Bretons mais certainement pas Bonnets rouges
Alain Scouarnec a
le sourire alors qu'il part voir un de ses quatre troupeaux de 25 vaches limousines
dans leur pré. Le sourire aux lèvres, et sur la tête, un bonnet, mais
certainement pas un bonnet rouge. "Le rouge? Ma femme trouve que ca ne me va
pas ! Plus sérieusement, il n'en est pas question. Leur conception de la
Bretagne n'est pas la mienne ", explique cet éleveur de 52 ans installé à
Gurunhuel, près de Guingamp dans les Côtes d'Armor.
Il n'a jamais
utilisé de produits chimiques. Il y a quelques années, il a même fait certifier
sa production "biologique". C'est peu commun
en ces temps de grogne de la filière dans la région, mais Alain Scouarnec est
agriculteur, breton, et heureux. "Oui j'en suis presque désolé parce que
quand j'en parle avec mes voisins, mes collègues, je vois bien que la plupart ne
sont pas satisfaits des conditions dans lesquelles ils travaillent. Mais moi oui
je suis heureux ".
L'écotaxe ne lui
pose pas de problème car comme 4.000 autres agriculteurs de la région, Alain
Scouarnec a choisi le circuit court. Ses vaches sont abattues à
35 kilomètres de sa ferme. La viande est vendue dans quatre magasins dans
un rayon de 100 kilomètres. Moins de déplacements, moins d'intermédiaires :
cela signifie des marges plus importantes et un revenu satisfaisant. C'est
l'opposé du modèle agricole breton dominant : intensif et lié aux usines
agroalimentaires. "Ça n'est pas politiquement correct de le dire, mais je
suis parfois dégoûté par certains modes de production de viande en Bretagne. Je
sais que cela a beaucoup de conséquences pour l'emploi dans les usines
agroalimentaires. Mais il faut se remettre en cause, faire évoluer les manières
de faire. Il faut notamment remettre les animaux en lien avec le sol, ne plus
privilégier les usines à viande ", explique Alain
Scouarnec.
Taieb Ikken lui
aussi espère une évolution à grande échelle. Il gère une coopérative de vente de
produits bio non loin de la ferme d'Alain Scouarnec, à Lannion. Depuis sa
création il y a 17 ans, son chiffre d'affaires n'a fait que croître. Selon lui,
si la Bretagne est une des régions, avec l'Ile de France, qui consomme le plus
de produits "bio", ça n'est pas par hasard. "Les Bretons sont aux premières
loges pour voir les dégâts de l'agriculture productiviste sur la nature et sur
notre santé. Mon activité se développe un peu plus à chaque crise, à chaque
révélation d'une présence de nitrates dans l'eau, à chaque découverte d'algues
vertes, à chaque pollution aux pesticides. C'est malheureux mais c'est la
meilleure publicité qu'on puisse avoir ", explique Taieb Ikken. Il y aurait
donc comme une réaction des consommateurs bretons qui veilleraient plus
qu'ailleurs à la qualité des aliments qu'ils mangent, précisément parce qu'ils
ont sous les yeux des exemples de conséquences néfastes de l'agriculture
intensive.
Michel fait ses
courses chaque semaine dans ce magasin Biocoop. Il explique que ca n'est pas
évident ces temps-ci en Bretagne de dire haut et fort que l'on n'est pas
d'accord avec les "Bonnets rouges". "Je comprends bien la détresse des
centaines de salariés des usines comme Gad , Doux ou Tilly-Sabco qui perdent
leurs emplois, ou craignent de les perdre. Mais franchement je ne suis pas
d'accord avec l'idée qu'une usine puisse produire des volailles par centaines de
milliers par jour par exemple, je ne trouve pas ça très bien ", confie ce
client.
Algues vertes,
pollutions au nitrate, pesticides, ce sont les cauchemars d'Yves-Marie Le Lay.
Il en a fait son combat. Il préside l'association "Sauvegarde du Trégor". Les "Bonnets rouges" ? Il n'a pas peur de dire combien il s'y oppose. "Ce mode de
"bretonnitude" qu'on nous propose est quand même assez curieux. Voilà des
personnes qui sont dans le trou, et qui nous disent "venez tous dans le trou, il
fait qu'on le creuse encore !" Ces "Bonnets rouges" du MEDEF et de la FNSEA nous
proposent de rester dans ce modèle agricole qui casse les hommes, casse
l'économie, casse l'environnement. Ils voudraient en plus maintenant casser les
portiques de l'écotaxe. Il y en assez. Arrêtons avec ces "Bonnets rouges".
Devenons des Bretons respectueux de notre terre et de notre mer. Sortons de la
mentalité de colonisés qu'ont ces Bretons d'opérette qui ne font que masquer
leur échec." lance ce militant.
Yves-Marie Le Lay
refuse qu'on le traite d'idéaliste. Il ne souhaite pas une Bretagne 100% bio.
"On en est d'ailleurs très loin " dit-il. Il aimerait juste "un retour à
la raison". Exemple de ce qui pour lui est le signe d'une folie : la Bretagne
compte huit millions de cochons, cela fait près de deux porcs par habitant.
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