Cet article date de plus de sept ans.

Les arguments de François Fillon confrontés au quotidien des élus et de leurs conseillers

Dix jours après le déclenchement de l’affaire Fillon, que pensent les élus et les attachés parlementaires des révélations et de la défense du candidat de la droite à l'élection présidentielle ? Correspondent-ils à leur réalité quotidienne ?

Publié
Temps de lecture : 10 min
Penelope et François Fillon, à Sablé-sur-Sarthe, le 10 décembre 2010. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

Depuis le début de l’affaire, le 24 janvier 2017, et la publication dans Le Canard enchaîné de révélations concernant des rémunérations perçues par l'épouse du candidat Les Républicains, François Fillon n’a pas varié dans sa ligne de défense : Penelope effectuait une activité réelle dans le cadre de contrats légaux. 

Hormis François Fillon qui a répondu aux toutes premières accusations dès le 25 janvier en meeting à Bordeaux, aucun des protagonistes directs du dossier, en l'occurrence son épouse et deux de ses enfants, ne s’est exprimé ni en public ni dans les médias. Ils ont choisi de réserver leurs arguments au parquet financier qui a ouvert une enquête dès les premières révélations.

La ligne de défense se dessine toutefois clairement : François Fillon rejette à la fois le soupçon d’emploi fictif, ainsi que la perception indue de primes. Franceinfo a interrogé les élus de terrain et les attachés parlementaires, afin de mettre à l'épreuve les arguments du candidat Les Républicains. 


L’Affaire Fillon à l’épreuve du terrain par franceinter

1François Fillon pouvait-il avoir une permanence "à domicile" ?

François Fillon explique que sa femme travaillait à son domicile de Sablé-sur-Sarthe, car il n’avait pas de permanence parlementaire. Son avocat, Antonin Levy l’a d'ailleurs confirmé au micro de RTL : "Sa permanence, quand on souhaitait voir François Fillon député de la Sarthe, c’était à son domicile (…) Tout le monde connaît l’adresse de François Fillon dans la Sarthe !"

C’est plutôt surprenant, car la "permanence", pour un élu, est un lieu généralement incontournable, comme le souligne Mathieu Langlois, ancien assistant parlementaire d’un élu du Loiret : "C’est toujours un lieu ouvert où les gens qui ont besoin de contacter le député peuvent venir n’importe quand. C’est aussi un objet de communication vers le public." Selon la députée macroniste de Haute-Garonne Monique Iborra, c’est même rarissime : "Ce n’est pas illégal mais ce n’est vraiment pas courant ! Tous les députés ont une permanence."

Même si l’on considère que cette permanence était bel et bien au domicile des Fillon, en l’occurrence le château de Sablé-sur-Sarthe -  ce qui serait légal -  ce point reste obscur, y compris sur les mentions précises du contrat de travail de Penelope Fillon, contrat que l’Obs s’est procuré. On y remarque que l’adresse du lieu de travail est la permanence RPR au Mans, distante de 50 km du domicile des Fillon. Le député UMP de la Sarthe, Pierre Hellier est d’ailleurs assez embarrassé pour qualifier le temps de présence de Mme Fillon au Mans : "Elle a été présente au moins une fois, mais devait-on la salarier pour ça... C’est un problème effectivement. Ce n’était pas du tout le même niveau qu’un assistant parlementaire, c’est exact."

Embarras d’autant plus compréhensible que le contrat de travail couvre aussi une période où François Fillon est devenu député de la 2ème circonscription de Paris, et ce dès 2012. Penelope Fillon n’avait donc pas alors à effectuer un travail de terrain où que ce soit dans la Sarthe. Pour autant, il n'y a aucune trace de Penelope Fillon dans la 2ème circonscription de la capitale, où là non plus le député Fillon n’a jamais eu la moindre permanence. Pour le voir, il fallait prendre rendez-vous avec ses collaborateurs à l’Assemblée. Et la seule fois où il a envoyé une assistante le représenter dans le 5e arrondissement, ce n’était pas Penelope Fillon. Pourtant, à cette période, elle était payée 5 000 euros bruts selon Le Canard enchaîné.

Le choix de ne pas avoir de permanence électorale pose d’autres questions : tout député perçoit une indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Cette IRFM s’élève à 5 770 euros et s’ajoute au salaire mensuel de l’élu. Selon le règlement de l’Assemblée, cette enveloppe est destinée à plusieurs choses : à payer le loyer de la permanence, mais en l'occurrence, François Fillon n'en a pas ; à prendre en charge les frais de voiture, mais le député affirme ne pas avoir changé de véhicule depuis de dix ans ; à assurer la communication, mais François Fillon ne distribue pas de journal de député dans les boîtes à lettres. Il n’a même pas de site internet de député.

