Cet article date de plus de deux ans.

"Un autre monde" : Le marché dicte sa loi

Dans le troisième volet de sa trilogie sur le monde du travail, Stéphane Brizé retrouve Vincent Lindon, cette fois en cadre supérieur.    

Article rédigé par franceinfo, Thierry Fiorile
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain dans "Un autre monde", de Stéphane Brizé. (2020 NORD OUEST FILMS / MICHAEL CROTTO / DIAPHANA DISTRIBUTION)

Il faut toute la complicité entre un réalisateur et son acteur fétiche pour permettre à Vincent Lindon d'endosser le costume d'un cadre supérieur, après avoir été un vigile de supermarché et un syndicaliste dans La Loi du marché (2015) et En guerre (2018), les deux films précédents de Stéphane Brizé, cinéaste obsédé par la violence des rapports sociaux.

Dans Un autre monde, Vincent Lindon dirige une usine, dont la maison-mère aux États-Unis exige une fois de plus de réduire les effectifs pour le seul profit des actionnaires. 

"Là je ne pouvais plus emprunter au documentaire, je devais rendre compte de l’intime, par des positions de caméra."

Stéphane Brizé

à franceinfo

Jusque-là vaillant soldat de cette multinationale, ce cadre atteint sa propre limite, il n'en peut plus de la déshumanisation de son travail, et de la novlangue managériale que porte sa supérieure hiérarchique, jouée par Marie Drucker qui fait des débuts convaincants au cinéma.

Un autre monde explore les ravages de ce capitalisme financier sur la vie de ses exécutants, la femme de cet homme en plein doute demande le divorce, épuisée par l'envahissement de la sphère privée par le travail de son mari. Cet angle de vue intime modifie la mise en scène de Stéphane Brizé : silences, visages désœuvrés filmés bord cadre, il clôt sa trilogie sur un geste cinématographique aiguisé.  

Piccolo Corpo de Laura Samani

Dans l'effervescence actuelle du cinéma italien, Laura Samani signe un premier film en forme de fable, aux images très soignées. Piccolo Corpo se passe au début du XXe siècle, au bord de l'Adriatique, où une pauvre paysanne perd son bébé mort en couche, avant même d'avoir pu être baptisé.

Persuadée que l'âme de son enfant va errer pour l'éternité dans les limbes, elle s'accroche à une croyance populaire selon laquelle, loin dans la montagne, dans un sanctuaire, un miracle peut survenir, le temps d'un ultime souffle, pour donner un nom et baptiser ce bébé.

Le petit cercueil sur le dos, cette femme entame alors un long voyage et croise des personnages sortis de contes. La beauté des paysages, la puissance de la foi de ce personnage illuminent ce récit que Laura Samani contient dans une sobriété maîtrisée.  

Nous d'Alice Diop  

Voilà un documentaire qui déjoue les règles du genre et les clichés sur la banlieue. Née à Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, de parents venus du Sénégal dans les années 60, Alice Diop filme des fragments de vie du nord au sud de la ligne B du RER, et insère quelques vidéos familiales, souvenirs de son enfance.

Ce film Nous ne porte aucun discours sur la banlieue mais interroge, par le récit, ce qui en France, aujourd'hui, fabrique ce nous.   

"C’est un film qui s’inscrit dans une dissidence d'un imaginaire dominant sur la banlieue."

Alice Diop

à franceinfo

Quel est le lien, outre une ligne de RER, entre un travailleur malien qui vit dans la misère à la Courneuve, une retraitée qui raconte sa jeunesse après-guerre, le père d'Alice Diop, des catholiques traditionnalistes qui célèbrent à la basilique de Saint-Denis une messe pour Louis XVI, des bourgeois de Fontainebleau qui pratiquent la chasse à courre, et l'écrivain Pierre Bergounioux rencontré chez lui en Essonne ? Le lien, c'est ce film, c'est le cinéma, qui préfère les questions aux réponses toutes faites.  

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.