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Affaire Urvoas : "Le problème majeur, c'est la question de l'indépendance du parquet vis-à-vis du pouvoir politique", estime un avocat au Barreau de Paris

Pour Jérôme Karsenti, avocat au Barreau de Paris, les soupçons qui pèsent sur l'ancien garde des Sceaux, soupçonné d'avoir brisé le secret professionnel, pose "la question du conflit d'intérêt interne à la justice".

Article rédigé par franceinfo
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Jean-Jacques Urvoas, alors garde des Sceaux, le 19 avril 2017 à Paris. (JULIEN MATTIA / NURPHOTO / AFP)

La Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger les actes des membres du gouvernement, a été saisie dans l'affaire Urvoas. L'ex-garde des Sceaux est soupçonné d'avoir brisé le secret professionnel en transmettant au député Thierry Solère des informations sur une enquête pour fraude fiscale le concernant. Jérôme Karsenti, avocat au Barreau de Paris et avocat de l'association anticorruption Anticor, a estimé jeudi sur franceinfo que Jean-Jacques Urvoas "a violé le secret de l'enquête" mais "pas le secret de l'instruction puisqu'il n'y a pas d'instruction". Pour lui, "la question du conflit d'intérêt interne à la justice qui est posée ici" est centrale.

franceinfo : Cette affaire fait-elle désordre ?

Cela met en exergue ce qu'on sait, c'est-à-dire que le parquet est sous l'autorité du garde des Sceaux, que le parquet donne des informations au garde des Sceaux et qu'il y a des liens qui permettent au pouvoir politique d'intervenir d'une manière ou d'une autre dans les affaires judiciaires. Quand on est l'avocat d'Anticor et qu'on a mené des actions judiciaires dites emblématiques dans un certain nombre de cas : souvenons-nous de l'affaire Chirac, le procureur de la République de Paris est venu nous dire à l'audience qu'il n'y avait pas d'infraction. Mon premier adversaire, dans toutes les affaires judiciaires que j'ai portées avant la création du Parquet national financier, c'était le procureur de la République qui s'opposait à l'ouverture d'actions judiciaires contre des politiques parce qu'il avait des ordres qui venaient du pouvoir politique.

Jean-Jacques Urvoas a-t-il violé le secret judiciaire ?

Il a violé le secret de l'enquête, il n'a pas violé le secret de l'instruction puisqu'il n'y a pas d'instruction. Il y a une enquête préliminaire qui était sous le contrôle du procureur de la République. Et, effectivement, dans le cadre de la remontée d'informations dont a bénéficié monsieur Urvoas, il a violé ce qui est de sa responsabilité, c'est-à-dire le secret professionnel dont il était détenteur du fait de sa responsabilité. Il [Jean-Jacques Urvoas] risque qu'il y ait une instruction. On comprend que la Cour de justice de la République a été saisie. Il y a la commission d'instruction qui va enquêter. À l'issue de cette enquête, il y aura ou non un renvoi de monsieur Urvoas devant la Cour de justice de la République.

Cette affaire pose finalement le problème de l'indépendance du parquet...

Le problème majeur, c'est la question de l'indépendance du parquet vis-à-vis du pouvoir politique. Cette remontée d'informations est légale. Ce qui n'est pas légal, c'est la transmission de cette information. Mais pourquoi cette remontée d'information pose question ? Parce qu'on voit bien que d'une manière ou d'une autre, le politique qui est mis en cause dans une affaire va tout de suite dire que "c'est la mainmise du pouvoir politique de l'autre bord". Par exemple, rappelons-nous qu'au moment de l'affaire Fillon, Fillon a accusé le pouvoir politique d'être derrière en se servant du bras armé du parquet pour agir contre lui et l'empêcher d'être candidat, de la même manière que d'autres ont dit que si Richard Ferrand n'avait pas été poursuivi par le parquet de Brest, c'est parce que de l'autre côté, le pouvoir politique le protégeait. La question centrale est celle du conflit d'intérêt interne à la justice qui est posée ici. Tant qu'il n'y aura pas de rupture du lien et du cordon ombilical, on n'en sortira pas. (...) Le problème, c'est qu'on ne peut pas faire confiance à l'humain, la démocratie, ce sont les pouvoirs et les contre-pouvoirs. Il faut des garanties constitutionnelles car l'humain est faillible.

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