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Chroniques du ciel. Ben Smith, directeur général d'Air France-KLM : "Notre principal atout pour sortir de la crise, c'est notre réseau mondial"

Tout l'été dans chroniques du ciel, les grands patrons de l'aérien analysent la crise du secteur liée au Covid. Ben Smith accorde sa première interview radio depuis son arrivée à la tête du groupe Air France KLM

Article rédigé par franceinfo, Frédéric Beniada
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le directeur général d'Air-France-KLM Ben Smith (à doite sur la photo), aux côtés du journaliste de franceinfo Frédéric Beniada, à Paris, en juillet 2020. (RADIO FRANCE / FREDERIC BENIADA)

franceinfo : Ben Smith, Directeur Général d’Air France-KLM. vous vous exprimez très peu dans les medias. C’est d’ailleurs, votre première interview radio en français depuis votre arrivée au sein du groupe, il y a maintenant tout juste deux ans. C’était en août 2018. Avant d’évoquer, la crise sanitaire, ce peu de présence médiatique, c’est une stratégie ou simplement de la timidité ?

Ben Smith : "Je ne parle pas très bien le français, mais la véritable raison, c’est que j’ai voulu à mon arrivée au sein du groupe AF-KLM, d’abord, rétablir le dialogue et la confiance avec les partenaires sociaux. Cela a pris du temps, il était important de le faire en interne. On m’a trop souvent dit que les annonces de la société étaient apprises via les medias". 

Revenons au sujet qui nous occupe, la crise sanitaire : au début de l’hiver, lorsque l’on a commencé, à parler du Coronavirus en Chine, vous attendiez-vous à de telles conséquences sur le transport aérien ? Quasiment 95% de la flotte mondiale clouée au sol ? Vous vous êtes dit quoi ?   

"Je suis dans cette industrie depuis 30 ans, j’ai vécu beaucoup de crises, mais jamais je n’aurais imaginé une crise d'une telle ampleur. On a commencé à arrêter nos vols sur la Chine avant de stopper l’ensemble de nos destinations. 500 avions cloués au sol. Les premières minutes, c’est intéressant, mais ensuite, c’est un choc, car ce sont nos 85 000 salariés qui sont directement impactés".  

"En France, 50 000 salariés ont pu bénéficier du chômage partiel, nous avons arrêté le paiement de nos coûts variables, c’est qui représente chaque année, près de 26 milliards d’euros. Avec une marge de 5 à 6% il est clair que nous allions droit dans le mur. Heureusement, nous avons reçu l’aide des gouvernements français et néerlandais. Le trafic reprend progressivement. Notre plus gros marché, ce sont les Etats-Unis. Nous ne savons pas quand l’activité va rebondir, quand les frontières seront rouvertes, mais je pense qu’il faudra au moins trois ans pour retrouver les niveaux de 2019".  

Nous avons des atouts, pour redémarrer, un réseau mondial qui ne se limite pas à l’Europe, les Etats-Unis ou l’Asie

Ben Smith, DG d'Air France - KLM

Cette crise sanitaire va inexorablement entrainer la disparition de compagnies aériennes, les plus fragiles ou encore celles au développement trop rapide, elle va accélérer une consolidation en Europe. Peut-on dire que c’est un mal pour un bien ?   

"On commence à voir des faillites, il y en aura de nombreuses autres, ça peut nous aider, nous étudierons les opportunités de consolidation, mais pour l’instant, il est beaucoup trop tôt".  

Est-ce que, d’après-vous, cette crise sanitaire remet en cause certains modèles économiques dans l’aérien, notamment celui des Legacy, des compagnies traditionnelles, est-ce qu’aujourd’hui, il n’y a pas deux modèles, deux métiers différents, le long courrier, et le court-moyen, qui pourraient être assurés par les "low cost" ?

"Bien sûr, notre industrie évolue, Air France a 86 ans, KLM a 100 ans, le groupe a traversé beaucoup de crises, mais nous avons des atouts, pour redémarrer , un réseau mondial qui ne se limite pas à l’Europe, les Etats-Unis, ou l’Asie ". 

L’avenir d’Air France-KLM, est-il dans l’une de ses directions ?  Est-ce votre souhait ou non ?   

"Nous avons mis en place l’an dernier un plan de transformation, il prendra du retard, mais nous devons renverser les pertes sur le domestique, 200 millions d’euros, chaque année, il faut le faire de manière responsable, il faut régler cette situation impossible à maintenir".   

Pour traverser la crise sanitaire, l’Etat vous a directement ou indirectement prêté sept milliards d’Euros, Est ce que vous pourrez rembourser et à quelle échéance ? Dans le cas contraire, il se passera quoi ? Une montée au capital, une nationalisation partielle ?   

"Ce n’est pas le sujet aujourd’hui, le but de ce prêt pour l’instant est d’assurer la pérennité d’Air France, traverser cette crise avec une réserve de liquidités ". 

En contre-partie de ce prêt de sept milliards d’euros, le gouvernement français vous a demandé, au nom du respect de l’environnement, de fermer certaines de vos lignes domestiques, les lignes à moins de 2 heures 30 de TGV de Paris ? Ce n’est pas une vision un peu simpliste du transport aérien, et surtout une demande totalement incohérente avec cette aide étatique ?   

"Difficile d’argumenter s’il existe effectivement une option ferroviaire de 2 heures 30 ou moins, mais il est en revanche très clair que nous conserverons l’ensemble de notre réseau pour relier notre hub de Roissy pour les vols long courrier. De Bordeaux, ou Nantes, si nous envisageons de supprimer les vols vers Orly, il n’en est pas question pour Roissy, ce n’est pas facile, car c’est un paradoxe mais nous acceptons cette condition".   

On assiste depuis maintenant un certain temps, à un mouvement venu des pays nordiques sur "la honte de prendre l’avion". Or on sait que le transport aérien ne représente que 2,5% des émissions de CO2 au niveau mondial, considérez-vous que le transport aérien fait figure de bouc émissaire de la pensée écologiste ?   

"Nous sommes une société et une industrie très visible : il est plus facile de nous attaquer et de nous considérer comme un ennemi de l’environnement. Pourtant, nous faisons beaucoup d’efforts depuis des années, mais nous ne communiquons pas assez. Nous avons déjà remplacé une grande partie de notre flotte pour réduire notre impact de C02 de 20 à 25%. Ce n’est pas assez connu. D’autres exemples : nous roulons sur un seul moteur après l’atterrissage, nos véhicules de tractage sont électriques "...    

Tous ceux qui ont voyagé, qui ont visité le monde, vont continuer

Ben Smith

Que va changer cette crise sanitaire, pour le passager, ? Pensez-vous qu’on va voyager différemment, que le profil des passagers va évoluer, que les destinations vont changer ? Le prix des billets d’avion va-t-il baisser ou augmenter dans les prochains mois ?   

"Les prix baissent chaque année si on regarde les tendances sur 10 ou 15 ans. Le vrai changement, ce sera la sécurité sanitaire, avec le port du masque obligatoire sur l’ensemble de nos vols, des avions plus souvent nettoyés, des prises de température à l'embarquement". 

Vous sentez une envie de voyager des gens ?  

"C’est très clair ! Les familles ont besoin de se retrouver, dès que les frontières rouvriront tout va repartir très rapidement, j’en suis certain. Ce sera plus long pour le trafic Business".  

Etes-vous optimiste ?  

"Vraiment optimiste. Si vous regardez l’industrie sur les dernières décennies, après la crise, il y a toujours eu un rebond. Tous ceux qui ont voyagé, qui ont visité le monde, vont continuer »      

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