Jean-Marie Le Pen, l'élu invisible du Parlement européen
Francetv info a enquêté sur l'activité fantômatique du fondateur du FN, député au Parlement européen depuis 1984.
Sa présence constitue, en soi, un événement. Mardi 19 mai, Jean-Marie Le Pen s'installe dans l'hémicycle du Parlement européen, à Strasbourg (Bas-Rhin), où il ne s'était pas montré depuis trois mois. Les députés européens doivent voter sur "des soins de santé plus sûrs en Europe", les "créneaux de croissance verte pour les PME" ou encore les "indices utilisés comme indices de référence dans le cadre d'instruments et de contrats financiers". L'élu de 86 ans agite vaguement la main au moment des votes, sans conviction. La flamme frontiste est éteinte. Jean-Marie Le Pen est las, et plus vraiment là.
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Depuis son élection à un septième mandat européen en mai 2014, la tête de liste FN dans la circonscription Sud-Est a brillé par ses absences. Le député ne s'est présenté qu'à un tiers des sessions plénières organisées à Strasbourg. Son cas est unique parmi les 74 Français élus au Parlement européen, qui affichent une moyenne de 90% de participation aux votes. Le comportement de leur doyen ne les étonne même plus. "J'ai toujours trouvé sa présence exotique", résume le centriste Jean-Marie Cavada.
Pour cet absentéisme, Jean-Marie Le Pen s'expose, d'ici août, à une réduction de moitié de son indemnité de frais généraux (4 320 euros par mois) et de son indemnité journalière (306 euros par jour), qui s'ajoutent à sa rémunération mensuelle brute de 8 020 euros.
"Au moins, il ne pollue pas le débat"
A Bruxelles, où se déroule l'essentiel de l'activité parlementaire, Jean-Marie Le Pen fait figure de déserteur. Le fils de patron pêcheur est membre titulaire de la commission Pêche, qui se réunit au moins une fois par mois. Quel rôle y joue-t-il ? "Je ne vais pas pouvoir vous répondre, je n'ai vu M. Le Pen qu'une seule fois", s'excuse le vice-président de la commission Pêche, le Polonais Jaroslaw Walesa.
"Je n'ai jamais parlé à Jean-Marie Le Pen", confie à son tour le Britannique David Coburn. Ce membre du parti europhobe Ukip juge "important" d'être présent dans cette commission, "car je peux suivre ce qui se trame en Europe et alerter mes pêcheurs en Ecosse".
Depuis l'installation de la commission Pêche, en juillet, Jean-Marie Le Pen n'a participé qu'à une session, le 13 avril. "Et encore, il n'était pas présent durant toute la réunion, souligne la socialiste française Isabelle Thomas. Il est juste venu s'asseoir et n'a pas ouvert la bouche. Au moins, il ne pollue pas le débat, mais qu'il ne nous fasse pas croire qu'il défend les pêcheurs !" Sur le front des amendements, même discrétion : deux petits amendements à son nom, sur les quotas de pêche en Baltique, co-signés avec sa suppléante Sylvie Goddyn.
"Jean-Marie Le Pen au Parlement ? On le remarque surtout à la cantine, où il préside depuis toujours une table ronde, bien visible, à l'entrée du self, près de la fenêtre", ironise la chef de la délégation PS tricolore, Pervenche Berès.
Le bon temps des tournées à l'étranger et des livres en cuir
"Il y a de la lassitude aujourd'hui chez Jean-Marie Le Pen, reconnaît l'un de ses fidèles, Bruno Gollnisch, son voisin d'hémicycle depuis 1989. Il était beaucoup plus investi au début." Le début, c'est en 1984, lorsque le président du FN est élu pour la première fois au Parlement européen, grâce au mode de scrutin à la proportionnelle. Il remporte dix sièges, autant que le PCF de Georges Marchais. "C'est un moment fondateur, sa première grande victoire, qui fait entrer le parti dans la cour des grands et lui offre une manne financière conséquente", rappelle l'historienne Valérie Igounet. Un bon score confirmé en 1989 (dix sièges) et en 1994 (onze sièges).
