Pourquoi le Conseil constitutionnel censure-t-il autant de lois ?
Depuis 2002, plus d'une loi sur deux a été retoquée par les Sages, qui ont rejeté, mercredi, une partie du pacte de responsabilité de François Hollande.
Avec le Conseil constitutionnel, ça casse plus souvent que ça ne passe. La baisse des cotisations salariales inscrite dans le budget rectificatif de la Sécurité sociale a été rejetée, mercredi 6 août, par les Sages. Cette censure d'un volet majeur du pacte de responsabilité de François Hollande force le gouvernement à revoir sa copie, comme cela est déjà arrivé au président de la République sur 25 autres textes depuis 2012.
Le chef de l'Etat, comme ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, voit environ la moitié de ses projets contrariés, au moins partiellement, par le Conseil constitutionnel. Autant de "claques", selon l'opposition, qui reproche au gouvernement un "défaut de méthode" et un "amateurisme" qui font "perdre du temps à la France". Pourquoi tant de censures de la part des Sages ?
Parce que le gouvernement prend des risques
Lors du vote d'un projet de loi, le gouvernement sait parfois que certaines dispositions du texte sont susceptibles d'être rejetées par le Conseil constitutionnel. Il prend alors "un risque calculé, en se disant que les Sages peuvent trancher dans un sens comme dans l'autre", explique à francetv info Pierre Esplugas, professeur de droit public à l'université d'Auvergne.
Le gouvernement peut avoir été averti de ce risque par le Conseil d'Etat, qui rend un avis sur chaque texte avant la présentation en Conseil des ministres. Le Conseil d'Etat juge certains risques surmontables, mais conseille parfois une modification du projet quand le risque est trop fort.
"Les gouvernements espèrent souvent que ça passera, avec une certaine désinvolture, reconnaît auprès de francetv info le président UMP de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, Gilles Carrez. Il faut pourtant être prudent, d'autant que le texte rejeté mercredi avait été annoncé par Manuel Valls dans l'empressement, huit jours après son investiture." Le recours à la procédure d'urgence, qui nuit parfois à la qualité des textes, est un autre élément avancé pour expliquer certaines censures.
Parce que le travail parlementaire est parfois bâclé
Le risque peut également provenir, non pas du texte initial, mais de concessions faites au Parlement. "Confronté en interne à sa majorité, le gouvernement peut laisser passer des amendements à la portée juridique mal étudiée, analyse Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l'université Paris 1, contacté par francetv info. Or, tout ce qui provient de négociations et d'amendements ne passe pas devant le Conseil d'Etat, ce qui est source d'insécurité juridique."
"Puisqu’il est rarement à l’initiative, le Parlement compense en voulant apporter sa pierre, mais, très souvent, il ajoute des pages et des pages et la qualité de la loi peut se perdre", regrette le sénateur PS David Assouline, cité par le site de Public Sénat. "La plupart des censures viennent des amendements", abonde un membre du Conseil d'Etat, interrogé par francetv info.
Le député Gilles Carrez dénonce également "l'incontinence législative" de ses collègues. Il s'inquiète de l'apparition de "logiciels d'écriture automatique des amendements" : "Avant, les collègues prenaient la peine de réfléchir, mais aujourd'hui c'est n'importe quoi, ils connaissent à peine les amendements qu'ils écrivent", dit-il.
Parce que les Sages peuvent être imprévisibles
Même avec les meilleures intentions, impossible d'être assuré d'un feu vert du Conseil constitutionnel. Si l'institution a "une jurisprudence assez constante", il y a "une part d'incertitude" quant aux décisions rendues, car "on ne sait pas où le Conseil constitutionnel va placer le curseur" entre différents principes, explique le constitutionnaliste Bertrand Mathieu.
Ainsi, sur la baisse des cotisations salariales censurée mercredi, le socialiste Gérard Bapt fait part de sa "surprise" à francetv info, car "le Conseil constitutionnel avait validé le paquet fiscal de Nicolas Sarkozy, où figurait une exonération de cotisations salariales pour les heures supplémentaires". "Il y avait plusieurs thèses en balance", reconnaît Gilles Carrez, qui s'attendait à cette censure, sur la base d'une précédente annulation, en 2000, d'une disposition rendant la CSG progressive.
Le Conseil constitutionnel peut aussi faire évoluer sa jurisprudence et prendre des décisions imprévisibles, même pour le Conseil d'Etat. "Il ne faut pas dramatiser les censures du Conseil constitutionnel, relativise le professeur Pierre Esplugas. Ce n'est pas grave en soi et ne doit pas être perçu comme un message politique adressé à une majorité."
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