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Loi sur les "fake news" : "Le grand danger, c'est de donner la responsabilité à l'Etat de dire le vrai du faux"

Dans un entretien à franceinfo, Pascal Froissart, enseignant-chercheur, spécialiste de la rumeur, revient sur la proposition d'Emmanuel Macron de légiférer contre les "fake news" en période électorale. 

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi pour lutter contre la diffusion de fausses nouvelles en période électorale, le 2 janvier 2018. (HELMUT FOHRINGER / APA-PICTUREDESK / AFP)

C'est une proposition qui a déjà fait couler beaucoup l'encre. Lors de ses vœux à la presse, mardi 2 janvier, Emmanuel Macron a affiché sa volonté de s'attaquer aux "fake news" en période électorale. Le gouvernement devrait présenter "probablement avant la fin de l'année" un projet de loi sur le sujet, a annoncé, vendredi 5 janvier, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux.

En cas de propagation d'une fausse nouvelle, cette législation permettrait, selon le président de la République, "de saisir le juge dans une action en référé, pour faire supprimer le contenu, déréférencer le site, fermer le compte utilisateur concerné, voire bloquer l'accès au site internet". Est-ce souhaitable ? L'opposition, notamment le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, et la présidente du FN, Marine Le Pen, ont immédiatement qualifié cette future loi de "liberticide". Qu'en est-il vraiment ? Franceinfo a interrogé Pascal Froissart, enseignant-chercheur en communication à l'université Paris VIII et spécialiste de la rumeur.

Franceinfo : Est-il possible de définir les "fake news" ?

Pascal Froissart : Eh bien non, sinon ce ne serait pas drôle ! Le problème de l’intervention d'Emmanuel Macron, c'est qu'elle donne corps à une notion qui n’a pas de définition théorique. La "fake news" est un mot-valise dans lequel on range des phénomènes pas tous identiques. C’est plus un sentiment qu’une réalité. En fait, il y a différentes sortes de "fake news", et le spectre est vaste : cela va de la fausse info répercutée avec ou sans malice jusqu’au coup monté par une officine cachée, parfois étrangère. Il y a donc d’un côté la répercussion d’une info biaisée ou partiale et, de l’autre, de véritables attaques concertées avec des moyens et une volonté de nuire. Ce n’est tout de même pas la même chose.

Est-ce un phénomène nouveau lié aux réseaux sociaux, ou bien n'est-ce pas l'actualisation de la bonne vieille rumeur ?

Rumeurs et "fake news" sont les deux faces d’une même monnaie. L'émergence de l'expression "fake news" est d'ailleurs toute récente, puisqu'elle date de novembre 2016, dans les éléments de langage de l’équipe de communicants autour de Donald Trump. C’est même fascinant de voir que ce petit mot vient se superposer aux autres termes comme "rumeur", "intox" ou "hoax", car ils se valent en grande partie. Les élections présidentielles américaine et française ont cependant nettement fait la publicité de l'expression "fake news", alors qu'en temps normal, on aurait davantage parlé de fausse info.

L'élément commun à tous ces termes, c'est la circulation, la diffusion massive, l’apparente absence de contrôle ou de traçabilité.

Pascal Froissart

Ce qui est intéressant avec les "fake news" comme avec les rumeurs, c’est qu’on se focalise sur le grand nombre de personnes qui les font circuler, comme si cela rendait la fausseté encore plus fausse. On constate un "fantasme du nombre" au centre de cette idée de "fake news", et ce fantasme vient nourrir un sentiment de peur face à elle. Or, cela déplace le mal, mais cela ne résout pas le problème initial : la fausse information.

Est-ce à l'Etat, et plus précisément au juge des référés, comme le souhaite Emmanuel Macron, de dire le vrai du faux ?

Donner la responsabilité à l’Etat ou à l’institution judiciaire de dire le vrai du faux, c’est le grand danger de la chose. Cela prend du temps de dire le vrai du faux ; on ne sait toujours pas si Napoléon a été assassiné, par exemple. Les vérités d’Etat sont dangereuses et jamais souhaitables. Il n’y a sans doute pas chez Emmanuel Macron de volonté de censurer ou de créer une police de la vérité journalistique. Son idée est bonne de vouloir protéger les moments de la démocratie les plus fragiles, c'est-à-dire les élections. D’accord pour mettre en place des garde-fous, mais de là à renforcer les pouvoirs de l’Etat sur l’information, c'est moins satisfaisant.

