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"L’oligarchie des incapables", le brûlot qui dénonce "la faillite des élites"

Alors que la France s'enfonce dans la crise, "L’oligarchie des incapables", livre cosigné par Sophie Coignard et Romain Gubert, dénonce une caste privilégiant ses intérêts propres à l'intérêt général sans avoir à répondre de ses défaillances.
Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Sophie Coignard et Romain Gubert (Albin Michel)

Alors que la France s'enfonce dans la crise, "L'oligarchie des incapables", livre cosigné par Sophie Coignard et Romain Gubert, dénonce une caste privilégiant ses intérêts propres à l'intérêt général sans avoir à répondre de ses défaillances.

Paru début janvier, "L'oligarchie des incapables" était à la seconde place des meilleures ventes livres d'Amazon, vendredi 13 janvier, à 100 jours de la présidentielle.

Les journalistes de l'hebdomadaire Le Point Sophie Coignard et Romain Gubert dénoncent au vitriol "une oligarchie sûre d'elle", qui a largement manqué, estiment-ils, aux "devoirs d'exemplarité" et d'"intégrité". Principalement visée, l'inspection des finances : la "crème de la crème" des énarques, qui a majoritairement déserté le service public.

"La passion honteuse de l'argent-roi"

Quand cette noblesse d'Etat est-elle devenue une noblesse d'affaires cultivant "la passion honteuse de l'argent-roi" et "l'obsession des cumuls", au détriment du bien public et de l'intérêt général ? Au moment où les privatisations de droite et de gauche ont permis que des inspecteurs des finances doublent, triplent, ou décuplent leurs salaires en prenant la tête d'établissements financiers.

Rien d'étonnant, donc, si une étude a révélé en 2010 que seuls 90 des 210 inspecteurs des finances en activité étaient encore dans le service public...et 120 passés au privé. "L'inspection est devenue une agence haut de gamme. Le contrôle des finances publiques, lui, attendra", écrivent Sophie Coignard et Romain Gubert.

Le "millefeuille" des rémunérations

Les auteurs retracent d'une plume savoureuse les trajets de ces nouveaux mercenaires. Parmi les plus emblématiques, celui de Stéphane Richard, ancien strauss-kahnien devenu conseiller de Nicolas Sarkozy, enrichi dans l'immobilier et présidant désormais France Telecom.

Autre jolie carrière, celle de François Pérol. Secrétaire général adjoint de l'Elysée, cet HEC, énarque et inspecteur des finances, s'est occupé du mariage de raison entre les groupes Banque populaire et Caisse d'épargne. Et, qui a pris la tête de ce nouvel ensemble, devenu le deuxième groupe bancaire français, début 2009 ? Lui-même, nommé par le pouvoir politique.

Cette nouvelle oligarchie plaide volontiers l'austérité pour les autres, moins pour elle même. Après celui de Philippe Villemus ("Le patron, le footballeur et le smicard"), les auteurs détaillent le "mille-feuille" (salaires, retraites chapeaux, jetons de présence, stocks-options...) de ces dirigeants qui ne sont jamais -ou si rarement - jugés sur leur résultats.

Qui se souvient encore, entre autres exemples, que le patron de Dexia, Pierre Mariani, a vu en 2010 son salaire passer de 825 000 euros à 1,2 million, avec une prime de 600 000 euros ? Quelques mois à peine avant que l'établissement n'accuse des milliards de pertes à l'été 2011.

Le libéralisme sans la transparence

Mais si nos élites se sont converties aux valeurs du libéralisme, elles adhèrent moins à celle de transparence, rappellent Sophie Coignard et Romain Gubert, chiffres et anecdotes à l'appui. Les comparaisons avec nos voisins ne sont guère flatteuses : la France figure à la 25e place du classement Transparency International sur l'indice de perception de la corruption, loin derrière les Pays-Bas, l'Allemagne ou le Royaume-Uni.

Cette opacité règne également en politique, souligne le livre, qui y consacre plusieurs chapitres. Et d'évoquer les déboires du député René Dosière demandant à chaque ministre des détails sur son train de vie et celui de son ministère. Un seul lui a répondu dans les délais : Jean-Pierre Jouyet.

Preuve que le sujet dérange, l'essai de Martin Hirsch paru en 2010, , avait été accueilli à boulets rouges par la majorité... en particulier par Jean-François Copé, alors "salarié dans un grand cabinet d'affaires". Il a débouché sur une commission, puis un projet de loi mort-né.

Peu de contrepouvoirs

Face à cette élite totalement coupée des réalités du quotidien, quels contrepouvoirs ou quelles sanctions si elle a failli, comme le montrent la crise, la dette, l'explosion du chômage, les services publics à la peine? demandent crûment les auteurs, qui peuvent désormais rajouter à la liste la perte du triple A.

La presse ? Elle est moins incisive qu'à l'étranger. La justice ? Le pôle financier a de moins en moins de moyens, et des impératifs de productivité incompatibles avec la complexité des dossiers.

La question de l'exemplarité des élites sur le tapis

Reste le bulletin de vote. Lors de ses voeux, Nicolas Dupont-Aignan a rendu hommage au "beau livre" des deux journalistes et s'est emparé avec un visible plaisir de l'expression "oligarchie des incapables".

Comment les deux essayistes prennent-ils un tel hommage ? Ils n'entendent faire le jeu d'aucun candidat, mais notent que la question de l'exemplarité des élites est désormais sur le tapis.

"Ce n'est pas un hasard, dit Sophie Coignard, si Nicolas Sarkozy vient de reparler d'une 'République irréprochable', alors que celle-ci n'a pas avancé, mais reculé sous son quinquennat".

N'ont-ils pas le sentiment d'avoir noirci le tableau ? "Le livre énerve beaucoup de gens et en enthousiasme beaucoup d'autres. Même au sommet. Un haut responsable m'a dit que j'étais en dessous de la vérité", confie Sophie Coignard.

Rappelons qu'au sein même d'une élite largement présentée comme obsédée par l'argent, des hauts fonctionnaires ont gardé le sens de l'intérêt public. Cela suffira-t-il à endiguer, pour parler comme Jean-Luc Mélenchon, "la colère populaire" ?

"L'oligarchie des incapables" Sophie Coignard, Romain Gubert (Albin Michel, 20 euros).

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