Au plus fort du succès,Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT) faisait 27% en baie de Somme auxlégislatives de 2002. Dix ans plus tard, le parti chasseurs a reflué. AuCrotoy, les chasseurs n'investissent plus beaucoup d'espoir dans unecandidature cynégétique et rurale. En 2007, déjà, Frédéric Nihous (CPNT)faisait 11% contre 24% pour Jean-Marie Le Pen. Dans cette ville de 2300habitants sur la rive nord de la baie, chasser reste pourtant unetradition vivace. Pas un hobby de notable mais un atavisme populaire :la chasse au gibier d'eau est gratuite en baie, où l'on chasse la nuitet coûte seulement 90 euros la saison dans le marais. Parmiles sociétaires du club de chasse, beaucoup d'ouvriers. Ils sontnombreux à dire d'emblée leur appartenance à la classe populaire.Puis, très vite, leur désarroi. On a longtemps voté communiste sur cerivage picard. La figure politique du coin, c'est Maxime Gremetz. Maisla gauche a fait long feu. Patrice, garde chasse bénévole et ouvrier aucamping du Crotoy, n'a jamais voté communiste à 46 ans. Pour lui, voter àgauche est exclu depuis la gauche plurielle :"DominiqueVoynet est celle qui nous aura fait le plus de mal.""La gauche préfère les écologistes à nous"Pourlui, les socialistes qui ont fait alliance avec les écologistes sonthors jeu depuis le gouvernement Jospin même si "c'est compliqué, ducoup, car on est quand même ouvrier mais ils sont plus intéressés àtravailler avec les écolos qu'à nous défendre, nous ". Vincent Peillon afait les frais de cette désaffection en échouant de 143 voix auxlégislatives de 2007, battu par le candidat UMP soutenu par CPNT. Dèsles débuts de CPNT (lancé en 1989) Patrice, le garde chasse, a votépour cette alternative rurale très représentée localement : au Crotoy, maire et adjoints, ainsi que le président du domaine public maritime et les députés ont encommun d'être chasseurs. Mais, comme tous ceux qui ont acceptéde parler politique malgré une réputation taiseuse, Patrice est amerenvers CPNT. Parce que Frédéric Nihous, toujours candidat en 2012, lesaurait trahi, eux, les chasseurs en baie de Somme, qui ne chassentpas comme on tire la palombe en Aquitaine (où il est élu). Parce que le mouvementse serait disloqué en se professionnalisant aussi. Parce qu'il n'estpas du cru, enfin. Car tous leschasseurs que j'ai pu rencontrer sur place ont en commun une mêmerépugnance à déléguer le pouvoir à l'étranger. A fortiori s'il estParisien, jacobin. Jacques, commerçant à la retraite, était l'armurierau Crotoy. "Articles de chasse et pêche, bazar de plage "... et entresoi, serait-on tenté d'ajouter quand on l'entend dénoncer la main-misedes politiques sous le coup de la pression sur "les petites affaires duCrotoy " : "C'est la politiquequi nous dirige en France. J'ai des idées politiques mais enfin vous savez : est- ce qu'il y a encore de la gauche, du centre de la droite ? Il faut absolument nous laisser diriger nous mêmes nos petites affaires communales. Pas faire diriger ça par une instance départementale, régionale voire nationale. Car il faut reconnaître qu'avec Natura 2000, qui est nationale, on a mis la main sur quelques coins de France et on continue... jusqu'au jour où ils diront : les chasseurs, vous êtes un million, mais vous êtes quantité négligeable.""CPNT s'est développé contre les élus parisiens"YannRaison du Cleuziou, maître de conférence en science politique àBordeaux IV, a publié plusieurs travaux sur les chasseurs en baie deSomme. Il confirme cette disqualification de la politique sur ces terres:"La rhétoriqued'opposition du local au national ou à la sphère européenne fonctionneextrêmement bien. Le rejet du clivage droite-gauche est aussi le fruitde la politisation de CPNT qui s'est développé en baie de Somme endisant que la droite comme la gauche étaient dans des enjeuxexclusivement partisans et n'en ont rien à faire des populationslocales."Jacques l'armurier ne vote pas à gauche. Il netient pas à préciser de