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Comment le Front national tente de séduire la Russie

Le parti de Marine Le Pen a emprunté 9 millions d'euros à une banque russe. Focus sur l'appel du pied de plus en plus insistant du FN à l'égard de Moscou.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
La présidente du Front national, Marine Le Pen, se prépare à une réunion avec le président de la Douma, le 19 juin 2013, à Moscou (Russie). (KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP)

"On a lancé des hameçons partout : en Espagne, en Italie, aux Etats-Unis, en Asie et en Russie. Et le premier qu'on a attrapé, on a signé et on est très contents", raconte la présidente du Front national, Marine Le Pen, sur le site du Monde. Ne parvenant pas à emprunter auprès d'une banque française, le FN a contracté, en septembre, un prêt de neuf millions d'euros auprès d'une banque russe, a révélé Mediapart (article payant), samedi 22 novembre.

La leader frontiste dément tout lobbying auprès du Kremlin pour obtenir ce prêt. Le trésorier du parti, Wallerand de Saint-Just, évoque, lui, les "relations en Russie" du député européen Jean-Luc Schaffhauser, membre du Rassemblement bleu Marine. Hasard ou pas, le Front national est lancé dans une opération séduction auprès du pouvoir russe, par différents moyens.

En plaidant la cause russe dans l'actualité

Dès son arrivée à la tête du FN, en 2011, Marine Le Pen dit son "admiration" pour Vladimir Poutine et s'enorgueillit d'être "peut-être la seule en France qui défend la Russie", relève le blog du Monde Droites extrêmes. Chaque dossier international devient, dès lors, l'occasion de monter au créneau pour soutenir le gouvernement russe.

La persécution des homosexuels en Russie ? Marine Le Pen la nie en décembre 2013. L'annexion de la Crimée par la Russie ? "Poutine a fait un sans-faute", estime Jean-Marie Le Pen en mars dernier. L'embargo russe sur l'agroalimentaire européen ? Le FN se dit, en août, "opposé aux sanctions contre la Russie". Le dossier du Mistral ? Dans la lignée des ténors du parti, un élu local FN soutient la vente des deux porte-hélicoptères à la marine russe et lance le comité Mistral Gagnons.

A l'été 2012, d'anciens cadres du parti, dont un ancien conseiller régional et une ex-candidate aux législatives de 2002, participent même au lancement d'une chaîne de télévision de "réinformation" pro-russe, ProRussia.tv (aujourd'hui fermée). Le tout avec la bénédiction et l'appui de l'ambassade de Russie à Paris.

En vantant des "valeurs communes" avec Poutine

Si le FN se fait l'avocat du Kremlin en France, c'est notamment du fait des liens idéologiques qui unissent les deux bords. "Vladimir Poutine est attaché à la souveraineté de son peuple, affirme Marine Le Pen, en mai. Il a conscience que nous défendons des valeurs communes. Ce sont les valeurs de la civilisation européenne."

Partisane d'une "confédération des patries européennes élargie à l'ensemble du continent, de Brest à Vladivostok", Marine Le Pen rêve d'une France hors de l'Otan et alliée à la Russie, et se sent proche de Moscou sur le plan économique. L'eurodéputé frontiste Bruno Gollnisch salue lui-même le "patriotisme intransigeant" russe. Tous deux savent que le combat de Vladimir Poutine pour "l'Europe chrétienne" face à la "décadence occidentale" et l'"hégémonisme américain" a un écho auprès de l'électorat du FN, rappelle le site de L'Obs.

Pour la présidente du Front national, qui rêve d'une élection à l'Elysée en 2017, insister sur les points de convergence entre son parti et celui de Vladimir Poutine, Russie unie, permet d'esquisser un éventuel partenariat stratégique gouvernemental. En face, le Kremlin juge le FN "capable de prendre le pouvoir en France et de renverser le cours de l'histoire européenne en faveur de Moscou", avance le site de l'hebdomadaire.

En développant ses réseaux à Moscou

Tout en flattant la Russie en France, le FN, en quête de crédibilité internationale, tente de se faire une place dans les couloirs du Kremlin. Jean-Marie Le Pen est un précurseur. Son premier voyage en Russie remonte à 1991, auprès de l'extrême droite locale, avant de nouvelles virées en 1996, 2003, 2005 (avec une visite des appartements privés de Vladimir Poutine à la clé) ou encore en octobre dernier, selon le site de L'Obs.

Jean-Marie Le Pen participe, avec sa femme Jany, aux noces d'argent du politicien ultranationaliste Vladimir Jirinovski, le 11 février 1996, à Moscou (Russie). (HECTOR MATA / AFP)

Les nouvelles générations ont repris le flambeau. En juin, le jour de la fête nationale, l'ambassadeur de Russie à Paris a convié Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen à sa réception. La présidente du parti avait déjà été reçue à Moscou, en 2013, par le président de la chambre basse du Parlement et par un vice-Premier ministre, avant un nouveau séjour en avril dernier. Elle aurait même rencontré Vladimir Poutine en février, selon Mediapart. Quant à Marion Maréchal-Le Pen, la députée frontiste est, comme Gilbert Collard, membre du groupe d'amitié France-Russie à l'Assemblée nationale.

Le travail des ténors et de nombreux cadres de l'ombre du Front national commence à porter ses fruits. En avril, le président russe, jusque-là prudent, s'est félicité publiquement du "succès de Marine Le Pen" aux municipales, rappelle le site de L'Obs. Boudé sur le plan européen, le Kremlin voit aussi dans le FN un soutien utile. "Sur les droits des homosexuels, des opposants politiques, il s'agit de montrer aux Russes que leur pouvoir n'est pas isolé mais soutenu par des partis de premier plan en Europe occidentale", estime le chercheur Jean-Yves Camus sur Slate. Bingo ? "La Russie a peut-être jeté son dévolu sur le Front national, en tout cas je l'espère", résume Marion Maréchal-Le Pen.

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