S'il y a une importantemédiatisation du conflit Arcelor à Florange, c'est car les deux hauts fourneauxde Lorraine sont tout un symbole, mais ce n'est pas l'ampleur de lamobilisation des salariés qui attire micros et caméras. Dans les cortèges, onretrouve toujours les mêmes visages. Ils sont une centaine tout au plus. Larésignation des autres, cette démobilisation, rend les syndicalistes amers.Lors d'une récentemanifestation, Edouard Martin le leader de la CFDT a fait arrêter tout le mondedevant le bâtiment des bureaux. Il a alors solennellement apostrophé les nongrévistes qui l'observaient aux fenêtres : "Camarades, les amis, vousêtes face à votre conscience. Venez avec nous. C'est de votre avenir dont ils'agit. Tous ceux qui nous disent qu'ils ne sont pas concernés, je vouspréviens, il y aura des lendemains qui déchantent. Cette usine, soit on lasauve tous ensemble, soit on la regarde mourir ensemble" ."L'individualisme domine" Jean-Philippe fait, lui,partie de ceux qui se mobilisent de temps en temps. Il a beaucoup de sympathiepour ce mouvement. Il soutient les syndicalistes qui donnent tout leur temps ence moment à la défense des emplois.Mais Jean-Philippe sait quepour l'essentiel, ses collègues veulent continuer à travailler, coûte quecoûte. "Même les jours où les syndicalistes tentent de bloquer lesentrées du site pour dire notre colère, il y en a qui tentent par tous lesmoyens de venir travailler quand même. Ils passent par dessus les mursd'enceinte pour aller pointer et travailler comme si de rien n'était. Ils sontcomme des autruches, mais le jour où ils se réveilleront, il sera trop tard. Jene sais pas ce qui leur passe par la tête. Ils doivent avoir peur. Peur despatrons, peur de l'avenir qu'ils ne veulent pas voir en face. Et puis c'estchacun pour soi. L'individualisme domine. Ca me bouleverse, ca me révolte" ,s'énerve Jean-Philippe."Manifester ne servira à rien"La résignation, cettetendance à ne pas vouloir affronter la réalité en face, ce sont des sentimentsqui dominent aussi chez les nombreux sous-traitants. Pourtant là aussi, parricochet, beaucoup d'emplois disparaitront si les hauts fourneaux ferment."Manifester, ca neservira à rien. Mittal a décidé de fermer les hauts fourneaux, ce ne sont pasdes petites mobilisations à Florange qui vont le dissuader. Alors faire grève?Dans quel intérêt ? La seule chose que ca ferait, ce serait de nous faireperdre des journées de salaire" , explique Simon qui fait une pausecigarette devant son atelier. "En plus, nous on n'est pas vraimentconcernés par les licenciements, enfin pas tout de suite" , ajouteFrançois.Dans les cortèges contre lafermeture de la filière "liquide" d'ArcelorMittal à Florange, il arriveque l'on trouve d'anciens mineurs de fonds qui viennent aider leurs jeunescollègues de la sidérurgie. Eux ne comprennent pas ce défaitisme, cette absencede mobilisation massive."Comme une grenouille que l'on met dans l'eau" "Nous à l'époque de lamobilisation contre les fermetures de mines, la grosse différence c'est qu'onavait des interlocuteurs sur place avec lesquels parler. Le dialogue étaitrude, mais on avait un patron sur place avec qui négocier, contre lequel sebattre. Il y avait une relation humaine. Eux, chez Arcelor, ils n'ont personneavec lesquels discuter ici. Mittal, il est loin, il est à Londres et il sefiche bien de leur sort. Un syndicat pour faire levier, il a besoin d'un pointd'appui. Or dans ce dossier-là, il n'y a pas de point d'appui. C'esttriste" , tente d'expliquer Louis qui a travaillé à la mine jusque dans lesannées 90."Il y a aussi eu ces14 mois d'arrêt temporaire des hauts fourneaux. C'est un long délitement. Ca adoucement découragé ceux qui voulaient se mobiliser. C'est comme une grenouilleque vous mettez dans l'eau. Si vous la jetez dans l'eau bouillante, elle vabondir, sortir dare-dare de la casserole. Mais si vous la mettez dans l'eaufroide et que doucement, vous augmentez la température jusqu'à l'ébullition, làelle s'endort, elle crève. C'est un peu ce qui est arrivé aux salariésd'ArcelorMittal" , commente encore Louis mi-amusé, mi-agacé.Si un réveil a lieu, ils'opérera sans doute tristement, bien plus tard, mais dans les urnes s'inquiètentcertains syndicalistes. À Florange, lors des dernières élections législativesen juin, le front national a quintuplé son score de 2007 au premier tour, etrecueilli 39 % des voix au second.