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Tribune "Le PS est en état d’occupation, c’est la guerre !"

Pour l'Assaut, un groupe de réflexion de gauche, créé en 2008, le gouvernement Valls n'a "plus rien de socialiste". Francetv info publie le point de vue de ce think tank qui se définit comme une "force de frappe du socialisme". 

Article rédigé par franceinfo - L'Assaut
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Manuel Valls, à l'université d'été du PS, à La Rochelle (Charente-Maritime), le 31 août 2014.  (XAVIER LEOTY / AFP)

L’Assaut est un groupe de réflexion créé en 2008. Il entend élaborer une "alternative crédible et concrète aux idéologies de la droite", à travers la fabrication d’une "boîte à outils du socialisme". Il est composé d’une cinquantaine de membres, essentiellement des jeunes d’une trentaine d’années issus d’horizons professionnels divers (hauts-fonctionnaires, collaborateurs d’élus, avocats, universitaires, salariés du privé). Contrairement aux Gracques, une association qui défend ouvertement les valeurs du "social-libéralisme" et lorgne vers le centre, L'Assaut se situe très clairement à la gauche du PS. Cette tribune exprime leur point de vue. 

Le gouvernement Valls 2 doit être pris pour ce qu’il est : l’aboutissement d’une entreprise de conquête, raisonnée, volontaire, sans pitié. Merveille du caporalisme de la Ve République, qui a colonisé un parti né pour la combattre, un homme résolu, armé de quelques slogans simplistes et d’une solide crédibilité médiatique, peut conquérir un parti et un Etat, le tout malgré un score ridicule dans une élection interne supposée désigner celui qui incarne un projet politique. Il convient d’être clair : pour nous, Valls n’a plus rien de "socialiste". Il est franchement de droite, il en porte tous les oripeaux : défense de l’autorité de la loi jusqu’à l’arbitraire, foi du converti dans le capital et dans l’affaiblissement de l’Etat, négation complète de la démocratie interne, refus de penser un projet de société alternatif.

La gauche doit donc jeter un regard lucide sur cette situation : sa principale place-forte politique, le Parti socialiste, est en état d’occupation, ses hiérarques l’ont vendu à l’ennemi au corps défendant des militants. Il faut accepter cette situation, qui a un nom : la guerre. Accepter ses implications : le combat, la tactique, la violence.

Cristalliser une idée politique autour d’une personne

La guerre passe par deux volets. L’expérience Valls, comme celles de tous hussards qui se sont emparés de partis sociaux-démocrates européens pour les transformer en officines du capital, le montre : pour imposer sa ligne, ses actions, il faut être le vrai maître du parti dominant à gauche, et du gouvernement. La légitimité populaire, le contrôle patient des fédérations, de l’appareil et des militants, cela ne signifie rien. Il faut parvenir, à un moment, à cristalliser autour de sa personne une idée politique, et à faire de cette énergie l’arme qui permet de prendre le parti et ses indispensables ressources (car l’urgence ne nous laisse pas le temps des infinies tractations dont est familière la perpétuelle "recomposition de la gauche", à laquelle l’élection présidentielle a montré que le bipartisme ne laissait pas de place), puis l’Etat.

Dans le cas Valls, cette idée est bête et nuisible ; cela n’est pas une fatalité et d’autres, dans l’histoire, ont pu incarner la conjonction d’une belle idée et d’une force efficace. La stratégie des motions prudentes, pesées au trébuchet, en espérant que par petites incrémentations le Parti socialiste cessera d’être le valet des banquiers pour redevenir le parti de l’espoir, est en profond décalage avec l’esprit politique de l’époque et, malheureusement, avec l’urgence. Nous ne parlons pas là d’un "homme providentiel", au sens d’un homme seul capable, par sa force et ses idées, de changer les choses. Bien au contraire : les idées, les énergies, la colère et l’espoir, sont là. Il n’y a qu’à se baisser pour les ramasser, ce que se refusent à faire nos tribuns en toc, laissant tout le champ aux sinistres moissonneurs du Front national. La gauche n’a pas besoin de brio ou de qualités personnelles, elle a au contraire besoin d’hommes capables de n’être pas plus que ce que, faute de mieux, on appellera l’incarnation des aspirations du peuple, dans leur simplicité : vivre bien, sans inquiétude et avec l’espoir que l’avenir sera plus beau que le passé.

Refuser la privatisation du monde

Il faut par ailleurs reconquérir le terrain du langage et des idées. Il est insultant pour des militants de gauche d’être traités d’archaïques et d’inadaptés par ceux censés les représenter. Comment peut-on, aujourd’hui, affirmer que le rôle du capitalisme dans le façonnage du monde est un débat oiseux ? C’est le seul ! Quand Marx a structuré, pour un siècle, la pensée de la gauche autour de cette notion, l’emprise du capital était encore limitée aux ravages des vies du prolétariat. Au début du XXIe siècle, le contrôle du capital sur l’environnement, la culture, le temps de nos vies, bientôt peut-être la définition même de ce qu’est un être humain, s’étend de jour en jour. Cela fait quarante ans que nous tolérons d’être caricaturés.

Evidemment, aucun socialiste véritable ne souhaite un monde sans production ni capital. Ce que nous refusons, c’est la privatisation du monde, incarnée dans le capitalisme : le capital fait pouvoir, remplaçant l’assemblée des hommes. La logorrhée qui nous parle de "social-démocratie", de "Bad Godesberg", de "changement de logiciel", au lieu d’assumer le simple nom de traître, n’a plus lieu d’être ; nous devons refuser de nous battre sur ce terrain, considérer que tout ce qui refuse d’assumer la lutte contre le capitalisme ne saurait porter le nom de gauche, et parler de ce qui nous importe vraiment : quelles vies voulons-nous pour le plus déshérité de ce monde ? Car le vrai sujet est là, pas dans la fausse alternative offre-demande, qui parle toujours le langage du besoin et offre un visage bien pauvre à la politique.

Une incarnation, un langage fort, évoquent évidemment quelques noms ; au premier chef, celui du "perdant" de cet épisode ministériel, qui pourrait trouver là occasion d’un beau rebond. Force est malheureusement de constater qu’à ce double égard, le parcours d’Arnaud Montebourg disqualifie les espoirs placés en lui il y a quinze ans. Qu’il ait adopté des positions changeantes et joué le jeu de la coopération plutôt que de l’opposition frontale et systématique, ce sont là concessions, sans doute indispensables, à la tactique. Mais à ce stade, il a crû que s’encombrer d’un titre sans pouvoir pouvait être préférable à combattre. Il a crû pouvoir finasser avec les mots et les concepts, rendant totalement illisible l’éventuelle alternative qu’il pourrait incarner. La "gauche du parti" doit donc faire le ménage, se choisir une direction capable d’assumer des objectifs de gauche et une pratique de combat. Si Arnaud Montebourg veut incarner cela, il a devant lui une occasion historique. Dans le cas contraire, la gauche aura toujours des Saint-Just, prêts à choisir l’histoire et la justice plutôt que des maroquins.

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