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Macron et les “illettrées” de Gad : vraie maladresse et faux procès

Les propos d’Emmanuel Macron sur les “illettrées” de Gad, ce mercredi matin, ont fait polémique, obligeant le ministre de l’Economie à s’excuser dans l’après-midi. Retour sur une vraie maladresse, mais surtout un faux procès.
Article rédigé par Matthieu Mondoloni
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
  (Emmanuel Macron a présenté ses excuses à l'Assemblée nationale mercredi. © Maxppp)

Tout est parti d’un banal extrait de l’interview accordée par Emmanuel Macron à Europe 1 ce mercredi matin. Un banal extrait dont on ne retiendra qu’un mot : “illettrées”. Un mot sorti de son contexte et qui, dans la bouche du ministre de l’Economie, n’avait a priori rien de péjoratif.

Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’extrait entier : "Il y a dans cette société [Gad], une majorité de femmes, il y en a qui sont, pour beaucoup illettrées, pour beaucoup on leur explique: ‘Vous n'avez plus d'avenir à Gad ou aux alentours. Allez travailler à 50 ou 60 km!’ Ces gens-là n'ont pas le permis de conduire, on va leur dire quoi ? ". D’ailleurs, même sorti de son contexte, ce mot n’a rien de péjoratif. Selon le Larousse, une personne illettrée est “quelqu’un qui ne sait ni lire ni écrire ”. Pourquoi, dès lors, ces propos ont-ils fait polémique?

Michel Sapin avait tenu des propos similaires

Pour Philippe Moreau Chevrolet, expert en communication, “le problème est que ces déclarations interviennent dans un contexte de polémique sur les ‘sans-dents’, de virage dans la politique du gouvernement qui n’est pas bien vécu. Emmanuel Macron est un peu le bouc émissaire de cette situation (...) mais ce qu’il a dit est vrai ”.

Sévèrement tancé par la droite, qui a vu dans ces propos une nouvelle occasion d’attaquer leurs adversaires politiques, le ministre de l’Economie a été contraint de s’excuser dans l’après-midi, à l’Assemblée nationale. Pourtant, d’autres avant lui avaient déjà utilisé le mot “illettré” pour dénoncer la situation difficile dont sont victimes les salariés de Gad depuis plusieurs mois.

Le problème de la formation chez Gad

Le 18 février dernier, lors d’une séance au Sénat, Michel Sapin, alors ministre du Travail, avait lui aussi employé le terme d’illettré pour parler des employés de Gad. On retrouve trace de ces propos dans un compte-rendu disponible sur le site du Sénat.

  (Sapin)
Là encore, rien de choquant. Simplement un échange entre Michel Sapin et des sénateurs, qui s’inquiétaient déjà des possibilités de reconversions des salariés des abattoirs Gad. Pourquoi ces propos n’avaient-ils pas créé les mêmes réactions ? Contexte différent, et image différente.

Une maladresse politique

Michel Sapin n’est pas Emmanuel Macron. Ce dernier “vient du privé, de la banque ", poursuit Philippe Moreau Chevrolet. "Il a l’image d’un homme riche issu d’un secteur qui n’est pas à proprement parlé classé à gauche. On lui reproche ce qu’il est. Il fait les frais de son statut de débutant. " En d’autres mots, le ministre de l’Economie a commis une maladresse politique qui lui coûte très cher.

Car il y a bel et bien un problème d’illettrisme pour certains employés de Gad, comme le mentionnait d’ailleurs un article d’Europe1.fr en décembre 2013, qui citait même le chiffre de 20% de salariés victimes d’illettrisme. Des formations leurs sont dispensées par le Gref de Bretagne depuis 2010. Une formation pour “travailler la lecture, l’écriture et l’expression orale (...) Ce dispositif permet aussi aux salariés de reprendre confiance en eux ”, précise l’organisme sur son site internet.

"Illettré" n'est pas une insulte

"Il aurait dit que pour une minorité d'ex-salariés de Gad, l'illettrisme et l'absence de permis de conduire constituent un frein au retour à l'emploi, que c'est extrêmement difficile, je n'aurai rien eu à redire ", reconnaît d’ailleurs, sur le site du Télégramme, Olivier Le Bras, ancien délégué FO de Gad Lampaul, licencié cet été. Emmanuel Macron a, lui, parlé “de femmes qui sont, pour beaucoup, illettrées ”.

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C’est un fait, certainement pas une insulte, comme le rappelle Sophie Dessus, la député socialiste de Corrèze : “Qu’on arrête l’hypocrisie. Pour l’illettrisme, l’erreur n’est pas à la personne qui ne sait ni lire ni écrire, mais à la société et à l’école qui n’a pas su trouver la solution ”. C’est d’ailleurs en substance, le message qu’essayait de faire passer Emmanuel Macron, qui devrait se souvenir longtemps de sa première interview en tant que ministre.

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