"Toute ma vie, j'ai vu fermer des hauts fourneaux"
Il nous donne rendez-vous à l'entrée du site et sans
attendre nous emmène au plus près de cette aciérie de Florange qui lui est si
chère. A l'arrêt temporaire en attendant une extinction définitive, les hauts
fourneaux n'émettent plus qu'un faible bruit. Yves lève les yeux sur cet
enchevêtrement multicolore de réservoirs, de tuyaux et cheminées de plusieurs
dizaines de mètres de hauteur.
"C'est un chef d'œuvre, c'est beau, même si
aujourd'hui il n'y a plus de fumée là-haut au dessus de la cloche. Ca, c'est
désolant parce que sous nos yeux c'est le patrimoine de la région qui est en
train de s'éteindre. C'est le savoir-faire de générations et générations de
salariés. C'est triste de voir ça de parce qu'une installation comme celle-là
est faite pour tourner à plein régime" , explique Yves. Et il s'émerveille :
"Le haut fourneau, c'est le cœur de la
sidérurgie. C'est là qu'on fait fondre le minerai de fer, et quand il coule,
c''est du bonheur. On sait qu'avec ça, on va faire de l'acier. Et avec l'acier,
on va faire des automobiles, de l'électroménager, on va procurer du confort.
C'est magique."
Yves qui cite comme référence la chanson de
Bernard Lavilliers que les enceintes de la sono crachent à chaque cortège des
Arcelor. Une chanson écrite par un ancien ouvrier pour des ouvriers sidérurgistes
tellement fiers de leur métier.
Les hauts-fourneaux s'éteignent tour à tour
Pour lui, rien n'a plus de poésie que les laminoirs
sous le soleil avare de Lorraine. "L'acier rouge, c'est comme s'il coulait
dans nos veines" , a t-il l'habitude de dire avec ses collègues de la CGT,
le syndicat auquel il a adhéré très jeune. Tout au long de sa carrière,
Yves - petit fils d'un mineur italien
mort au fond de la fosse - a vu s'éteindre des hauts-fourneaux.
"Je suis entrée dans les années 70 au haut
fourneau d'Homécourt en Meurthe et Moselle. J'avais 16 ans. Ensuite ils ont
commencé à supprimer des postes. J'ai dû partir à Joeuf. Là, j'ai assisté à la
fermeture de magnifiques hauts fourneaux. J'ai été prêté à Gandrange. Je
voulais rester à Gandrange même si c'était en Moselle. Mais là aussi, les machines
ont été mises à l'arrêt. J'ai atterri chez Solac à Florange. Solac est devenu
Arcelor, puis ArcelorMittal. Et je suis toujours là. J'ai toujours réussi à
retomber sur mes pattes. Mais là, ce qui se passe est différen t", commente Yves qui pense aux jeunes :
" Les jeunes qui
seront licenciés n'auront aucun site sur
lequel se reporter. C'est la fin de l'Histoire, même si on n'est pas décidés à
s'y résoudre."
Depuis 14 mois, il n'a pas manqué une seule des
manifestations contre la fermeture des hauts-fourneaux de Florange. Il est même
à la commande quand il s'agit de se mobiliser. Les rassemblements, c'est l'occasion à chaque fois de retrouver ses
copains du travail. "Mes petits et mes grands frères" , dit-il.
"La sidérurgie c'est l'apprentissage de la
solidarité, de la fraternité. Quand on travaille sur des outils comme ceux-là,
avec les dangers qu'on connaît à cause de l'acier en fusion partout, il n' ya
pas de place pour les différends et les conflits. Il n'y a plus de race, plus
de chef. On est obligé d'avoir tous besoin l'un de l'autre. C'est une famille
ici ! ", raconte le sidérurgiste en fin de carrière.
"La majorité de mes aînés a disparu" (Yves)
Le métier est des plus difficiles en effet. Yves le
sait bien. Il a perdu le pouce de la main gauche sur le premier site sur lequel il a
travaillé. Il n'avait même pas 30 ans.
"C'était sur des câbles de sondes, en enlevant mes
bouteilles d'oxygène, j'ai été happé par un de ces câbles. En 2007, on a un
camarade qui est mort sur une ligne de production. Un autre un peu plus tard, a
eu la tête écrasée. On a une espérance de vie qui est moindre que les autres.
On a aussi travaillé beaucoup avec l'amiante. J'ai scié, meulé des joints en
amiante pendant des années. On ne savait pas que c'était dangereux à l'époque.
On jouait même avec la poudre que cela formait, comme si c'était de la neige. Le
résultat on le connait aujourd'hui. La majorité de ceux qui étaient mes aînés,
ceux qui devraient avoir autour de 70 ou 75 ans...presque tous ont disparu
aujourd'hui" , conclut Yves.
Tout ce que raconte Yves sur son métier, sa vie
d'ouvrier des hauts fourneaux et l'avenir bien sombre de la filière, tout cela
n'est pas forcément réjouissant. Mais
celui qui promet d'avoir toujours 20 ans dans son cœur garde un sourire
d'enfant. Dans un an il sera en retraite. Mais même après, il promet de venir
défendre les copains plus jeunes dont l'emploi est menacé.
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