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Présidentielle : pourquoi la campagne de Benoît Hamon patine

Article rédigé par Sophie Brunn
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le candidat socialiste à l'élection présidentielle, Benoît Hamon, lors d'un meeting à Guéret (Creuse), le 9 février 2017. (DENIS ALLARD / REA)

Démarrage poussif, difficultés à faire entendre ses propositions, défections dans son camp, intentions de vote en baisse dans les sondages... Après son succès à la primaire de la gauche, Benoît Hamon peine à relancer sa campagne.

"Je n'en peux plus moi !" En déplacement en Corse, lundi 6 mars, Benoît Hamon ne le cache plus : alors que la mayonnaise autour de sa candidature ne prend pas, les questions à propos de l'affaire Fillon commencent sérieusement à l'horripiler. Lui préférerait parler de son programme, de ses propositions, de sa vision du pays. En vain.

Et ce ne sont pas ses camarades du Parti socialiste qui vont lui faciliter la tâche. Plus d'un mois après sa victoire à la primaire de la gauche, les défections et les critiques se multiplient. Mardi, c'est le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui affirme dans Le Monde "avoir du mal à se reconnaître" dans la campagne du candidat socialiste, et assure qu'il n'a pas encore fait son choix entre Hamon et Macron.

Entrée en campagne tardive, difficultés à rassembler les siens, concurrence de la candidature Macron... