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Récit 14 juillet 2002 : le jour où Jacques Chirac a failli être assassiné

Maxime Brunerie, un jeune militant d'extrême droite, avait tiré sur le président de la République avec une carabine 22 long rifle.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Maxime Brunerie interpellé par des policiers au milieu des Champs-Elysées, après qu'il a tenté d'assassiner Jacques Chirac, le 14 juillet 2002, à Paris. (AFP)

"Un beau matin, j'ai tiré à froid sur quelqu'un que je ne connaissais absolument pas", raconte Maxime Brunerie au micro d'Europe 1 en 2009, à sa sortie de prison. Sept ans plus tôt, le 14 juillet 2002, la vie de cet ancien militant d'extrême droite a basculé lorsqu'il a tenté d'assassiner Jacques Chirac. Le jeune homme de 25 ans avait même imaginé une mise en scène macabre pour se donner la mort après avoir abattu le président de la République.

Il est un peu plus de 6 heures, en ce jour de fête nationale, quand il sort de son lit. "J'ai dormi normalement. Je suis dans un état second car je suis convaincu que je vais mourir dans quelques heures", se remémore-t-il sur Europe 1. "Rasé, douché, je quitte le pavillon familial de Courcouronnes [Essonne] au petit matin, la 22 long rifle planquée dans l’étui à guitare de mon père", confie-t-il à Paris Match. Comme la carabine dépasse un peu, il enveloppe le canon dans un sac plastique pour le dissimuler.

"Pas de haine particulière envers Jacques Chirac"

Deux mois plus tôt, Maxime Brunerie a choisi sa cible et la date de sa "folie suicidaire et mégalo" de manière aléatoire, comme il l'explique dans Paris Match "Mon regard s’est posé par hasard sur le calendrier avec, en rouge, la date du 14 juillet (...) Je n’avais pas de haine particulière envers Jacques Chirac. Cela aurait pu tomber sur n’importe qui." Il a acheté son arme une semaine avant son passage à l'acte et s'est rapidement entraîné au tir sur des bouts de carton en forêt.

Puisque mon existence était minable, il fallait que je prenne ma revanche, que je parte en beauté... Ayant raté ma vie, je ne ­voulais pas rater ma mort.

Maxime Brunerie

à Paris Match

Le jour fatidique, il prend sa voiture et se rend dans le VIIIe arrondissement de Paris. Il arrive entre 8h30 et 9 heures sur le haut des Champs-Elysées. Il n'a pas fait de repérage particulier et se glisse au milieu des badauds venus admirer le traditionnel défilé militaire. "A l'époque, on n'avait pas la même attention qu'aujourd'hui concernant les armes et le terrorisme. Il y avait bien des barrières et une forte présence policière, mais pas de fouilles des spectateurs", rappelle à franceinfo Bertrand Landrieu, alors directeur du cabinet du président de la République.

Maxime Brunerie se rapproche des barrières de sécurité et se positionne pour attendre Jacques Chirac. Le chef de l'Etat doit descendre la plus belle avenue du monde après avoir passé les troupes en revue sur la place de l'Etoile, puis rejoindre la tribune officielle place de la Concorde. Un peu avant 10 heures, le "command car" blindé du président se met en route. "Noyé dans cette ambiance de kermesse patriotique, j’attends que le président passe à ma hauteur. Je sors mon arme, vise au mieux la tête de Jacques Chirac. Et je tire", raconte à Paris Match celui qui était membre à l'époque d'une faction néonazie baptisée Unité radicale.

Le président de la République Jacques Chirac et le chef d'état-major des armées Jean-Pierre Kelche descendent les Champs-Elysées à bord d'un véhicule militaire, le 14 juillet 2002, à Paris, lors du traditionnel défilé militaire. (PHILIPPE DESMAZES / AFP)

"Le bruit d'un pétard"

Un léger claquement retentit. Le tireur, situé à une vingtaine de mètres du véhicule militaire, a raté son coup. Le général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées, tourne la tête, perplexe, en direction du bruit. Jacques Chirac, lui, reste imperturbable et continue de saluer le public. Il ne s'est aperçu de rien, comme il le confie dans ses Mémoires (Le Temps présidentiel, Nil, 2011) : "J'ai tout au plus entendu le bruit d'un pétard, mais sans y prêter attention."

Dans le public, Maxime Brunerie recharge sa carabine et tente de retourner l'arme contre lui, mais le 22 long rifle n'est pas si maniable. "J’avais juste oublié un détail : il m’était impossible d’appuyer sur la détente, trop basse…", avoue-t-il dans Paris Match. Le jeune homme est surtout empêché par des spectateurs courageux qui décident d'intervenir. 

"J'ai tiré l'arme vers moi, raconte à La Dépêche du midi Jacques Weber, un infirmier psychiatrique alsacien. Heureusement, j'étais plus fort que mon antagoniste. De la main droite, j'ai empoigné la crosse et tourné la 22 long rifle vers le haut. Tout danger était écarté". Eric Legros, directeur de foyer à Boulogne-sur-Mer, rentre également dans la mêlée et maîtrise le tireur en le plaquant au sol et en montant sur lui. "Il m'a dit : 'Pourquoi vous me tenez si fort, c'est pas si grave que ça !'", témoigne Eric Legros au procès de Maxime Brunerie. Il le décrit comme un enfant "qui s'inquiéterait après coup de ce qu'il a fait".

