Gérard Zlotykamien, l'un des pères fondateurs de l'art urbain expose son oeuvre à Paris

Et si le Street Art n'était pas né aux États-Unis, mais en France ? La galerie Mathgoth à Paris, près de la Bibliothèque François Mitterrand consacre une exposition rétrospective au travail de Gérard Zlotykamien, que certains historiens et critiques d’art considèrent comme le premier artiste d’art urbain.
Article rédigé par franceinfo, Ingrid Pohu
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Les Éphémères de Gérard Zlotykamien symbolisent toutes les formes possibles d’effacement et de disparition. Pour son auteur, ces silhouettes ne sont pas destinées à transmettre une vérité absolue mais une certitude : chaque être vivant quelle que soit sa durée de vie est simplement de passage, nous sommes tous Éphémères. (GALERIE MATHGOTH)

À 83 ans, celui que l’on surnomme "Zloty" est considéré par certains spécialistes comme l’un des pères fondateurs de l’art urbain.

Le déclic a lieu en 1963. Cette année-là, Gérard Zlotykamien présente à la Biennale de Paris son œuvre "La ronde macabre", où apparaissent ses premières silhouettes noires fantomatiques décharnées, qu’il appelle "personnages disparus". Comme le souligne Gautier Jourdain, fondateur de la galerie Mathgoth, ses figures éphémères symbolisent le caractère fragile, fugace de l’existence.

"Le thème de la disparition est très important dans le travail de Gérard Zlotykamien. Né en 1940 à Paris, il vient d'une famille juive d'Europe de l'Est. Séparé de ses parents, à l'âge de 2 ans, il échappe de peu à la déportation, et est placé dans une famille d'accueil. Après la Libération, il retrouve ses parents, les seuls survivants de sa famille. C’est quelque chose qui va jalonner son travail."

Alors membre d’un collectif d’artistes qui dénonce toutes les formes d’atrocités commises dans le monde, Zloty est choqué de voir l’œuvre du peintre espagnol, Eduardo Arroyo, censurée à la Biennale de Paris. À travers des portraits de Salazar et Franco, Arroyo dénonce la barbarie des dictateurs. Gérard Zlotykamien prend alors ses distances avec le monde de l’art, c’est décidé, l’espace public sera son atelier. Sans le savoir, il pose les fondations du Street Art.

Pour peindre, Zloty utilise la bombe aérosol. Surtout, sa spécificité est l'usage de la poire à lavement qui peut aspirer l’eau. Celle-ci peut également projeter de l’encre ou de la peinture, et devenir un véritable outil de création. (GALERIE MATHGOTH)

Ses silhouettes évanescentes, qu’il rebaptise "Ephémères" en 1970, sont au cœur de son œuvre. Le plus souvent noires, leurs têtes ovales sont parfois scindées en deux par un trait ondulant, qui rappelle le mouvement géométrique du Yin et du Yang. Ces silhouettes sont tracées à la bombe, ou à l’aide de poires à lavement, remplies de peinture acrylique noire, blanche et rouge pour l’essentiel.

On associe ces silhouettes éphémères à des ombres et des fantômes. "Vous voyez bien que c’est une personne, c’est jamais la même, et en même temps, c’est toujours la même, quelque part c’est vraiment l’anonyme, l’éphémère, en hommage à toutes les victimes, toutes les catastrophes, surtout les catastrophes humaines, c’est-à-dire les guerres, les attentats, les génocides…", poursuit Gautier Jourdain.

Une centaine d’œuvres originales (1958-2023), des vidéos et photos d’archives. Cette exposition entend montrer le travail et raconter la démarche d’un artiste majeur, mais discret, qui a toujours évolué en dehors des radars, des projecteurs et des diktats du marché de l’art. (GALERIE MATHGOTH)

Matelas, palissade, poubelles, l’exposition dévoile toute la diversité des supports et matériaux utilisés par "Zloty". Car son atelier, c’est la rue. Dans la galerie, une installation nous emmène au pied d’une maison abandonnée, entourée d’objets encombrants, sur lesquels il a peint à la bombe. L’artiste a d’ailleurs cette formule originale :

"J’écris de la peinture". "On peut écrire, moi je ne sais pas écrire, je n’ai pas la culture pour cela, donc je fais une synthèse par émotion, par sentiment, mais qui ne tient pas scientifiquement ou philosophiquement, c’est plutôt une intuition des choses", confie Gérard Zlotykamien. 

Archive de l'artiste qui, en 1977, peint sur les murs du boulevard Raspail à Paris (14è) (GERARD ZLOTYKAMIEN)


Fuyant les mondanités et les médias, le collectionneur Gautier Jourdain rappelle que Gérard Zlotykamien a toujours été un artiste discret, suscitant le mystère... "Il y a eu des bruits qui ont couru, les gens se sont imaginé des choses. Qui est ce vieux ? Parce que dans les années 80, il était déjà âgé, par rapport à ceux qui faisaient du graffiti, et qui peint en costume cravate avec un attaché-case. Donc, les bruits couraient qu’il était banquier, et qu’il peignait la nuit, c’est rigolo."

Ce qui ne l’a pas empêché d’avoir quelques procès. "Il a d’abord été convoqué en Allemagne. Et il a eu le bon goût pendant le procès de dire au tribunal : j’effacerai mes éphémères quand vous me rendrez mes ancêtres."

En vous promenant dans les rues de Paris, vous pourriez bien croiser la silhouette de ce précurseur qui poursuit son œuvre… "Apparition-disparition. Compte tenu de mon vieil âge, vous voyez une apparition là, et dans très peu de temps, vous allez voir la disparition, vous avez de la chance ! Il faut rire des choses aussi, si vous ne riez pas, c’est terrible", conclut dans un large sourire l'artiste.

"Gérard ZLOTYKAMIEN, 60 ans d’Éphémères"

À découvrir jusqu’au 28 octobre à la Galerie Mathgoth à Paris, 1, rue Alphonse Boudard dans le 13e. Métro : Bibliothèque François Mitterrand-ligne 14.

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