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Marion Maréchal-Le Pen invitée par l'évêque de Fréjus : les catholiques ne veulent pas faire le jeu du FN

L'initiative de Dominique Rey fait polémique. Beaucoup, au sein de la communauté catholique, désapprouvent ces liaisons dangereuses entre le FN et l'Eglise. Francetv info a recueilli leurs réactions.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La députée Front national Marion Marechal-Le Pen s'exprime lors d'un meeting, le 5 juillet 2015, au Pontet (Vaucluse). (BORIS HORVAT / AFP)

Une digue se rompt. Marion Maréchal-Le Pen est l'invitée, samedi 29 août, des universités d'été de la Sainte-Baume, dans le Var, organisées par le diocèse de Fréjus-Toulon et son évêque Dominique Rey. Comme l'a titré Le Monde, "l'Eglise ne tourne plus le dos au FN".

Si la Conférence des évêques de France considère n'être "pas engagée" par cette initiative "diocésaine", des catholiques s'étonnent toutefois de la tribune offerte à la députée du Vaucluse, tête de liste Front national aux régionales en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Francetv info a recueilli leurs réactions, et leurs arguments.

"C'est un vrai tabou qui a été brisé"

"Dans les années 1980-1990, l'épiscopat français condamnait clairement les idées du Front national", se souvient le directeur de la rédaction de l'hebdomadaire catholique La Vie, Jean-Pierre Denis, contacté par francetv info. "Aujourd'hui, il y a un vrai débat entre les évêques qui veulent dialoguer avec tout le monde et ceux qui veulent maintenir un cordon sanitaire autour du FN." Et le journaliste de poursuivre : "On constate qu'en Provence-Alpes-Côte d'Azur, dans une région où le Front national a des élus, cette stratégie du cordon sanitaire a échoué."

"C'est un vrai tabou qui a été brisé", analyse  Et le journaliste de poursuivre : 

Une rupture pleinement revendiquée par Dominique Rey. Dans les colonnes du Figaro, l'évêque qualifie sa position de "novatrice par rapport à une forme d'oukase qui consistait à mettre à distance le parti lepéniste". Pourtant, rappelle Jean-Pierre Denis, "les catholiques pratiquants votent moins FN que l'ensemble des Français et sont moins séduits que les autres par leurs idées et leurs élus".

"Une tribune offerte à Marion Maréchal !"

Au-delà de l'invitation, une surprenante caisse de résonnance est offerte à la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, en l'absence d'autres invités politiques de notoriété équivalente, déplore Elise Catonnet, travailleuse sociale et bénévole dans sa paroisse de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine).

Cette ancienne secrétaire générale nationale de la Jeunesse ouvrière chrétienne s'indigne : '"Déjà avec la Manif pour tous, nous les catholiques de France, on a donné une image assez fermée, assez arriérée. Et on continue avec Marion Maréchal ! C'est normal de discuter avec tout le monde, mais là c'est une vraie tribune ! Il n'y a pas de contradicteur." Une impression que confirme la liste des intervenants. 

Vice-président catholique de l'ACAT (Action Chrétiens Abolition Torture), Alain Gleizes dénonce, lui aussi, avec force, la décision du diocèse de Fréjus-Toulon d'offrir à la députée Front national "une tribune officielle que des chrétiens n'ont pas à lui donner".

"Le Front national est aux antipodes de l'idéal chrétien"

Car nombre de catholiques voient dans l'idéologie du Front national l'inverse du message chrétien. Elise Catonnet résume : "Les Evangiles appellent à accueillir l'étranger, à aller vers l'autre. Tout le contraire du FN."

Contactées par francetv info, plusieurs associations catholiques comme le Secours catholique ou le CCFD-Terre solidaire ont préféré ne pas s'exprimer sur le sujet, jugé interne à l'Eglise catholique. Mais le délégué général de l'ACAT, Jean-Etienne de Linares, lui, n'a pas hésité : "En tant qu'organisation chrétienne de lutte contre la torture, nous défendons l'égalité de tout homme dans la dignité. Les torturés sont toujours considérés comme des sous-hommes : ils n'ont pas la bonne religion, pas la bonne couleur de peau... Le lien avec le racisme est évident : considérer que l'autre n'a pas la même valeur que soi, c'est l'idée de base du FN. Je déplore que l'Eglise contribue ainsi à en faire en parti respectable."

Pour le vice-président de l'association, Alain Gleizes, le Front national "se situe aux antipodes de l'idéal chrétien : le 'prochain' du Front national est un contresens complet par rapport à celui du 'bon samaritain' des Evangiles, qui sauve un inconnu, un étranger".

"Un franc-tireur minoritaire"

Le distinguo échappera à ceux qui ignorent les divisions de l'Eglise catholique, mais il a sauté aux yeux des connaisseurs. Jean-Pierre Denis décrit l'évêque de Toulon comme "un franc-tireur aux positions personnelles, mais minoritaire dans l'épiscopat". Elise Catonnet souligne, elle, que Monseigneur Rey "n'est pas n'importe quel évêque".

Christian Terras, de l'hebdomadaire catholique de gauche Golias, se montre plus virulent. "Cet évêque conservateur s'est fait connaître en s'opposant au Téléthon, rappelle-t-il, parce qu'on utiliserait des cellules-souches dans la recherche contre les myopathies. Dominique Rey fait du prosélytisme pour convertir les catholiques à une vision où l'Eglise donnerait le sens de la vie en commun, en rupture avec la laïcité tel qu'on la vit en France. Il suffit de voir les travaux de son 'Observatoire socio-politique'. Son objectif, c'est de permettre une réidentification de la France comme 'fille aînée de l'Eglise'."

Des idées assez proches, estime-t-il, de celles de Marion Maréchal Le Pen, "catholique qui fait le pèlerinage tradionnaliste de Chartres", se positionne volontiers sur le thème de l'identité chrétienne de la France et a rejoint les rangs de la Manif pour tous (opposée au mariage des homosexuels). Contacté par francetv info, Dominique Rey n'a pas souhaité donner suite.

"La réponse de l'Eglise est d'une faiblesse incroyable"

La réponse de l'Eglise, estime enfin Christian Terras, "est d'une faiblesse incroyable, d'une couardise qui ne lui fait pas honneur. La conférence épiscopale n'est pas sur ces bases-là, mais elle ne veut pas se prononcer contre un évêque. La consigne ? Pas de vagues. Mais l'Eglise perd sa crédibilité en considérant que c'est un acte isolé. Il y a d'autres évêques qui rêvent de 'reconquête', d'une France à l'identité uniquement catholique". Moins alarmiste, Jean-Pierre Denis affirme qu'il n'y a "aucune stratégie de la main tendue de l'Eglise au FN".

Voyant monter la pression, le porte-parole de l'épiscopat, monseigneur Olivier Ribadeau-Dumas, a accordé au quotidien La Croix une interview mi-chèvre mi-chou. Il ne condamne pas l'initiative, mais ajoute quelques bémols : "Nous pouvons inviter des responsables du FN à dialoguer, mais pour leur exprimer notre désaccord sur un certain nombre de points. Il faut rappeler la parole de l'Eglise, et l'importance primordiale que nous accordons à l’accueil de l’autre, quel qu’il soit." Un art tout jésuite de la langue de bois.

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