Les rejets de médicaments sont-ils une menace pour nos rivières et nos cours d'eau ?
La pollution liée à l'usage de médicaments touche toutes les régions du monde. Cette pollution pharmaceutique a été étudiée sur 258 rivières coulant dans 106 pays. Un quart des rivières de l’ensemble du globe contiennent des substances médicamenteuses à des niveaux considérés comme dangereux.
Peut-on parler de pollution pharmaceutique dans nos fleuves et nos rivières ? Xavier Leflaive, chercheur à l'OCDE (organisation de coopération et de développement économique), responsable de l'équipe "eau" est l'invité de Catherine Pottier.
Alors que la pêche de la truite en première catégorie vient de s'ouvrir, une grande étude internationale, publiée dans la revue de l'Académie des sciences américaine, montre que la pollution liée à l'usage de médicaments, touche toutes les régions du monde. Les scientifiques se sont penchés sur 258 rivières coulant dans 106 pays.
De l'Antarctique aux villages amazoniens, en passant par Dehli ou Bagdad, partout on trouve des traces de substances pharmaceutiques, et la France n'échappe pas à la règle.
Les analyses se sont focalisées sur 61 substances médicamenteuses utilisées couramment comme les antibiotiques, les anti-inflammatoires, les antidépresseurs, les antidiabétiques ou les stimulants comme la caféine. Un quart des sites concernés présenteraient même un niveau de pollution supérieur à celui considéré comme sans danger pour l'homme et les organismes aquatiques.
Vieillissement de la population et évolution des pratiques agricoles
"La pollution pharmaceutique a deux origines, explique Xavier Leflaive. La première s'explique par le vieillissement de la population grâce à l'évolution de la médecine. On dispose aujourd'hui de traitements médicamenteux qui peuvent agir sur des maladies chroniques et sur une longue durée."
Une partie de cette pollution est donc imputable aux progrès de l'industrie pharmaceutique. C'est un secteur en croissance de 6 à 7% par an, au niveau mondial, et en Allemagne, certaines projections montrent qu'entre 2015 et 2045, la consommation de médicaments devrait augmenter de 40 à 60%. Ce phénomène est lié essentiellement au vieillissement de la population.
"La deuxième cause de cette pollution est liée à l'évolution des pratiques agricoles et piscicoles qui ont tendance à utiliser de plus en plus de produits vétérinaires comme les hormones ou les antibiotiques", poursuit le chercheur. Des substances que l'on retrouve ensuite dans les cours d'eau.
L'ultra consommation de médicaments
C'est le facteur numéro un de la pollution pharmaceutique. Cette pollution pharmaceutique intervient à plusieurs niveaux de la chaîne du médicament.
"Au moment de la fabrication, il y a toujours un risque d'accident industriel, explique Xavier Leflaive, mais ce risque est moindre dans les pays développés. Les accidents industriels sont beaucoup plus fréquents dans des pays comme l'Inde qui est aujourd'hui l'un des plus gros fabricants de médicaments génériques."
L'origine la plus fréquente de ces pollutions pharmaceutiques reste la consommation de médicaments. On estime qu'entre 30 et 90% de ce que nous ingérons est rejeté dans nos urines ou nos excréments, donc plus on consomme de médicaments, plus on en rejette !
"Il ne faut pas non plus négliger l'envoi de médicaments périmés dans les toilettes. Il faut absolument les rapporter à la pharmacie pour s'en débarrasser et ne pas les évacuer avec l'eau des toilettes."
Xavier Leflaive, chercheur à l'OCDE
De manière générale, les stations d'épuration ne filtrent pas ces substances que l'on appelle de la "pollution diffuse", donc typiquement les résidus de l'agriculture et de la pisciculture, poursuit le spécialiste. Dans les villes, les stations d'épuration n'ont pas été conçues pour traiter ce genre de molécules.
Des technologies plus perfectionnées existent, c'est le cas en Suisse notamment. Là-bas, le pays a choisi de rénover une centaine d'usines d'épuration de l'eau, de manière à rajouter une quatrième couche de traitement. Le résultat est efficace car il permet d'éliminer une partie de cette pollution médicamenteuse mais le système entraîne un surcoût important, en terme d'investissement et de consommation d'énergie.
Pour Xavier Leflaive, "cette solution est peut-être viable en Suisse mais absolument pas au niveau de tous les pays de la planète."
Des truites "féminisées"...
Tout le monde s'accorde à dire aujourd'hui que cette pollution pharmaceutique a des conséquences sur les écosystèmes des cours d'eau. Plusieurs observations , dans l'eau et en laboratoire, ont montré que le rejet dans l'eau de contraceptifs oraux avait entraîné une "féminisation" des poissons.
Xavier Leflaive explique également que certains psychotropes pouvaient changer le comportement des poissons. Ils deviennent moins prudents et ont tendance à se jeter dans la gueule de leurs prédateurs.
Aujourd'hui on connaît les conséquences de la présence dans l'eau de résidus d'antibiotiques ou d'antidépresseurs, mais on ignore encore la multifactorisation.
"On sait que certaines substances, tout à fait inoffensives individuellement, vont se révéler toxiques et dangereuses lorsqu'elles se combinent entre elles", explique le chercheur. C'est ce que l'on appelle "l'effet cocktail" souvent observé dans les cours d'eau.
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