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Au Parti socialiste, le désarroi des salariés "placardisés" à l'approche d'un nouveau plan de licenciements

Trois ans après un plan social historique, le Parti socialiste, en difficulté financière, envisage de supprimer de nouveaux postes. Parmi les plus menacés : des salariés de longue date qui s'estiment déconsidérés depuis plusieurs années.

Article rédigé par Ilan Caro - Cyril Graziani
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, présente ses vœux depuis le siège du parti à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). (THOMAS SAMSON / AFP)

"On incarne un récit, l'histoire du parti, et c'est précisément ce dont ils ne veulent plus entendre parler." Comme plusieurs de ses collègues qui dénoncent les conditions de leur licenciement dans une lettre adressée lundi 1er février à franceinfo, Eric* sait que ses jours au sein du Parti socialiste sont comptés. La semaine dernière, le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a officiellement annoncé aux salariés et au bureau national la suppression de 11 postes de permanents pour des raisons budgétaires. Une nouvelle coupe après la suppression de 55 postes lors d'un plan social signé fin 2017, consécutif à la double débâcle des élections présidentielle et législatives.

Le plan social de 2017 et la vente du siège historique de la rue de Solférino (45,5 millions d'euros) – deux opérations engagées par la précédente direction, avant l'élection d'Olivier Faure – étaient censés remettre les comptes du parti à flot. Mais les prévisions se sont révélées bien trop optimistes. L'emménagement au nouveau siège d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) n'avait pas été budgétisé, explique à franceinfo la trésorière du PS, Pernelle Richardot, qui affirme par ailleurs avoir trouvé en arrivant "un découvert de 6 millions d'euros" sur l'un des comptes bancaires du parti.

21 suppressions de postes et 9 créations

Les résultats décevants du PS lors des élections européennes en 2019 et sénatoriales en 2020 ont ensuite fait chuter la "dotation publique", montant versé annuellement au parti par l'Etat. Pour ne rien arranger, la crise du Covid-19, avec ses périodes de confinement et de couvre-feu, a conduit au report sine die du congrès prévu en décembre à Villeurbanne (Rhône), limitant les renouvellements de cotisation des adhérents. Résultat fin 2020 : un gouffre de plus de 6 millions d'euros entre les prévisions et la réalité. "Sans mesure d'économies immédiates (...) la consommation de la trésorerie ne permettrait pas de commencer l'année 2022 avec les fonds nécessaires pour une campagne présidentielle", explique dans un document confidentiel que s'est procuré franceinfo la direction pour justifier son plan.

"Le PS, ce n'est pas une association de macramé. C'est un parti politique qui a l'ambition de gagner des élections. Et mon devoir, c'est de lui redonner une capacité de mouvement."

Pernelle Richardot, trésorière du PS

à franceinfo

Mais en interne, la pilule a du mal à passer, d'autant qu'en réalité, le plan présenté par les instances dirigeantes prévoit 21 suppressions et neuf créations de postes, sur un effectif actuel de 40 salariés. Parmi les personnes visées, "des personnes en longue maladie – victimes de cancer ou de dépression – ou encore en situation de handicap", et une moyenne d'âge "supérieure à 53 ans", écrivent les salariés dans leur courrier.

C'est en fait une réorganisation en profondeur qui se prépare au siège du parti en vue des prochaines échéances électorales. "Les embauches correspondent à des métiers nouveaux que nous n'avons pas au sein du parti [data analyste, chargé de communication numérique, graphiste, développeur web...]. On a dû faire des choix", explique à franceinfo Corinne Narassiguin, secrétaire nationale à la coordination et aux moyens, et numéro deux du PS.

"C'est ça, être socialiste ?"

Un service, en particulier, en fait les frais : la "direction des études et de la prospective", qui produit notes, mémos et synthèses thématiques à usage interne sur les sujets d'actualité, devrait perdre ses sept chargés d'études, comme le confirme le document présenté aux salariés.

"Je trouve particulièrement désolant qu'en pleine crise sanitaire, avec les conséquences économiques dramatiques que l'on sait, un parti licencie des salariés de 50 ans et plus, dont on sait très bien qu'ils ne retrouveront pas de travail de sitôt. C'est ça, être socialiste ?", s'indigne Eric*. Pour un certain nombre d'entre eux, l'épilogue qui se profile n'est toutefois pas une surprise, vu les relations dégradées qui règnent depuis plusieurs années dans les couloirs du parti.

