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Sens commun, ou comment l'esprit de la Manif pour tous s'est infiltré dans l'UMP

Cette jeune structure a organisé le meeting du 15 novembre, à Paris, au cours duquel Nicolas Sarkozy s'est prononcé pour une abrogation de la loi Taubira.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Nicolas Sarkozy, lors du meeting de Sens commun dans le cadre de la campagne pour la présidence de l'UMP, le 15 novembre 2014, salle de L'Equinoxe, à Paris. (CITIZENSIDE / YANN KORBI / AFP)

"Si vous préférez qu'on dise 'abroger la loi Taubira pour en faire une autre' (...), si ça vous fait plaisir, franchement, ça coûte pas très cher." L'idée d'abrogation est lâchée par Nicolas Sarkozy, ce samedi 15 novembre, salle de l'Equinoxe à Paris. Ce jour-là, dans le cadre de sa conquête pour la présidence de l'UMP, l'ancien président est venu séduire les militants de Sens commun, un mouvement créé dans le sillage de la Manif pour tous.

Lors de ce meeting, Sens commun est parvenu à réunir les trois candidats – Nicolas Sarkozy, Bruno Le Maire et Hervé Mariton – pour la seule et unique fois de la campagne. Ils se sont succédé à la tribune. Un exploit pour cette jeune composante de l'UMP qui compte un peu plus de 5 000 membres, une goutte d'eau comparée aux 268 000 adhérents revendiqués par le parti d'opposition. Francetv info se penche sur cette structure qui est parvenue à mettre la question du mariage des couples homosexuels au cœur de la campagne de l'UMP.

Sens commun, qu'est-ce que c'est exactement ?

Sens commun est un mouvement fondé fin 2013 au sein de l'UMP dans la dynamique des protestations contre la loi sur le mariage pour tous. "On s'est rencontrés grâce aux manifestations et on avait comme point commun de vouloir agir au sein de l'UMP pour préparer l'alternance", explique à francetv info la jeune porte-parole, Madeleine de Jessey. Les membres de Sens commun vont ainsi participer au choix du nouveau président de l'UMP le 29 novembre, car en adhérant au mouvement, ils ont automatiquement rejoint le parti d'opposition (une partie de la cotisation est reversée à la maison mère).

La petite structure revendiquait 5 000 membres en juin. Depuis, elle ne communique plus sur les chiffres, mais espère dépasser la barre des 10 000 en janvier. "Depuis notre meeting, on enregistre une arrivée massive d'adhésions", assure Madeleine de Jessey. Le mouvement a effectivement réussi un joli coup médiatique grâce aux déclarations de Nicolas Sarkozy sur l'abrogation de la loi Taubira. D'ailleurs, plusieurs responsables UMP, à l'image de Benoist Apparu, contacté par francetv info, ne connaissaient pas cette structure avant le meeting.

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Au niveau des adhérents, Sens commun pourrait ressembler à un mouvement de jeunes catholiques de droite, comme l'affirme le journal La Vie. Mais Madeleine de Jessey juge cette vision réductrice : "Notre image de droite catholique commence à s'estomper, dans le 93 [la Seine-Saint-Denis], par exemple, on touche de plus en plus de populations musulmanes."

Est-ce un lobby de la Manif pour tous ?

Ses responsables l'assurent : Sens commun ne prend pas ses ordres auprès de la Manif pour tous. Même son de cloche du côté de la présidente de la Manif pour tous, Ludovine de La Rochère, contactée par francetv info : "On ne leur donne pas de conseils particuliers et je n'ai jamais eu une réunion de travail avec eux." Elle admet tout de même qu'elle connaît bien certains membres fondateurs et que des contacts ont été pris récemment, mais seulement pour "réfléchir aux moyens d'éviter les confusions entre nos deux mouvements".

