon lui, les choses évoluent très vite dans ce domaine, et les provenances
sont déjà sérieusement en train de changer. "Un ouvrier chinois
aujourd'hui est payé 2 euros de l'heure. Cela peut paraître peu mais les
salaires dans ce pays augmentent de 17 % par an en moyenne. D'ici 5 ans, il n'y
aura plus d'avantage à aller produire nos habits en Chine ", explique
le spécialiste du secteur.
Il le sait bien, les
marques européennes et américaines sont déjà en train de chercher de nouveaux
bassins industriels pour leur production. Il y a l'Inde, le Vietnam, le Laos,
le Cambodge. Il y a le Bangladesh où les ouvriers sont payés cinq fois moins
qu'en Chine.
"Il y a aussi l'Afrique, peut-être le prochain eldorado
des fabricants de vêtement ", précise Yves Marin.
Le numéro un mondial
du secteur H&M vient d'annoncer qu'il comptait ouvrir une usine en Éthiopie.
D'autres enseignes lorgnent sur Madagascar ou l'Afrique du Sud. Tant que les
chaînes d'habillement ne pourront être automatisées, il y aura cette course
infernale. Et on ne pourra pas s'empêcher de penser que c'est une course au moins-disant
social.
Acheter moins mais mieux
La question se pose
alors des conditions de travail et de l'âge des ouvriers dans ces pays
que l'on connait mal. Chacun pense au drame de Dacca au Bangladesh en mai
dernier : 1.250 morts dans l'effondrement d'un immeuble insalubre qui abritait
des ateliers textile.
Depuis, certaines
marques ont signé un accord contraignant qui les oblige à indemniser les
familles de victimes mais aussi à financer un système de contrôle des ateliers,
menés par des inspecteurs indépendants. Tout porte à croire que cela ira dans
le sens de meilleurs droits sociaux pour les travailleurs du secteur textile.
Mais cela prendra du temps et de nouveaux drames sont encore à craindre :
incendies, suicides, évanouissements...
Alors que faire ?
Boycotter les vêtements faits au Bangladesh ? "Non pas du tout ça
serait une mauvaise idée" , répond le collectif "L'Ethique sur
l'étiquette". "Le textile représente une source de richesse, de
croissance pour ces pays pauvres. Les en priver complètement n'aurait pas de
sens" , explique Nayla Ajaltouni, la porte-parole de ce groupement
d'associations militantes. Mais la jeune femme propose d'autres modes
d'actions.
"Certains vous
diront que les initiatives citoyennes ont quelque chose de dérisoire et
ridicule face à la puissance des géants du textile. Mais ils ont tort. Après le
drame de Dacca, une pétition a recueilli 1 million de signatures à travers le
monde en seulement une semaine. Et c'est grâce à cette pétition que l'on a pu
obliger les grandes marques à signer l'accord contraignant qui est une première
au Bangladesh" , explique-t-elle.
Enfin Nayla Ajaltouni
invite chacun à repenser son mode de consommation au rayon "vêtements",
à ne plus céder au phénomène finalement assez récent de la "fast fashion",
de la mode jetable. Nos parents achetaient en fonction des collections,
et il y en avait deux par an, comme les saisons. Aujourd'hui, il y a entre 5 et
7 collections par an dans les boutiques et les tentations sont démultipliées. "Mais
c'est précisément cette valse des collections qui oblige en bout de chaîne à
mettre la pression sur les ouvrières avec des délais intenables de livraison" ,
souligne la porte-parole du collectif l'Ethique sur l'étiquette.
Le bon comportement
serait donc d'acheter moins mais mieux, de privilégier la qualité des
tissus et des coutures. De belles pièces, des pièces de meilleures qualités ont
toutes les chances d'être produites dans des conditions moins infernales, et
aussi de durer plus longtemps, qu'elles soient faits en Asie ou ailleurs. Si
l'on souhaite être des consommateurs avertis, on fera aussi attention à ne
pas être victime du "fair washing".
Gare donc aux campagnes
de publicité qui vantent les conditions sociales idéales de production de leurs
articles. Depuis le drame de Dacca, certaines enseignes font des promesses
toujours plus merveilleuses en la matière, sans que l'on puisse en
vérifier la réalité. Souvent il ne s'agit que de stratégie de vente.
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