"Au travail, nous avons l'impression de ne servir à rien. Quand nous envoyons des documents, nous ne recevons jamais d'accusés de réception. Nous sommes invisibles."

Aline*, salariée du PS

à franceinfo

"Il y a un an et demi, des CDD sont arrivés, avec lesquels nous n'avons jamais eu de lien. On a été démobilisés, placardisés", témoigne Barbara*, une autre employée.

Cette souffrance au travail, plusieurs salariés la font coïncider avec la nomination en janvier 2019 de l'ex-député de l'Essonne Carlos Da Silva, comme directeur de cabinet du Premier secrétaire Olivier Faure. "A partir d'aujourd'hui, nous ne sommes plus des camarades mais des salariés et un employeur !", aurait lancé l'ancien porte-flingues de Manuel Valls dès son arrivée, selon plusieurs salariés. Volonté d'imposer son autorité ou simple maladresse de langage ? La petite phrase a en tout cas fait mauvais genre chez des permanents qui ont toujours considéré le PS comme une famille, mais qui ont de plus en plus le sentiment de servir les intérêts d'une "entreprise déshumanisée""En interne, je ne signe plus mes courriels 'Amitiés socialistes', mais 'bien à toi'", observe Christine*, une autre salariée, pour illustrer ce glissement.

"Le règne du tout puissant directeur de cabinet"

"Depuis deux ans, [les salariés] vivent sous le règne du tout puissant directeur de cabinet Carlos Da Silva, dont les méthodes managériales n'ont rien à envier à celles employées jadis à France Télécom : intimidation, placardisation, humiliation, mépris, surveillance généralisée", accusent-ils dans leur courrier. "Tout est fait pour épuiser et désespérer les salariés les plus âgés, les pousser au départ." "Il ne fait pas de sentiment, il n'a aucune empathie", complète Eric*.

"Avec lui, tu ne fais pas le malin. On l'a souvent entendu hurler dans les couloirs. Il cultive une forme de management par la peur."

Un ancien salarié

à franceinfo

Plusieurs permanents interrogés par franceinfo relèvent cette anecdote, qui s'est produite lors de l'université d'été de la Rochelle en 2019 : une salariée a été rappelée à l'ordre et convoquée à la médecine du travail pour avoir été vue en train de siroter une bière avec une militante, l'alcool étant interdit pendant le temps de travail. L'année suivante, lors de l'université d'été de Blois, Carlos Da Silva aurait demandé devant une cinquantaine de personnes dont la salariée concernée "un comportement exemplaire", rappelant que l'une des leurs "s'était faite remarquer l'année précédente".

Signe d'une atmosphère délétère, en deux ans, des procédures disciplinaires ont été engagées contre pas moins de cinq salariés, pour des motifs graves mais contestés par les intéressés.

"On prendra le temps de l'écoute et de l'explication"

Interrogée sur ces tensions, Carlo Da Silva n'a pas souhaité les commenter. La direction du parti assure, elle, avoir tout fait pour tenter de déminer les situations difficiles. "Lorsqu'il est arrivé, j'ai vu Carlos Da Silva pendant des semaines et des semaines en entretien avec des salariés pour trouver des solutions avec ceux qui n'allaient pas bien. Depuis deux ans et demi, on a proposé beaucoup de formations, des ateliers de coaching... Je peux comprendre qu'il y ait des mécontents, mais attention à ne pas généraliser", estime Corinne Narassiguin.

"Oui, des salariés qui sont là depuis très longtemps ont pu être perturbés par l'arrivée de jeunes stagiaires qui bougent beaucoup, avec un style différent. Ils ont pu se sentir placardisés, mais c'était pas du tout le but."

Corinne Narassiguin, numéro 2 du PS

à franceinfo

"Si dire à un salarié qu'il doit se mettre au travail ou changer de comportement c'est faire régner la terreur, certains devraient faire attention aux mots qu'ils emploient", se défend-on au sein de l'équipe dirigeante.

Deux réunions potentiellement houleuses doivent se tenir ce mercredi au siège du parti, l'une avec les représentants du personnel, l'autre avec l'ensemble des salariés. D'autres suivront dans les prochaines semaines. "On prendra le temps de l'écoute et de l'explication", promet Pernelle Richardot. Ironie du calendrier, le PS inaugurera jeudi soir un nouveau rendez-vous sur les réseaux sociaux, intitulé le "Live du projet". Premier thème abordé cette semaine : le travail, "un emploi pour tous, un travail digne pour chacun". "Ce serait à mourir de rire si l'heure n'était si dramatique", déplorent les salariés dans leur lettre.

