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Tensions entre Paris et Ankara : c'est un "incident sérieux" lié à "la volonté de leadership" de la Turquie dans le monde musulman, estime un spécialiste

Recep Tayyip Erdogan a critiqué avec virulence l'attitude d'Emmanuel Macron envers les musulmans après l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine. Un épisode "significatif de cette relation qui s'est détériorée ces derniers mois", selon Jean Marcou, chercheur associé à l'Institut français d’études anatoliennes à Istanbul.

Article rédigé par franceinfo
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Recep Tayyip Erdogan et Emmanuel Macron participent à une conférence dans le cadre d'un sommet appelé à tenter de trouver une solution politique durable à la guerre civile en Syrie, à Istanbul, le 27 octobre 2018. (OZAN KOSE / AFP)

Les récentes tensions entre Paris et Ankara constituent un "incident sérieux" lié à "la volonté de leadership" de la Turquie dans le monde musulman, a déclaré samedi 24 octobre sur franceinfo Jean Marcou, professeur à Sciences-Po Grenoble, chercheur associé à l'Institut français d’études anatoliennes à Istanbul. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a mis en question la santé mentale de son homologue français Emmanuel Macron en raison de son attitude envers les musulmans et du projet de loi en préparation sur les séparatismes. En retour, Paris a dénoncé des propos inacceptables et a rappelé son ambassadeur en Turquie. Cet épisode intervient après plusieurs "accrochages" et est "significatif d'une relation qui s'est détériorée ces derniers mois", analyse le chercheur.

franceinfo : Pourquoi cette soudaine montée de tension entre la France et la Turquie ?

Jean Marcou : Elle n'est pas complètement soudaine. Quand on regarde les derniers mois, on s'aperçoit qu'il y a eu sans arrêt des accrochages entre la France et la Turquie à propos de la situation en Méditerranée orientale, au moment de l'explosion au Liban où la Turquie cherchait à faire concurrence à Emmanuel Macron en proposant également ses services, en Afrique également où le ministre des Affaires étrangères turc s'est rendu au Mali juste après le coup d'Etat, et puis plus récemment dans le Caucase, où finalement la France et la Turquie ont eu plusieurs accrochages à propos du conflit qui a lieu actuellement entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie.

La question de loi contre les séparatismes, c'est un vrai sujet en Turquie, ou c'est juste un prétexte pour faire monter la pression contre Paris ?

Recep Tayyip Erdogan a tout de suite réagi à la loi contre le séparatisme. Ça tient aussi au positionnement que veut adopter la Turquie dans le monde musulman où actuellement, elle s'oppose à l'Arabie saoudite, aux Emirats, et donc cette volonté de leadership et de défense. Je crois qu'il y a à la fois la défense des Turcs de l'étranger voir possiblement la défense des musulmans.

Erdogan a toujours manifesté une attention particulière pour les Turcs de l'extérieur, qu'ils soient dans les Balkans, dans le Caucase ou au Moyen-Orient, mais aussi en Europe.

Jean Marcou, chercheur

à franceinfo

On a vu plusieurs fois des accrochages graves avec différents pays d'Europe. Là, il se trouve qu'il y a cet accrochage avec la France mais en même temps, la Turquie a également eu des mots avec l'Allemagne suite aux perquisitions qui ont été lancées dans une mosquée à Berlin. Donc, c'est un sujet qui a toujours été très, très sensible pour la Turquie. Dans la mesure où la loi sur le séparatisme pourrait avoir des conséquences pour la communauté turque, voire pour les musulmans turcs, effectivement Erdogan intervient.

À votre avis c'est grave ce qui est en train de se passer ou ça s'inscrit dans le jeu diplomatique classique ?

Oui et non, parce qu'on a quand même un conflit qui dure, des accrochages qui se produisent qui ne concernent pas que la France en Europe. Je pense que la Turquie, actuellement, est un peu fébrile parce qu'il y a également l'élection américaine, et que Recep Tayyip Erdogan pourrait perdre son ami Trump en quelque sorte. Donc je crois que c'est quand même un incident qui est sérieux même si il fait partie des relations diplomatiques. Peut-être également que l'ambassade de Turquie en France n'a pas pris la pleine mesure de ce qui s'est passé en France, l'Elysée montrait que Erdogan n'avait pas réagi à l'assassinat de Samuel Paty, n'avait pas envoyé ses condoléances alors qu'il l'avait fait précédemment pour les attentats terroristes en France. Mais c'est significatif aussi de cette relation qui s'est détériorée ces derniers mois et qui, effectivement, doit retrouver le chemin du dialogue.

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