quelle droite il se ressent, mais il expliquequ'il a bien fallu "reprendre ses idées politiques " une fois passél'engouement pour CPNT. Qui l'a déçu à son tour. Pourtant, Jacques n'apas un discours si différent de celui de Jean-Louis, croisé à la find'une des quatre-vingt matinées de chasse de la saison, un dimanche de novembre. Jean-Louis est pourtant de gauche. Il en est même à son deuxième mandat deconseiller municipal dans l'opposition. Pourquoi de gauche ? Parcequ'il sait "d'où [il] vient " - il était ouvrier chez Kronenbourg enrégion parisienne, mais rentrait chasser tous les week-end en Picardie.Défendre le maris, seul horizon politiqueOutre cette extraction ouvrière, Jean-Louis manque d'enthousiasmepour les candidats de gauche : "J'ytrouve de moins en moins mon compte. En réalité la politique nem'intéresse pas, ce qui me pousse à me présenter, c'est la défense denotre marais. Oui, je suis inquiet."Pression écologiste etsuccès touristique sans précédent pour la baie : de l'avis de tous, lemarais serait menacé. Loué par le domaine public à la société de chasse,il est moins vaste qu'auparavant : une usine conchylicole adoucie pardes bardages discrets et une réserve naturelle prisée par les touristes àvélo grignotent son terrain.Le sentiment de déclassement nourrit le FNCette concurrence se matérialise aussidans le logement avec les résidences secondaires,rappelle l'universitaire Yann Raison du Cleuziou. Il y voit une desraisons du vote Front national au Crotoy. Quand Patrice confie qu'à 46ans, père d'un enfant en bas âge, il a du revendre sa maison parce qu'iln'arrivait plus à payer ses traites, le chercheur souligne le sentimentde déclassement des gens de la baie :"Pourquoi la tradition ouvrière est-elle finie ? Parce qu'il y a eu unegrande désindustrialisation dans les années 90, puis parce qu'il y a eu cedivorce avec la gauche au moment du gouvernement Jospin et du fait dela présence de Dominique Voynet, celle qui a corrompu la gauche dansl'esprit des ouvriers de la baie de Somme. Du coup l'identité de cesouvriers s'est recomposée autour d'une identité rurale mais d'uneidentité menacée, marginalisée. La population entretient unressentiment à l'égard des transformations de son ordinaire." "Les chasseurs sont mal vus"Àseulement 19 ans, Gaétan est depuis peu vice-président de la société dechasse du Crotoy. Apprenti couvreur comme son père, chasseur comme sonpère, il tient beaucoup à son loisir, même s'il partage ses dimancheentre chasse le matin et foot l'après-midi. Comme tous ceux quisoulignent qu'aujourd'hui, les locataires de l'Elysée ou de Matignon nechassent plus et méconnaissent leur monde, Gaétan s'estime "mal vu" .Stigmatisé.Timide ou prudent, il met du temps à opiner quand je luidemande s'il pourrait voter FN. Explique avec douceur que c'est parcequ'il est inquiet. Pour "ses traditions " et pour "son avenir ".Exactement les mots de Patrice, qui vote FN lui aussi même s'il n'est pas certain que Marine Le Pen défende mieux les chasseurs passées les promesses... mais qui incarne, au moins "nos petites traditions" . Gaétan et Patrice précisent qu'ils ne sont "pas racistes ".YannRaison du Cleuziou, qui arpente la Baie pour ses travaux de sociologieélectorale depuis onze ans, voit dans le vote frontiste "un voted'homogénie ". C'est-à-dire que les chasseurs de la baie de Somme,s'estimant stigmatisés, finissent par voter pour le parti le plusstigmatisé. Le plus anti-système aussi, celui qui cogne :"Cequi joue dans le lien avec le Front national, c'est un sentimentd'homogénie. Le Front national est marginal dans la classe politiquecomme ces gens-là s'estiment marginaux. Et en même temps, le FN apparaîtcomme un fauteur de troubles, comme eux aussi aimeraient être desfauteurs de troubles vis à vis des partis politiques. C'est cetteidentité anti-système qui bénéficie au Front national en baie de Somme,plus que la question de l'insécurité ou d'autres éléments du programmedu Front national."