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.



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Réponse de Carlos Da Silva (ajoutée le 2 avril 2021)

Je conteste fermement les propos qui me visent, contenus dans la lettre anonyme évoquée dans cet article.

Aucun salarié, en ce compris les membres du Comité Social et Economique (CSE) du Parti socialiste, n’a été destinataire d’une plainte ou d’un signalement concernant mon attitude ou des propos que j’aurais tenus à l’égard de salariés.

Je n’ai jamais adopté la moindre attitude « humiliante », « méprisante » ou « intimidante » à l’égard de salariés. Je n’ai jamais non plus « hurlé » sur un salarié.

Plus précisément, l’article appelle de ma part les observations factuelles suivantes :

- J’ai pris mes fonctions de Directeur général du Parti socialiste et de directeur du Cabinet du Premier secrétaire du parti au mois de janvier 2019.

- Je n’ai, à aucun moment, indiqué aux salariés qu’ils ne devaient plus s’appeler « camarades » mais simplement rappelé que la relation « camarade - militant » devait coexister avec celle de salarié.

- Dans les mois qui ont suivi mon arrivée, j’ai reçu en entretien individuel chacun des salariés afin de faire le point sur leurs fonctions et leurs aspirations professionnelles. Quelques salariés m’ont confié, à l’occasion de ces entretiens, ressentir une certaine souffrance au travail, bien antérieure à ma prise de fonction. C’est pourquoi, j’ai fait conduire, au cours de l’année 2019, un audit social au sein d’un service. Tous les salariés de ce service ont été reçus et ont pu exprimer leurs souhaits et suggestions sur l’organisation du travail. Des propositions, suivies d’effet, ont été faites par l’auditeur externe pour renforcer le travail en équipe, la solidarité, la communication bienveillante, la diversification des tâches, l’intérêt pour les missions et les retours sur le travail accompli.

- J’ai également organisé une restitution du « séminaire participatif » auquel l’ensemble des salariés a participé et au cours duquel ils ont pu exprimer leurs souhaits et propositions quant à l’organisation du travail.

- J’ai, en outre, proposé aux responsables de service de suivre des séances de « coaching », portant notamment sur « la communication managériale » et « l’identification des missions et des compétences ».

- Par ailleurs, j’ai incité les salariés à demander à suivre des formations. Toutes les demandes ont été acceptées et les formations réalisées. Ainsi, environ 60% des salariés ont bénéficié de séances de « coaching » ou de formations sur la seule année 2020.

En conclusions, j’ai pris de nombreuses mesures pour améliorer les conditions de travail.

- J’ai répondu à toutes les demandes de rendez-vous qui m’ont été faites par des salariés et essaie de le faire pour toutes les notes qui m’ont été adressées par eux. Je n’ai jamais « placardisé » aucun salarié.

- Ayant constaté à quelques reprises que des salariés avaient consommé de l’alcool sur le lieu et pendant le temps de travail, j’ai demandé au médecin du travail, sans ne stigmatiser aucun salarié, d’animer une séance de prévention et de sensibilisation aux addictions, dans un but de protection de la santé des salariés et pour leur apporter de l’aide. Un suivi individuel a été mis en place pour les salariés l’ayant souhaité.

- Il est inexact de prétendre que j’ai poussé des salariés « au départ ». En effet, aucun salarié n’a démissionné depuis ma prise de fonction. Je n’ai notifié qu’un seul licenciement pour des faits fautifs.

J’ai dû, par ailleurs, notifier trois sanctions autres que des licenciements à raison de comportements inadaptés et irrespectueux, ceci afin de rappeler que chaque salarié doit faire preuve de respect et courtoisie envers ses collègues. Si ces sanctions ont pu créer des mécontentements, aucun salarié ne les a contestées devant le Conseil de Prud’hommes.

Enfin, quelques salariés ont formé, de leur propre initiative, des demandes de rupture conventionnelle de leur contrat de travail pour convenance personnelle (projets de déménagement ou de réorientation professionnelle) sans que cette demande ne s’inscrive dans un cadre conflictuel.

Au contraire, dans une logique de bienveillance, et ma volonté étant d’accompagner et de sécuriser le parcours des salariés dans leur projet professionnel, ces demandes de rupture conventionnelle ont été acceptées.

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Précision de franceinfo : Les auteurs ont bien contacté Carlos Da Silva lors de la rédaction de cet article. Celui-ci a répondu à nos questions, tout en demandant que ses propos ne soient pas reproduits. 

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