Tout cela est donc très inhabituel pour un parlementaire. Et la question reste entière : à quoi servaient ces presque 6 000 euros par mois ? Impossible de savoir quel usage en faisait François Fillon. L’organisation anti-corruption Transparency International France souligne qu’aucune règle de transparence, ni contrôle, ni sanction ne sont prévus à cet égard.

2Penelope Fillon a-t-elle bénéficié d'une rémunération excessive ?

Les éléments livrés par la presse révèlent que Penelope Fillon a été rémunérée pour un travail à temps plein oscillant entre environ 4 000 et 7 900 euros bruts mensuels. Le montant le plus élevé correspondrait à la période où elle était devenue l’unique collaboratrice du député Marc Joulaud, suppléant de François Fillon, devenu ministre en 2002 sous le gouvernement Raffarin.

Cette variation de revenus s'explique par le fait que l’indemnité d’une épouse est plafonnée à la moitié de l’enveloppe globale réservée à la rémunération des collaborateurs parlementaires, c'est-à-dire à 4 700 euros bruts par mois. Mais ce plafonnement disparaît dès l’instant où il n’y a plus de lien de parenté entre le parlementaire et l’assistant ou l'assistante, ce qui explique que le salaire de Penelope Fillon explose soudain.

Pourtant, ce montant de 7 900 euros mensuels stupéfie nombre d’élus et de collaborateurs parlementaires, car ce serait une rémunération supérieure à l’indemnité parlementaire perçue par l’élu lui-même, qui se situe autour de 6 000 euros, calculée sur la base du traitement des hauts fonctionnaires. Par ailleurs, un tel montant n’autoriserait pas beaucoup d’autres collaborations puisque l’enveloppe s’élève au total à 9 000 euros.

Révélation d’autant plus étonnante qu’en 1993, le député de la Sarthe François Fillon évoquait son travail parlementaire dans son journal électoral et expliquait avoir besoin de cinq assistants parlementaires pour le soutenir dans son travail quotidien.

Extrait d'un journal électoral de François Fillon, datant de 1993. (FRANCEINFO)

3Une collaboratrice sans badge et sans mail, est-ce plausible ?

Présenté comme un élément à charge également, le fait que Penelope Fillon n’ait pas été bénéficiaire d’un badge d’accès à l’Assemblée nationale. C’est pourtant un classique lorsqu’on est assistant parlementaire en circonscription. La députée Monique Iborra nous a confirmé que ses assistantes n’en ont pas non plus : "Elles n’ont qu’un badge temporaire pour les rares fois où elles se rendent à l’Assemblée, ce qui est reste exceptionnel car elles sont plutôt sur le terrain dans ma circonscription de Haute-Garonne."

Quant au problème de l’absence d’adresse mail correspondant au serveur de messagerie de l’Assemblée nationale, ce n’est pas un élément à charge non plus : "L’Assemblée nationale ne permet pas que tous les collaborateurs d’un député aient une adresse en @assemblee-nationale.fr car il n’en est délivré que deux par élu : une pour lui, et une générique  pour l’ensemble de ses collaborateurs. Moi-même quand j’exerçais auprès de mon député j’utilisais mon adresse @gmail.com", déclare Mathieu Langlois, l'ancien attaché parlementaire d'Olivier Carré, député LR du Loiret. 

Au-delà de ces constats, cette affaire Fillon éclaire d’un jour inhabituel un métier peu connu du grand public : de quoi exactement est faite cette activité de collaborateur parlementaire ?

Selon l’avocat de François Fillon, Maître Antonin Lévy, le travail effectué serait réel mais intangible et difficile à évaluer : "Il ne s’agit pas de préparer des notes des mémos ou des synthèses ! C’est aider, préparer, relier, faire remonter les voix du terrain, faire passer des messages... Être la personne de confiance au quotidien." Les fiches de paie seraient donc les seules traces laissées par ce labeur.

Cette définition est pourtant bien éloignée de celle que décrivent ceux qui exercent réellement ce métier, comme le relate Thierry Besnier, le secrétaire général du syndicat national des collaborateurs parlementaires Force Ouvrière : "Je travaille donc je produis quelque chose de tangible. Quand un député fait relire son discours, il y a des traces des échanges, des notes... Je n’ai jamais entendu une défense plus pourrie !"


Affaire Fillon : « C’est insultant » par franceinter

Autre témoignage outré, celui de Valentine Vercamer, collaboratrice et fille du député UDI du Nord, Francis Vercamer : "Mon boulot ? J’écris les propositions de loi, les amendements sur les projets de loi du gouvernement, je reçois les personnes à la permanence parlementaire, je travaille de 9h à 20h, le week-end et les jours fériés !"

