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"Pourquoi parler quand il n'y a rien à dire ?" : on a vérifié s'il y avait vraiment 50 députés LREM "fantômes" à l'Assemblée

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le président du groupe La République en marche, Richard Ferrand, à Paris, le 24 octobre 2017. (MAXPPP)

Selon un classement du magazine "Capital", les députés de la majorité seraient les moins travailleurs de l'Assemblée, tandis que "L'Obs" affirme carrément que 50 d'entre deux ont totalement disparu des radars. Qu'en est-il vraiment ? 

Travail largement insuffisant. Voilà en substance le bilan de Capital sur les députés de La République en marche, réalisé en décembre à partir des données publiques de l'Assemblée nationale compilées par le site nosdeputes.frD'après le classement du magazine, "les députés En marche sont en vérité loin d’avoir été les plus assidus aux travaux parlementaires". "En moyenne, poursuit le journal, [ils] se révèlent beaucoup moins travailleurs que les députés républicains, socialistes et de La France insoumise, de loin les plus bosseurs."

Pire, selon le magazine L'Obs publié fin janvier, "une cinquantaine de députés 'marcheurs' semblent avoir déserté les bancs de l'Assemblée nationale", et ce "depuis le début de l'année". Du côté de l'opposition, certains ne manquent pas de s'engouffrer dans la brèche. "Leur présence est beaucoup moins forte et leurs rangs, de plus en plus clairsemés", affirme le député Daniel Fasquelle, également trésorier des Républicains. "Clairement, il y a un désengagement ostentatoire", renchérit Olivier Faure, le président du groupe Nouvelle Gauche.

Qu'en est-il réellement ? Y a-t-il vraiment une cinquante de députés LREM "fantômes" ? Franceinfo a interrogé les macronistes les plus discrets – selon les statistiques – du Palais-Bourbon.

"Tant qu'il n'y a rien à dire, il ne faut rien dire"

Bruno Bonnell est l'un de ceux-là. Pourtant régulièrement invité dans les médias depuis sa victoire sur l'ex-ministre Najat Vallaud-Belkacem, le député du Rhône termine avant-dernier du palmarès de Capital. Sa courbe d'activité sur nosdeputes.fr ressemble d'ailleurs à un encéphalogramme plat. Seulement 19 présences rélevées au sein de la Commission des Affaires étrangères qui, au 30 janvier, s'était pourtant déjà réunie 52 fois. Un amendement proposé. Et aucune intervention longue dans l'Hémicycle, au sein duquel il affirme pourtant avoir été "très ému" d'entrer.

L'activité parlementaire de Bruno Bonnell, député LREM de la 6e circonscription du Rhône.  (NOSDEPUTES.FR)

"Qu'avez-vous fait pendant sept mois ?", l'interroge-t-on. "Rien, lâche-t-il, un brin provocateur. Ce n'était pas mon moment." L'entrepreneur se reprend aussitôt : "J'ai appris ce que c'était le métier de député, puis j'ai travaillé sur les dossiers qui m'intéressent, à savoir l'entreprise et le numérique. J'ai aussi passé beaucoup de temps en circonscription, pour comprendre ce qu'était la mission de parlementaire".

Je n'ai jamais autant travaillé de ma vie.

Bruno Bonnell, député LREM du Rhône

à franceinfo

Plusieurs élus LREM épinglés insistent, comme lui, sur la nécessité de trouver ses marques à l'Assemblée. C'est le cas de Blandine Brocard. En septembre, l'élue du Rhône a été affublée par certains médias du surnom peu glorieux de députée "fantôme", après un article de Lyon Mag sur la déception de certains militants de sa circonscription. "Durant ces premiers mois, je me suis effectivement faite discrète pendant les débats, écoutant mais sans prendre la parole, comme d'ailleurs la plupart des députés de tous bords", justifiait-elle sur Facebook. Contactée par franceinfo, elle n'a pas donné suite à nos sollicitations.