Des policiers maîtrisent Maxime Brunerie après qu'il a tiré sur Jacques Chirac sur les Champs-Elysées, le 14 juillet 2002. (PHILIPPE DESMAZES / AFP)

La tranquillité du vieux soldat

Pendant que Maxime Brunerie est maîtrisé et emmené par la police, la nouvelle se répand chez les officiels. "J'étais avec [le Premier ministre] Raffarin au pied de la tribune. On nous a appris que quelqu'un avait tiré sur le président et que l'individu avait été arrêté", se souvient pour franceinfo le général Henri Bentégeat, à l'époque chef d'état-major particulier de Jacques Chirac. "Le président est arrivé et Philippe Massoni, conseiller pour les questions de sécurité intérieure, lui a dit qu'il avait échappé à un attentat. Chirac a haussé les sourcils et les épaules, n'a pas posé de question et s'est installé dans la tribune."

C'était un vieux soldat. Il avait le cuir aguerri. Il faisait partie de cette génération de chef d'Etat qui avait fait la guerre.

Henri Bentégeat

à franceinfo

"On s'est vite rendu compte que ce n'était pas une affaire du type Petit-Clamart [l'attentat organisé par l'OAS contre le général de Gaulle en 1962]Il n'y avait pas toute une organisation derrière. Donc Chirac a pris l'événement avec la tranquillité d'un vieux soldat et ne m'en a jamais reparlé", ajoute celui qui est devenu chef d’état-major des armées quelques semaines après. D'après lui, l'arme utilisée par Maxime Brunerie avait très peu de chance de tuer Jacques Chirac à cette distance.

Le chef de l'Etat, qui vient d'être réélu triomphalement quelques semaines plus tôt face à Jean-Marie Le Pen, ne montre aucune émotion particulière, ni ne bouleverse son programme. "Il a présidé le défilé, est rentré benoîtement à l'Elysée pour l'interview traditionnelle et la garden party. Pendant ce temps-là, j'ai parlé au préfet de police qui m'a donné des détails sur le profil du tireur, mais je n'ai pas jugé utile d'en parler de suite au président", raconte son ancien directeur de cabinet Bertrand Landrieu. L'affaire est jugée comme un incident mineur et l'Elysée décide de ne pas dramatiser.

Le président de la République Jacques Chirac prend un bain de foule, le 14 juillet 2002, pendant la traditionnelle garden party au palais de l'Elysée, à Paris.  (PATRICK KOVARIK / AFP)

"J'ai complètement pété les plombs"

Ce 14-juillet révèle malgré tout les failles dans la sécurité autour du chef de l'Etat, et Bernadette Chirac "vit dans la crainte d'un assassinat", raconte Le Monde. Le président se veut rassurant et demande à son entourage de ne pas en faire une histoire personnelle. "L'auteur du coup de feu est un jeune militant d'extrême droite à la dérive (...) Ce n'est pas moi qui étais visé, mais ce que je représente. Lorsqu'on se sent rejeté par la société, on cherche à atteindre son symbole le plus élevé", explique-t-il dans ses Mémoires.

Maxime Brunerie doit quant à lui répondre de ses actes : il est condamné en 2004 à dix ans de réclusion criminelle. A sa sortie de prison en 2009, au micro d'Europe 1, il tentait encore d'expliquer son geste, évoquant notamment le surmenage : "J'ai complètement pété les plombs, tout simplement. J’ai tout mis sur le boulot, les études, l’argent. Je ne voyais plus mes amis. Il n’y avait plus de réelle vie sociale, tout simplement. Ça a tenu un an comme ça et puis au bout d’un moment, ça a fait 'crac'."

Une "espèce de nihilisme suicidaire"

Pour tourner la page et raconter son histoire, cet ancien ultra du PSG a sorti en 2011 un livre où il revient sur son parcours. "Mon enfance, c'est l'ennui à l'état chimiquement pur (...) Je n'avais droit ni à la colo, ni aux sorties, ni au sport, ni rien... Sans cette prison familiale, j'aurais vécu une crise d'adolescence comme les autres et serais rentré dans le rang au bout d'un an", détaille-t-il dans Une Vie ordinaire : je voulais tuer Jacques Chirac (Denoël). Invité sur Europe 1 pour la sortie de son autobiographie, il ne nie pas pour autant la dimension idéologique de son acte : "Il y avait la fréquentation de divers groupes d'extrême droite et cette espèce de nihilisme suicidaire, c'était du 'j'emmerde tout le monde 24h/24'".

Si Maxime Brunerie affirmait à la radio se sentir "beaucoup plus stable", il semble avoir renoué avec ses vieux démons ces dernières années. Le Parisien relate une mise en examen pour violences conjugales en 2013, et l'ancien militant, âgé de 41 ans aujourd'hui, a également participé à des manifestations du Printemps français, un mouvement proche de l'extrême droite né de l'opposition au mariage pour tous.

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