Quel que soit le ressenti de ces professionnels, leur travail fait l’objet d’un encadrement réglementaire tout à fait clair et le champ de compétences des assistants parlementaires est strictement défini. En résumé : les uns gèrent les agendas, calendrier, téléphone... Et les autres, plus spécialisés, diplômés en droit ou en science politique par exemple, participent au travail législatif. D’où des différences de salaires entre la première et la seconde catégorie : plus on est qualifié, plus on est payé, mais plus alors on se mêle de politique. Or Penelope Fillon a toujours affirmé se tenir à l’écart de la politique.

4Pouvait-il aussi faire travailler ses enfants ?

Le 26 janvier sur TF1, François Fillon avoue avoir fait travailler ses enfants lorsqu’il était sénateur : "Il m’est arrivé de rémunérer deux de mes enfants qui étaient avocats, en raison de leurs compétences." 

On apprendra dès le lendemain que ses enfants étaient encore étudiants au moment où François Fillon les a fait travailler. Et le 2 février 2017, le parquet national financier étend son enquête préliminaire aux enfants de l’élu Les Républicains.

Chez les députés, c’est une pratique courante d’employer les enfants. Pour Françoise Guéguot, députée LR de Seine Maritime, elle présente plusieurs avantages : "C’est un confort par rapport à des questions de confidentialité, et parfois on fait passer des passions, ça n’a rien d’aberrant." Les enfants comme les conjoint(e)s employé(e)s par des députés vont tous dans ce sens. La confiance, facilitée par le lien familial, est le premier argument avancé.

Le deuxième argument, c’est que dans le secteur privé, certains travaillent aussi en famille. Selon le député socialiste Germinal Peiro, seule la question de l’emploi fictif poserait problème s’il était avéré : "Je connais énormément d’entreprises de commerce ou d’artisanat, où les patrons travaillent en famille, donc il ne faut pas stigmatiser tout le monde."

Au-delà du cas Fillon, il apparait que le travail parlementaire en famille est bel et bien une culture très ancrée en France. L'enquêtrice de Médiapart Mathilde Mathieu a été alertée par le cas de Pauline Lemaire, artiste peintre et mère de quatre enfants, rémunérée jusqu’en 2013 comme assistante de son époux Bruno Lemaire. La journaliste a ainsi mis au jour en 2014 que 115 députés sur 577 employaient alors un membre de leur proche famille, conjoint ou enfant, comme collaborateur. Quel que soit le parti politique, la pratique est générale.

Ils sont dans une espèce d’autorégulation, pourquoi interdire quelque chose que chacun pratique ?

Mathilde Mathieu, journaliste de "Médiapart"

Certains assistants parlementaires, extérieurs à cette affaire, ne vivent pas très bien ce contexte. Le frère du député écologiste Sergio Coronado vient de démissionner. Michel Martinel, employé pour 450 euros par mois comme chauffeur par son épouse, la députée PS Martine Martinel, souffre du regard des autres à cause de cette affaire.

L’affaire Cahuzac avait débouché sur la création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), afin de redorer l’image des parlementaires. Faut-il une autre loi pour contraindre les parlementaires à séparer vie publique et vie privée, et à mieux contrôler l’usage qui est fait des indemnités ? Selon Elsa Foucraut de l’association Transparency International, "les Français sont devenus méfiants et vigilants sur ces questions. On a fait un sondage : ils pensent que plus de 70% des parlementaires sont corrompus." Les politiques ont donc tout intérêt à avoir un discours et une posture solide sur ce sujet.

Mais cette idée ne plaît pas beaucoup aux députés. Selon Monique Iborra, députée de Haute-Garonne, si la loi change, les parlementaires la contourneront en faisant employer leurs conjoints par des collègues. Une pratique déjà à l’œuvre par exemple en Moselle, Mathilde Mathieu de Médiapart l’a constaté : "Trois sénateurs de ce département partageaient une même permanence et employaient, par un système habilement croisé, quatre membres de leurs familles respectives : deux filles, une épouse et un neveu, tout en respectant la règle de la limitation à deux emplois familiaux par élu."

Si l’idée d’une évolution des règles progresse dans l’opinion, elle rencontre des résistances chez de nombreux élus. Il est à cet égard assez troublant de réécouter ce que disait François Fillon lui-même, en avril 2013, alors que François Hollande annonce la création de la HATVP,  qui va contraindre les élus à déclarer leur patrimoine et qui ils emploient parmi leurs proches. François Fillon refuse de voter ce texte. Quelques mois plus tard, Penelope Fillon cessera d’être rémunérée comme assistante parlementaire.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.