"J'estime qu'il ne faut pas parler quand on n'a rien à dire", assure également Valéria Faure-Muntian. Députée de la Loire, et critiquée par certains élus pour son manque de disponibilité, elle reconnaît néanmoins que "c'est peut-être [son] tort de ne pas participer suffisamment". "Je ne me précipite pas, j'estime être une jeune élue", assume, de son côté, Patricia Mirallès. La députée n'est pourtant pas tout à fait une novice en politique, comme le rappelle ce portrait de France Bleu : quinze ans de militantisme au PS, suivis d'un mandat de conseillère municipale à Montpellier et d'un autre de conseillère départementale de l'Hérault. A Paris, à l'Assemblée, elle n'a à son actif qu'une intervention longue dans l'Hémicycle – une question sur les effectifs du tribunal de grande instance de Montpellier.

Tant qu'il n'y a rien à dire, il ne faut rien dire. J'ai besoin de temps, j'apprends beaucoup.

Patricia Mirallès, députée LREM de l'Hérault

à franceinfo

Patricia Mirallès a également été victime de problèmes de santé, qui ont occasionné "des déplacements compliqués" pour elle. "Je souffre d'une blessure au pied, j'ai été en fauteuil roulant pendant deux mois, et j'ai toujours une béquille", dit-elle. A l'image des autres députés contactés par franceinfo, elle assure cependant ne pas compter ses heures. "Je dors deux-trois heures par nuit et il m'arrive de dormir dans mon bureau", raconte l'élue.

Claire O'Petit connaît, selon ses dires, le même rythme de travail. Déjà connue pour ses interventions dans "Les Grandes Gueules", sur RMC, ou ses propos polémiques sur la baisse des APL, l'élue de l'Eure n'est pourtant "jamais intervenue dans l'Hémicycle", tacle Capital dans son édition de décembre. Le classement du magazine l'a-t-elle motivée ? Depuis qu'il a été publié, Claire O'Petit semble s'être rattrapée. "En janvier, j'ai posé deux questions dans l'Hémicycle", lance-t-elle à franceinfo.

"Ces critères sont désuets"

Les députés LREM épinglés par Capital dénoncent auprès de franceinfo les critères retenus par le magazine : les présences et les interventions en commission, les interventions dans l'Hémicycle et les amendements proposés. Des données publiques, compilées depuis plusieurs années déjà par nosdeputes.fr, et effectivement pas franchement favorables à LREM. Exemple : entre les législatives de juin 2017 et début février, 17 députés n'ont, selon les retranscriptions de l'Assemblée nationale, jamais prononcé un mot dans l'Hémicycle. Quinze d'entre eux sont des élus macronistes.

Avant l'examen du projet de loi sur la protection des données personnelles ces derniers jours, Bruno Bonnell était à peine plus bavard, avec quatre (très) brèves interventions recensées dans l'Hémicycle début février. Les voici in extenso : "Très bien !", "Ce n'est pas vrai ! N'importe quoi !", "C'est hors-sujet !" et "Ah, bravo !" "Ces critères sont désuets, complètement décalés par rapport à la réalité de notre métier", dénonce l'intéressé.

Si l'on comptabilisait les interventions que je fais auprès des gens pour expliquer notre politique, je serais sans doute le mieux classé. Si l'on comptabilisait les interventions médiatiques, je serais sans doute le mieux classé. Je lis aussi beaucoup, là aussi je serais le mieux classé.

Bruno Bonnell, député LREM du Rhône

à franceinfo

"Moi, je suis dans un groupe d'études sur la fin de vie, je travaille aussi dans un groupe de travail pour la prévention de la radicalisation et la réinsertion citoyenne au niveau scolaire, liste la députée du Rhône Danièle Cazarian. Or, là-dessus, il n'y a pas de visibilité, contrairement à des présences en commissions ou dans l'Hémicycle."

Les bons points, les mauvais points, je ne suis pas là pour ça. Je suis pas dans une logique comptable.

Danièle Cazarian, députée LREM du Rhône

à franceinfo

Six des 20 députés LREM les moins bien classés par Capital appartiennent à la commission de la Défense. Or, il est vrai, cette dernière se réunit moins souvent que les autres. Seulement 39 réunions selon un décompte daté du 30 janvier, contre 108 pour leurs collègues des Finances ou 62 pour ceux des Lois. "Sept réunions sur 10 se font à huis clos et ne sont pas comptabilisées sur mon temps de travail", explique Jean-Philippe Ardouin, député LREM de Charente-Maritime, à La Haute Saintonge.

