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Face à la crise, l'armée française se cherche un plan de bataille

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale doit être rendu en février. Pour ses vœux officiels, François Hollande a voulu rassurer l'armée, mercredi. 

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les forces combattantes de retour d'Afghanistan sont reçues au palais de l'Elysée par François Hollande, le 21 décembre 2012. (NICOLAS GOUHIER / MAXPPP)

POLITIQUE - L'armée française craint le pire. Quatre ans seulement après le rapport commandé par Nicolas Sarkozy, un nouveau document sur son avenir, impulsé cette fois par François Hollande, doit être rendu en février prochain. Deux "Livres blancs" en seulement quatre ans : l'armée sait-elle encore où elle va ? 

Dans ses vœux aux armées, mercredi 9 janvier, le président a voulu calmer les craintes sur les moyens dont disposera l'armée à venir. Au-delà du retrait des troupes françaises d'Afghanistan, finalisé en décembre, difficile en effet de savoir clairement à quoi ressemblera l'armée ces prochaines années. Quelles nouvelles contraintes pèsent sur elle ? Comment le gouvernement compte-t-il y répondre alors que depuis plusieurs mois, les militaires de tous rangs font part de leurs inquiétudes ? Eclairages. 

Autant de militaires qu'au XVIIe siècle pour l'armée de terre

Contrairement aux budgets consacrés à l'éducation ou à la sécurité, dont l'augmentation est prévue, celui du ministère de la Défense stagnera en 2013, à 30 milliards de crédits budgétaires, dans l'attente des conclusions du Livre blanc. Le projet prévoit par ailleurs 7 200 nouvelles suppressions de postes après 29 000 emplois gommés en 2011. En tout, 54 000 suppressions de postes sont programmées entre 2009 et 2014, soit 17% des effectifs de la Défense.

Profondément restructurée depuis 2008, l'armée de terre est particulièrement touchée. Elle est passée cette année sous le "seuil symbolique des 100 000 militaires", soulignait son chef d'état-major, le général Bertrand Ract-Madoux, fin juillet. Selon le blog Secret défense, seuls 70 000 hommes sont réellement mobilisables. "Il faut remonter au XVIIe siècle pour retrouver un tel niveau." Pour rappel, en moyenne, 12 000 militaires français ont été déployés dans le monde depuis 2008, sur sept théâtres principaux (Afghanistan, Libye, Côte d'Ivoire, Liban, Balkans, Tchad, Somalie).

Un hélicoptère de l'armée française décolle dans la vallée d'Uzbin (Afghanistan), le 8 avril 2008. ( JACKY NAEGELEN / REUTERS)

Des contraintes budgétaires croissantes

Malgré cet effort, la Cour des comptes reproche au ministère de la Défense de ne pas en faire assez, et notamment d'avoir laissé enfler sa masse salariale depuis 2009. Elle épingle notamment "l'augmentation continue de l'encadrement supérieur" des armées, en particulier du nombre d'officiers supérieurs.

Dans un rapport rendu en juillet, les magistrats recommandaient un renforcement de la maîtrise des coûts, soit "au moins 1 milliard d'euros d'économies" pour atteindre les objectifs de la Loi de programmation militaire (2009-2014) que le nouveau Livre blanc doit contribuer à corriger. Les magistrats préconisent aussi une série d'économies supplémentaires (rationalisation des achats, économie sur la politique immobilière...), sans oublier de concentrer "les moyens budgétaires sur les capacités opérationnelles" des armées. 

François Hollande, Jean-Marc Ayrault et Jean-Yves Le Drian assistent à une cérémonie en l'honneur de quatre soldats français tués en Afghanistan, aux Invalides (Paris), le 14 juin 2012. (FRED DUFOUR / AFP)

Devant les députés, Jean-Marie Guéhenno, le diplomate qui préside la commission chargée d'établir le nouveau Livre blanc, n'a pas dit l'inverse. "Il faut partir d’un monde qui est celui de l’après-crise économique et financière, tirer les leçons de ce changement économique et financier du monde", a-t-il martelé, selon des propos relatés par le blog Opex 360. 

Des impératifs stratégiques à redéfinir

Mais les nouveaux défis stratégiques n'ont que faire des politiques de rigueur. Afin de guider les réflexions du Livre blanc, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) y est allé de sa contribution (PDF) ; ce texte reprend certains constats du Livre blanc de 2008 tout en signalant de nouvelles menaces : décentrement d'Al-Qaïda sur des terrains locaux, augmentation des risques de cyberguerre et cyberespionnage, incertitudes liées au "printemps arabe", grande instabilité au Sahel, etc. Avec un constat général : "Le spectre de la violence armée s'élargit." 

A ces menaces "classiques" s'ajoutent d'autres missions dont l'armée pourrait avoir la responsabilité, comme la protection des ressources énergétiques ou les défis climatiques. Le rapport note ainsi qu'après le tsunami au Japon en 2011, plus de 100 000 militaires ont été mobilisés pour faire face à la crise sanitaire. C'est plus que l'effectif total des troupes françaises de l'armée de terre.

Une mise en garde assénée depuis le plus haut niveau

Même les hauts gradés des armées redoutent les conclusions du Livre blanc. L'amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées, a récemment mis en garde contre une fragilisation du corps militaire. "Toute discontinuité dans les financements a des impacts qui peuvent être irréversibles. (...) C'est pourquoi les prochaines décisions budgétaires ne devront pas céder au leurre du 'court-termisme'." Et l'amiral de pointer le manque de systèmes de lutte contre les menaces sur l'aviation, de drones, d'avions ravitailleurs et un niveau insuffisant des stocks de pièces de rechange.

François Hollande descend les Champs-Elysées en compagnie de l'amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées, lors du défilé du 14 juillet 2012. (MAXPPP)

Le chef des armées a également dit redouter "la suraccumulation de réformes", qui provoque "une véritable lassitude" parmi les militaires. "Or, le moral des troupes affecte leur combativité", souligne-t-il. Interrogé par L'Express, Edouard Guillaud évoque trois dossiers "insuffisamment pris en compte" dans le rapport de 2008 : l'Afrique, l'outre-mer et les espaces maritimes. "Pour résumer ces inquiétudes, ces inerties, ces rigidités, je dirais que la Défense est comme un grand navire lancé à 32 milliards d'euros : on ne peut réduire sa vitesse aussi rapidement qu'on le voudrait."

Des garanties encore limitées

Face aux critiques et aux craintes, le gouvernement a tenté de réagir. Sur la forme, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a annoncé que tous les militaires pourraient s'exprimer via un site intranet sur le Livre blanc. "Quel avenir pour nos forces armées ? La réponse, nous devons la formuler collectivement. Pour cette raison, j'ai souhaité que ceux qui avaient un point de vue à exprimer, des propositions à partager, puissent le faire et ce, quelle que soit leur armée ou leur grade."

Sur le fond, on rassure également, sans toutefois donner plus de détails sur l'orientation des réformes. Jean-Yves Le Drian martèle que la défense française ne sera pas "sacrifiée" pour des raisons budgétaires, mais nul ne sait encore quels secteurs seront privilégiés tant que le Livre blanc n'est pas sorti. Et encore, rien ne garantit qu'il sera suivi à la lettre. Seules certitudes, il est, selon le ministre, "hors de question" de toucher à la force de dissuasion nucléaire française, et les baisses des effectifs prévues sont définitives. "Les chiffres ont été annoncés, ils ne bougeront pas."

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