En plus, la loi de la presse fonctionne bien et s'applique parfaitement à l'ère des réseaux sociaux. Il y a des problèmes plus criants à résoudre, notamment celui des moyens. Il n’y a qu'une poignée de gendarmes et de policiers affectés à la cybersurveillance, par exemple. Sur un plan technique, c'est très facile de remonter à l'origine des messages sur les réseaux sociaux. Mais sur un plan pratique, c'est très compliqué car cela demande du temps et des moyens. Le vrai problème n'est donc ni législatif ni administratif – les juges font leur travail et le CSA aussi –, mais matériel. Et cela, c’est absent du discours du président.

Les "fake news" touchent beaucoup de monde grâce aux réseaux sociaux, mais ont-elles un réel impact en matière électorale ?

Des études anciennes, réalisées dès 1940, montrent que les informations n'ont généralement que peu d'influence directe sur le résultat des élections. Ce n'est pas l'information qui fait l’opinion. Autrement dit, la diffusion de l'information ne suffit pas à changer une opinion, mais elle y contribue. Il serait étonnant que ce soit différent sur internet, où circulent les "fake news", dont on peut penser qu’elles influencent peu le résultat final.

L’année dernière, une étude menée par deux économistes américains sur l'élection de 2016 [et relayée par le New York Times] montrait qu'une infime partie des Américains se souvenaient d'avoir été mis en contact avec la "fake news" selon laquelle le pape soutenait Donald Trump. La moitié de cette infime partie reconnaissait que cette "fake news" avait eu une influence sur son vote. Cela confirme l'idée que ces fausses informations ont beaucoup de portée mais peu d’impact. Fait étrange : les chercheurs avaient mis dans leur sondage une "fake news" tirée de leur imagination, et on aboutissait à peu près aux mêmes résultats ! Cela montre aussi que nos instruments de mesure de l'influence des médias sont faux. Bref, la fausse info structure moins le champ politique que la peur de nos responsables politiques face à celle-ci !

Enfin, ce qu’on sait des changements d'opinion électorale, c’est que celle-ci ne circule pas vraiment dans les médias mais dans les réseaux interpersonnels en face à face.

Votre mère, votre ami ou même votre boucher ont plus d'importance en matière d'opinion électorale que David Pujadas !

Pascal Froissart

Le journaliste est derrière les écrans et transmet de l’information, alors que votre mère est devant vous, vous pouvez avoir une interaction forte avec elle et changer son opinion (ou la vôtre, sous l'effet de son grand pouvoir de conviction)…

Vous parliez des moyens humains et financiers à renforcer, y a-t-il d'autres leviers à imaginer, notamment en matière d'éducation aux médias ?

L'éducation aux médias est un bon moyen de lutter contre les "fake news". Mais elle ne règle pas tout car, même si on est averti, même si on reconnaît une fausse info, on ne peut rien faire quand tous les médias semblent hypnotisés par elle. De plus, les gens qui font circuler les "fake news" les plus dangereuses, qui financent des opérations de guérilla informationnelle, ne le font pas pour que l'on croie à leur information, mais pour diffuser un sentiment de confusion, de fatigue, à l'intention d'un électorat peu politisé. Si l'objectif est d'introduire de la confusion dans le débat, le fait que je sois averti ne changera rien à l’affaire, je n'aurai pas envie de voter, et le but visé par les groupuscules à l'origine de la "fake news" sera atteint.

Enfin, bien sûr, la production journalistique importe dans la lutte contre les fausses infos. Car d'un côté, la presse classique perd de l'audience, et de l’autre côté les sites d'information payants se multiplient sur internet.

On voit arriver une information à deux vitesses, une pour les riches et une pour les pauvres.

Pascal Froissart

Il est peut-être encore temps de mieux répartir les moyens de la presse. L'argent existe, mais il est passé de la presse traditionnelle aux opérateurs de plateformes tels que Facebook et Google, qui captent 70% de la publicité sur internet. Il faut réfléchir à la répartition de la manne publicitaire pour faire fonctionner le journalisme. Car pour lutter contre les "fake news", il faut des enquêtes et des informations de bonne qualité, et pour cela, il faut des journalistes, nombreux et avec des conditions de travail décentes. C'est là qu'il faut mettre de l'argent.

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