"Nous avions un groupe parlementaire avec d'autres partis, ce qui nous permettait d'organiser des réunions de groupe et des conférences de presse à l'étranger", se souvient Bruno Gollnisch. Pour Jean-Marie Le Pen, président du groupe, le Parlement européen est alors une tribune politique, où il bénéficie d'un temps de parole conséquent. "Ses discours étaient déconnectés des débats du Parlement, raconte le chercheur Olivier Costa. Il s'adressait à ses aficionados, qui pouvaient même acheter une version reliée plein cuir de ses discours dans l'hémicycle, vendue par une de ses officines."
Jean-Marie Le Pen s'illustre aussi en organisant quelques coups d'éclat, comme lorsqu'il fait élire le cinéaste Claude Autant-Lara, en 1989, pour lui faire prononcer le discours d'ouverture du Parlement en tant que doyen d'âge. L'exercice est boycotté par les autres partis. La même année, le leader frontiste est visé par une procédure de levée d'immunité dans l'affaire "Durafour crématoire", tout comme il le sera en 1998 dans l'affaire du "détail de l'histoire". "Jean-Marie Le Pen est rapidement devenu un dilettante de la vie politique", selon l'historienne Valérie Igounet.
Une période de vaches maigres
La fin des années 1990 et les années 2000 sont une période de vaches maigres pour le FN, qui n'a plus qu'une poignée d'élus au Parlement européen. Alors privé de groupe, de discours d'ouverture, et même déchu de son mandat en 2003 et en 2004, Jean-Marie Le Pen ne parvient plus à s'illustrer que lors de rares prises de parole. Il s'en prend notamment à Nicolas Sarkozy en 2008 et à Daniel Cohn-Bendit en 2011, le traitant de "pédophile".
Et aujourd'hui ? Jean-Marie Le Pen n'a pas donné suite à nos demandes répétées d'entretien. C'est Bruno Gollnisch qui répond. "Nous nous intéressons de moins en moins à la législation européenne, du fait de la dérive de ces institutions. Le mandat européen nous donne une légitimité, les moyens de notre subsistance et les moyens de saisir l'opinion publique." Autre formulation, par le chercheur Olivier Costa : "Jean-Marie Le Pen s'intéresse à la paie, à l'immunité et aux collaborateurs, pas aux rapports ou aux amendements."
Dans les couloirs de Strasbourg, Jean-Marie Le Pen n'est plus qu'une ombre sous escorte. Il est l'un des très rares élus, avec Marine Le Pen, à faire appel à un garde du corps. Il peut aussi compter sur la protection de son "majordome", Gérald Gérin, accrédité en tant qu'assistant de l'eurodéputée FN du Sud-Est Marie-Christine Arnautu. Son directeur de cabinet, Guillaume L'Huillier, est déclaré comme assistant parlementaire de Bruno Gollnisch. Durant la plénière du 20 mai, Guillaume L'Huillier n'était d'ailleurs pas à Strasbourg, mais à Montretout (Hauts-de-Seine), au domicile de Jean-Marie Le Pen. La secrétaire particulière du "président" à Montretout, Micheline Bruna, apparaît, elle, dans les registres européens comme assistante parlementaire de Jean-Marie Le Pen.
Le Pen, futur "non-aligné" du FN ?
Au-delà du premier cercle de Jean-Marie Le Pen, les soutiens du président d'honneur, suspendu du FN, sont discrets dans les rangs frontistes. "Chacun lui est reconnaissant, mais Jean-Marie Le Pen est un homme libre, qui n'a aucun rôle au sein de notre délégation", lâche le chef de la délégation FN, Edouard Ferrand. En témoigne la vidéo anniversaire publiée par le parti, lundi 25 mai, un an après la victoire aux européennes, sur laquelle le fondateur du FN n'apparaît pas.
Resté silencieux dans l'hémicycle depuis le début de son septième mandat, Jean-Marie Le Pen pourrait redonner de la voix dans les prochains mois. "Il n'a plus que ce mandat pour exister politiquement, estime la chercheuse Magali Balent. On peut s'attendre à le voir jouer un rôle d'outsider, de non-aligné, qui défendrait une ligne différente de celle de Marine Le Pen." Le principal intéressé a déjà prévenu que son combat politique durerait jusqu'à la mort.
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