Selon la juge Prévost-Desprez, un témoin dit avoir vu Nicolas Sarkozy se faire remettre des espèces chez la milliardaire
Les faits se seraient produits avant la présidentielle de 2007, selon les extraits d'un livre, "Sarko m'a tuer", écrit par deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, publiés par Libération et L'Express.
"Ce sont des allégations scandaleuses, infondées et mensongères", a répliqué l'Elysée.
"Une nouvelle enquête doit avoir lieu", a réagi la socialiste Martine Aubry.
Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont pu rencontrer et entendre la vice-présidente du tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine). Isabelle Prévost-Desprez dit avoir été "frappée" par "la peur (des témoins) de parler sur PV (procès-verbal) à propos de Nicolas Sarkozy".
"L'un d'eux m'a dit qu'il avait vu des remises d'espèces à Sarko", poursuit la magistrate dans le livre. Et elle précise: "L'infirmière de Liliane Bettencourt a confié à ma greffière, après son audition par moi: 'J'ai vu des remises d'espèces à Sarkozy, mais je ne pouvais pas le dire sur procès-verbal'".
La comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thiboult, avait déjà évoqué des remises d'espèces mais d'une façon vague.
La magistrate ajoute: "Il fallait me dessaisir par tous les moyens. Il était impératif de me débarquer".
Isabelle Prévost-Desprez, présidente de la 15e chambre du tribunal correctionnel de Nanterre, a été un temps saisie d'une citation directe de Françoise Bettencourt-Meyers. Laquelle accusait le photographe et écrivain François-Marie Banier d'avoir commis un abus de faiblesse sur sa mère. La magistrate avait alors ouvert un supplément d'information, lui permettant entre autres de réaliser des auditions de témoins. Cependant, ce volet de l'affaire ainsi que l'ensemble des enquêtes préliminaires menées par le procureur de Nanterre Philippe Courroye avaient été dépaysées à Bordeaux à l'automne 2010.
Pour Libération, les accusations d'Isabelle Prévost-Desprez semblent répondre à "l'extrême défiance" que le chef de l'Etat a alimenté à l'égard de l'institution judiciaire.
L'ex-infirmière n'a pas parlé d'"enveloppe"
L'ex-infirmière de Liliane Bettencourt a affirmé mercredi dans une interview à l'hebdomadaire Marianne (à paraitre samedi) qu'elle n'avait "pas parlé de remise d'enveloppes à Nicolas Sarkozy, ni à personne d'autre", à la juge.
"Lorsque j'ai été auditionnée par la juge Isabelle Prévost-Desprez, je ne lui ai pas parlé de remise d'enveloppes à Nicolas Sarkozy, ni à personne d'autre. Je n'en ai parlé ni à la juge, ni à sa greffière", déclare l'infirmière, identifiée sous les initiales HY, qui dit aussi avoir été la cible de "menaces de mort" dans cette "affaire sensible".
Pressée de dire si elle démentait les propos de la magistrate, elle ajoute : "N'insistez pas, je n'en dirai pas plus! (...) Je n'ai rien à cacher, je suis une femme honnête, mais je ne veux pas que mes propos se retournent contre moi. Cette affaire m'a déjà causé assez d'ennuis comme ça !"
"J'ai reçu des menaces de mort. On m'a fait savoir qu'à cause de mon témoignage dans l'affaire Banier-Bettencourt (le 24 janvier 2008, ndlr), on allait retrouver mon corps dans la Seine", poursuit l'infirmière qui fut au service des Bettencourt de septembre 2006 à juillet 2007.
Elle ajoute qu'elle n'a pas souhaité porter plainte après ces menaces : "porter plainte contre qui ? Contre l'invisible ? Contre l'Etat ?". A l'époque, aucun avocat n'a voulu s'occuper de moi au motif qu'il s'agissait d'une affaire sensible. Aussi, désormais, je ne parlerai plus qu'aux juges. Si un juge veut m'entendre, je suis à sa disposition", ajoute-t-elle.
Elle raconte être "une femme modeste et sans prétention". "Cette affaire Bettencourt m'a lessivée. Je n'ai pas gagné un centime dans cette histoire. J'étais payée 160 euros pour des vacations de 12 heures. Ca ne fait pas lourd ! Même le chien de Mme Bettencourt était mieux traité que moi. Il m'arrivait de m'endormir par terre quand, lui, avait le droit de se coucher sur le lit, bien au chaud dans les draps. Depuis, j'ai perdu mon travail, j'ai maigri de 10 kilos en six mois".
Réactions
Le premier ministre François Fillon fustige des "allégations" sans fondement après les accusations portées par Isabelle Prévost-Desprez. Il a souhaité que les procédures en cours "viennent rapidement" mettre un terme à ces "manipulations".
"Quand on a des accusations, on ne les porte pas dans un livre ni dans la presse mais en justice", a commenté mercredi sur France 2 la porte-parole du gouvernement, Valérie Pécresse, également ministre du Budget.
"On est à quelques mois de l'élection présidentielle, donc il ne faut être dupe de rien. Ce sont des allégations qui ont donné lieu à un démenti extrêmement clair de la part de l'Elysée", a réagi le secrétaire général de l'UMP, Jean-François Copé. "Je crois comprendre que c'était hors procès-verbal, que ce sont des attaques de la part d'un juge en exercice. Tout cela est quand même un peu étonnant", a-t-il ajouté.
François Hollande, candidat à la primaire PS, a déclaré mercredi 31 août à la presse qu'il y avait "trop de pression" de l'Elysée sur la justice, après les affirmations de la juge Isabelle Prévost-Desprez.
"Je ne comprends pas que Madame la juge n'ait pas exprimé cela devant le procureur, même si je sais les pressions dont elle a été l'objet et dont elle s'est d'ailleurs plainte. Je pense qu'aujourd'hui, je l'espère en tout cas, une nouvelle enquête va être ouverte", a réagi la candidate aux primaires socialistes Martine Aubry.
Ségolène Royal, candidate à la primaire PS : "Je souhaite que cette magistrate saisisse sans tarder le procureur de la République. Mais le procureur de la République a-t-il eu toute latitude pour enquêter? (...) Toute la question est de faire la lumière sur les dysfonctionnements qui conduisent aujourd'hui un juge, au lieu de saisir le procureur de la République, à donner comme ça une information".
Selon elle, "il n'y a pas eu d'enquête indépendante".
Benoît Hamon, porte-parole du PS, et Marie-Pierre de la Gontrie, secrétaire nationale aux libertés publiques et à la justice : (...) la juge d'instruction Isabelle Prévost-Desprez livre une information capitale. La manifestation indispensable de la vérité appelle l'action résolue de la justice afin que soient éclaircis les rôles de chacun et révélé, en particulier, l'innocence ou la responsabilité du président de la République"
Pour le député PS de l'Essonne Julien Dray, "il faut que les choses soient clairement explicitées devant les juges". "Dès qu'il y a un soupçon, il doit y avoir clarification", a estimé pour sa part le député-maire d'Evry (Essonne), Manuel Valls, lui aussi candidat à l'investiture socialiste pour la présidentielle.
La présidente du Front national, Marine Le Pen, a estimé que les révélations exigeaient "d'urgence des vérifications minutieuses et exhaustives". Jugeant ces révélations "d'une importance considérable", Marine Le Pen affirme qu'"elles mettent Nicolas Sarkozy au coeur du scandale Bettencourt et illustrent les pressions considérables exercées sur le fonctionnement de la Justice".
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