Sens commun refuse donc d'être considéré comme le lobby de la Manif pour tous au sein de l'UMP, mais Madeleine de Jessey reconnaît que l'opposition au mariage pour tous fait partie de "l'ADN" du mouvement : "Si nous sommes vus comme un lobby, c'est surtout parce que nous sommes les seuls dans le parti à nous emparer des questions sociétales, l'UMP a toujours évité ces questions pour ne pas créer de division." Si Sens commun est perçu comme un groupe de pression, c'est aussi en raison de sa stratégie adoptée au cours de cette campagne. "Lors de leur tour de France, les candidats ont trouvé un peu partout dans leur meeting des gens de Sens commun, qui leur ont posé des questions sur le mariage pour tous", détaille un adhérent.

Comment se sont-ils rendus incontournables ?

Sens commun est parvenu en quelques semaines à s'imposer dans le paysage à l'UMP. "On est allés voir de nombreux responsables du parti avec un manifeste pour expliquer notre démarche et on s'est mis au travail", raconte Madeleine de Jessey. "Vu qu'on est présents sur le terrain, les candidats ont fini par se dire : 'ce Sens commun, on le voit partout, il faut qu'on compose avec'", ajoute un autre adhérent.

Le poids de Sens commun s'est révélé croissant à mesure que le sujet du mariage pour tous devenait central dans la campagne UMP. "Dans la quasi-totalité des meetings, on a une question là-dessus", confirme un membre de l'équipe de Bruno Le Maire. Pour imposer le thème, ils ont été bien aidés par Hervé Mariton, qui a axé sa stratégie sur l'abrogation de la loi Taubira, puis par Nicolas Sarkozy, qui a accepté de jouer leur jeu lors du meeting du 15 novembre. "Sarkozy leur a donné de l'importance en se rendant à ce meeting et en refusant par ailleurs toutes les autres invitations auxquelles avaient répondu les autres candidats", estime un proche de Bruno Le Maire. "C'est sûr que Sarkozy nous a donné un beau coup de pouce", admet un militant.

Le mouvement s'est aussi rendu séduisant aux yeux des candidats grâce au profil de ses membres, de jeunes actifs issus de la société civile pouvant incarner le renouveau d'un parti vieillissant. "Il y a de moins en moins de jeunes à l'UMP, en cela Sens commun répond à la problématique de la participation des gens de moins de 50 ans", affirme un adhérent. Sens commun ne rassemble, pour l'instant, que 2% des militants UMP, mais son influence semble bien plus forte que ses effectifs. 

Pour quel candidat roule Sens commun ?

Les responsables de Sens commun assurent qu'ils restent indépendants. "Hervé Mariton, c'est une des premières personnes qu'on est allés voir avant de fonder notre mouvement, mais ensuite on ne voulait pas devenir la chapelle d'un candidat", assure Madeleine de Jessey. Néanmoins, la proximité entre le député de la Drôme et Sens commun reste importante. "On va dans le même sens sur les questions sociétales, confirme la porte-parole, mais on garde des différences sur les questions économiques ou écologiques." 

Sens commun se dirige-t-il vers un vote massif pour Hervé Mariton le 29 novembre ? "Hervé Mariton, c'est le seul qui s'est fait acclamer lors du meeting, et c'est important de récompenser sa fidélité le 29 novembre", acquiesce un adepte. Mais pour Madeleine de Jessey, ce n'est pas si simple : "Les militants sont partagés entre voter pour Hervé Mariton, qui reste le plus clair sur l'abrogation de la loi, ou apporter un bulletin à Nicolas Sarkozy pour l'encourager après ses déclarations." Avec sa nouvelle position, l'ancien président pourrait donc siphonner une partie des voix du député de la Drôme.

Sens commun ne compte pas s'arrêter à sa performance du 15 novembre et compte bien peser sur la suite des événements avec, en ligne de mire, les primaires de 2016 qui permettront de désigner le candidat UMP à l'élection présidentielle. Madeleine de Jessey prévient déjà Alain Juppé : "Sa position sur la loi Taubira n'est pas cohérente du tout." Mais en attendant, la porte-parole savoure déjà une première victoire acquise avec le meeting du 15 novembre : "On a fait tomber le tabou de l'irréversibilité, cette idée qu'une loi sociétale ne peut pas être défaite."

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