C'est qui le patron ? Bercy remanié en quatre questions
Pierre Moscovici, ancien ministre de l'Economie et des Finances, a transmis les clés de Bercy à ses deux successeurs, jeudi 3 avril. Arnaud Montebourg est à la tête de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique. Michel Sapin est aux Finances et Comptes publics. Un double pilotage qui présente des risques.
"Lequel de vous deux parle ?" Au moment de céder sa place de ministre de l'Economie et des Finances, jeudi 3 avril, Pierre Moscovici ne sait pas trop où donner de la tête. A ses côtés, deux hommes pour le remplacer : Michel Sapin et Arnaud Montebourg.
Une situation peu banale. Auparavant, le gouvernement comptait un ministère de l'Economie – qui faisait office de ministère des Finances – et un autre du Budget. Désormais, il existe un ministère de l'Economie (Arnaud Montebourg) et un autre des Finances (Michel Sapin), auquel est rattaché le Budget.
Un ministère calqué sur le modèle allemand ?
Il rêvait du Japon, il aura l'Allemagne. Comme l'explique le JDD, Arnaud Montebourg aurait volontiers pris la tête d'un superministère aux compétences élargies à l'image du "Meti" japonais, qui regroupe l'Economie, l'Industrie et le Commerce. En lieu et place, il devra partager la vedette à la tête de Bercy, sur un modèle déjà éprouvé depuis plusieurs années outre-Rhin. Au fil des ans, le gouvernement allemand a pris l'habitude de séparer les ministères de l'Economie et des Finances, quitte à proposer des duos hétéroclites au gré des coalitions. Actuellement, Sigmar Gabriel (SPD) est à la tête du premier, tandis que Wolfgang Schäuble (CDU) dirige le second. Chacun évite de marcher sur les plate-bandes du voisin mais "le pouvoir de chaque maison dépend bien sûr du poids politique de son hôte", soulignent Les Echos.
"Chacun s'interroge pour savoir comment Bercy peut avoir deux têtes", déclare Michel Sapin, lors du discours prononcé lors de la passation de pouvoir, jeudi. Et d'ajouter, un brin agacé. "Je suis toujours étonné parce qu'on ne pose jamais cette question à nos amis allemands (...). On ne nous posera plus cette question dans quelques semaines parce que vous aurez vu que c'est aussi ça, la manière moderne de faire en sorte que notre pays fonctionne", répond Michel Sapin. Rendez-vous est pris.
Montebourg a-t-il vraiment eu une promotion ?
Adieu le Redressement productif, bonjour l'Economie. Tout de suite plus chic sur un CV, d'autant qu'Arnaud Montebourg conserve son portefeuille précédent. L'heure est donc à l'autosatisfaction. "Mon ancien ministère reste intact, plus tout le reste. J'ai récupéré Hamon [Economie sociale], Pinel [Artisanat et Commerce], Pellerin [Economie numérique] et la moitié de Mosco", résume-t-il, selon des propos rapportés par Le Monde. Une nomination aux allures de promotion pour celui qui a soutenu Manuel Valls durant ces derniers mois, par exemple sur la question Rom. Et dont les prises de position contre la finance et la mondialisation offrent des garanties à l'électorat de gauche, échaudé par l'image marquée à droite du nouveau Premier ministre.
Pour autant, Arnaud Montebourg enjolive un peu les choses. Au moment de prendre la parole, lors de la passation de pouvoir à Bercy, c'est bien Michel Sapin qui parle en premier. C'est encore le ministre des Finances qui a obtenu le bureau du 6e étage, traditionnellement réservé au ministre de l'Economie et des Finances. Et c'est Michel Sapin, enfin, qui ira seul participer aux discussions budgétaires à Bruxelles et défendre le bilan des politiques fiscales françaises.
Deux hommes complémentaires ou incompatibles ?
"Le casting de Bercy est quand même hallucinant (...).On entretient savamment l'hésitation entre les deux lignes au sein du PS", a déclaré l'ancien ministre Luc Chatel, mercredi sur France 2. Apôtre de la démondialisation, Arnaud Montebourg entretient en effet une approche différente de celle de Michel Sapin, "hollandais" social-démocrate pur jus. Sans compter deux caractères bien différents. "La différence de style n'est pas rédhibitoire, juge un élu socialiste contacté par francetv info. Le point d'articulation à trouver, ce sera le discours européen."
"Chaque mot peut avoir des conséquences sur nos amis des marchés financiers", a déclaré Michel Sapin, comme un avertissement à son partenaire, qui avait lâché "Bruxelles, des connards !", selon des propos rapportés par Le Monde en août 2013. Message reçu pour l'instant. Cette fois, ce dernier a remercié "le patronat" lors de son discours, quelques minutes plus tard. Et même les banques, alors qu'il estimait en novembre que le "système bancaire ne faisait pas son travail".
Interrogée sur RFI, sur Karine Berger, secrétaire nationale du PS à l'économie, attend de voir le résultat. "Je suis intéressée de savoir comment notre nouveau ministre de l’Economie – qui est un champion de la lutte contre les paradis fiscaux et contre la fraude fiscale – va avoir des relations avec les banques et les assurances." Contacté par francetvinfo, un parlementaire PS estime en revanche "qu'on ne peut pas avoir un ministre qui négocie à Bruxelles pendant que l'autre dit du mal des institutions".
Plusieurs questions restent en suspens. A quel ministère vont échoir la direction du Trésor, la direction de la fiscalité ou l'Agence des participations de l'Etat – dont le travail a été salué par Arnaud Montebourg lors de son discours ? En attendant les décrets d'attribution, le grand immeuble de Bercy bruisse de tensions. Michel Sapin a promis de la "cohérence" dans les partages engagés avec son partenaire. Mais en interne, certains évoquent déjà une "guerre organisée", selon des propos cités par Le Nouvel observateur.
Le Commerce extérieur au Quai d'Orsay, pourquoi ?
Ça commence fort. Laurent Fabius et Arnaud Montebourg ont tous deux tiré la couverture pour récupérer le Commerce extérieur, mercredi 2 avril. Le lendemain matin, le nouveau porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, semble donner raison au premier sur Europe 1 : "Le commerce extérieur est désormais du domaine de l'international". Pourtant, la question ne semble pas définitivement tranchée : la passation de pouvoir a été reportée, faute d'arbitrage.
Pour Laurent Fabius, c'est l'occasion ou jamais. Depuis sa nomination, le chef du Quai d'Orsay cherche à mettre en œuvre le concept de "diplomatie économique". A l'été 2012, il annonce ainsi la création d'une direction consacrée aux entreprises et aux affaires économiques, au prix de quelques tensions avec son collègue Pierre Moscovici. Selon lui, l'ambassadeur doit être "à la tête de l'équipe de France de l'export".
"Arnaud Montebourg devrait récupérer le Commerce extérieur car l'administration est de son côté", estime un proche d'Arnaud Montebourg, contacté par francetv info. En attendant la décision de Manuel Valls, les discussions se poursuivent. "Je pense qu'il y a une vraie cohérence à plaider ce que Laurent Fabius appelle la diplomatie économique", a jugé Elisabeth Guigou, mercredi sur i-Télé. Pierre Moscovici, lui, a rappelé qu'il n'y avait "pas de diplomatie économique sans Bercy".
Quel que soit le ministère, le poste de secrétaire d'Etat devrait échoir à Fleur Pellerin, ancienne ministre déléguée chargée des PME, de l'Innovation et de l'Économie numérique. Absente lors de la passation de pouvoir à Bercy, Fleur Pellerin a été simplement "retardée", à en croire Arnaud Montebourg.
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