"Je suis dans une commission où l'on n'est pas visibles, abonde la députée Patricia Mirallès. Quand on évoquera en juin la loi de programmation militaire, on parlera plus que les autres et on dira : 'Ah tiens, elle s'est mise à bosser'. Je ne rentrerai pas dans ce cirque médiatique." "J'ai passé plus de cinquante jours auprès des militaires pour un rapport, ce travail n'est pas pris en compte par nosdeputes.fr", renchérit Gwendal Rouillard, député du Morbihan.

J'espère que dans une démocratie adulte, on ne jugera pas les parlementaires au nombre d'amendements signés.

Gwendal Rouillard, député du Morbihan

à franceinfo

Une opposition logiquement plus visible

"La réalité du travail parlementaire est très vaste", reconnaît Benjamin Ooghe-Tabanou, du collectif Regards citoyens, éditeur de nosdeputes.fr. C'est d'ailleurs pour cela que le site, régulièrement attaqué par les parlementaires, se refuse à produire un classement de l'assiduité des élus, contrairement à la démarche de Capital. Lui se refuse à accabler les macronistes.

Des parlementaires qui ne sont pas impliqués dans leur mandature, ça existe depuis assez longtemps et ce n'est pas spécifique à LREM.

Benjamin Ooghe-Tabanou, membre du collectif Regards citoyens

à franceinfo

"Les députés qui bossent le plus ne courent pas dans les médias, ni ne braillent dans l'Hémicycle", abonde Tris Acatrinei, observatrice assidue du Palais-Bourbon avec sa plateforme Projet Arcadie. Cinquante députés LREM "fantômes" ? Elle n'y croit pas du tout. "D'où il sort, ce chiffre ? C'est de la rumeur", balaye cette ancienne assistante parlementaire. Elle pointe néanmoins une difficulté particulière pour les macronistes : "C'est plus facile d'être visible quand vous êtes dans l'opposition".

De fait, les députés LREM sont plus nombreux, 312 selon le dernier comptage. Mathématiquement, chaque élu macroniste a donc un peu moins de place pour exister. Surtout, le groupe majoritaire suit la plupart du temps le gouvernement, ce qui laisse peu de place au dépôt d'amendements ou aux prises de parole. Sous François Hollande, les députés du groupe socialiste étaient ainsi – en moyenne – les moins bavards dans l'Hémicycle, mais aussi les moins prolifiques en termes d'amendements, selon la synthèse de nosdeputes.fr.

"On est un gros groupe majoritaire, on ne peut pas tous poser des amendements", confirme Danièle Cazarian. "Nous avons une mission, nous, députés de la majorité, c'est de faire voter un ensemble de loi qui dépend du programme présidentiel. Or, à chaque fois qu'un député de la majorité parle, il faut que l'on donne la parole aux députés de l'opposition", note Bruno Bonnell. 

Quand vous êtes d'accord avec une loi qui est présentée, pourquoi parler quand il n'y a rien à dire ?

Bruno Bonnell, député LREM de Rhône

à franceinfo

"L'adaptation ? C'est derrière nous"

Certains "ont eu plus de travail que d'autres, comme Amélie de Montchalin", chargée du projet de loi de Finances, concède l'entourage de Richard Ferrand, le patron des députés LREM à l'Assemblée. Mais "non, il n'y a pas 50 marcheurs dans la nature", nous assure-t-on.

Arriver à garder 312 députés occupés, c'est un gros enjeu, mais on fait en sorte que chacun trouve sa place en évitant, par exemple, les cumuls de postes.

L'entourage de Richard Ferrand

à franceinfo

Fin novembre, le groupe avait tout de même lancé une cellule de soutien, baptisée "Care", à destination de ces députés un peu perdus dans leurs nouvelles fonctions. A en croire l'entourage de Richard Ferrand, la cellule n'avait "pas plus de travail que ça". Elle a même été dissoute depuis plusieurs semaines "faute de dossiers à traiter", nous a annoncé cette même source, après la publication de cet article. "L'adaptation ? Ça c'est derrière nous", ajoute-t-on. Ces "marcheurs" très discrets ont encore quatre ans pour faire leurs preuves. 

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