Pourquoi le PCF résiste mieux aux municipales qu'aux autres élections
Depuis les années 1990, les élus communistes locaux prennent leurs distances avec l'appareil national, explique le sociologue Julian Mischi. Interview.
Depuis l'apogée du communisme municipal, en 1977, le Parti communiste a perdu la moitié de ses mairies. Mais à la veille des élections municipales des 23 et 30 mars, le PCF dirige encore 726 communes, dont 28 villes de plus de 30 000 habitants. Le parti, qui a subi ces dernières décennies de lourds revers au niveau national, résiste plutôt bien dans ses bastions. Pour comprendre ce paradoxe, francetv info a interrogé le sociologue Julian Mischi, coauteur de l'ouvrage Les territoires du communisme, paru en 2013 (1).
Francetv info : L'érosion électorale du PCF est moins marquée aux élections locales qu'aux élections nationales. Comment l'expliquer ?
Julian Mischi : Au vu de la chute de son audience aux élections présidentielles et législatives depuis la fin des années 1970, on peut estimer que le Parti communiste a relativement bien résisté lors des scrutins municipaux et cantonaux même si, à la longue, ses forces se réduisent drastiquement. Il y a aujourd'hui près de 10 000 élus dans les mairies, membres du PCF ou "apparentés".
Cette puissance relative du PCF à l'échelon local s'explique notamment par les stratégies d'autonomisation des élus. Depuis les années 1990, les élus et candidats proches du PCF ne mettent pas en avant leur lien avec le parti lors des campagnes électorales et ils ont pris leurs distances avec l'appareil national. Ils se présentent de manière relativement individuelle et n'ont donc pas trop souffert du déclin de l'image du PCF dans l'opinion. Beaucoup, notamment en région parisienne, sont des communistes critiques qui se sont parfois opposés aux dirigeants du PCF, ceci dès les années 1980. Les dirigeants se sont progressivement accommodés de cette situation et laissent désormais les élus agir à leur guise, le principal étant pour eux de maintenir les mandats.
Sur quels types de territoires les élus PCF sont-ils les plus nombreux ?
Les élus communistes bénéficient d'une forte implantation dans les territoires très populaires où les autres forces ont longtemps été absentes, et c'est aussi l'une des explications de leur résistance à l'échelon local. Jusqu'à la dernière période, leurs adversaires, qui se recrutent surtout dans les fractions aisées de la population, peinaient à constituer des listes dans des villes populaires où, du fait de cette sociologie, ils étaient peu implantés. La force locale du PCF dans les banlieues populaires et les bassins industriels repose souvent sur l'engagement d'ouvriers syndicalistes qui ont accédé au pouvoir local durant les années 1950, 1960 et 1970, pouvoir qui a été transmis aux élus communistes actuels.
La situation locale du PCF doit être aussi rapportée à la longévité générale des carrières politiques en France et au faible renouvellement des élites politiques : les élus PCF gèrent un héritage qui s'érode, mais il est toujours plus facile de se maintenir au pouvoir local que de conquérir une municipalité. D'autant qu'ils mènent souvent une politique locale volontariste, qui rencontre les attentes des populations administrées que l'Etat central tend par ailleurs à délaisser.
Sur le terrain, en quoi les politiques menées sont-elles différentes dans les villes communistes ?
L'ampleur des dépenses sociales singularise la gestion des villes communistes, d'autant plus qu'elles ont été aux prises avec la désindustrialisation amorcée dès les années 1960. Ces villes se caractérisent aussi par la construction de nombreux logements sociaux, réalisés par des offices publics ou des sociétés d'économie mixte. Ces spécificités tendent à s'estomper avec le temps, mais les municipalités gérées par le PCF peuvent souvent faire valoir des services publics plus étendus que dans les autres communes.
Les municipalités communistes se distinguent aussi des autres équipes municipales par leur composition sociologique. Certes, comme pour les autres partis, les classes populaires sont peu présentes parmi les élus du PCF, mais ces derniers en sont plus fréquemment issus. Souvent d'origine modeste, ils ont connu une ascension sociale, en particulier à travers la fonction publique, alors que les élites municipales du PS et surtout de l'UMP se recrutent largement dans la bourgeoisie économique et parmi la haute fonction publique d'Etat. Ce sont souvent les communistes qui font entrer des ouvriers et des employés au sein des municipalités qu'ils gèrent avec le PS, car ces catégories sont quasi-absentes des listes socialistes.
Le PCF peut-il espérer conserver ses bastions lors des élections qui viennent ?
Il n'est évidemment pas question de prédire l'avenir, d'autant que les dynamiques à l'œuvre peuvent être contradictoires. Le maintien des élus locaux du PCF s'avère difficile à articuler avec la stratégie d'alliance avec d'autres formations de la "gauche de la gauche" au sein du Front de gauche. Cette stratégie est menée depuis 2009 et a permis un renouveau militant du PCF, qui cesse de perdre massivement des adhérents et se rajeunit. Elle a aussi assuré un enrayement de son déclin électoral à l'élection présidentielle de 2012 lorsque le PCF a soutenu Jean-Luc Mélenchon.
Cette dynamique du Front de gauche conduit à une baisse du nombre d'élus communistes du fait des rivalités qu'elle a induites avec les socialistes. Malgré de bons scores, le PCF a ainsi perdu beaucoup d'élus aux dernières élections cantonales et régionales et il va en perdre d'autres aux élections municipales. C'est, semble-t-il, le prix à payer pour un renouvellement de l'organisation militante. Le prix à payer aussi pour éviter que le PCF ne repose localement que sur ses élus.
Cependant, pour ces municipales, dirigeants et élus communistes ont préféré refaire alliance avec le PS dans de nombreuses villes et ainsi éviter de perdre des positions électives. En favorisant le retour à une configuration classique d'union de la gauche PCF-PS, ils mettent à mal la dynamique militante. C'est pourquoi derrière la question du maintien des élus dans le futur, il faut aussi se poser la question de celle des réseaux militants.
(1) Julian Mischi et Emmanuel Bellanger, Les territoires du communisme. Elus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes, Armand Colin, 2013.
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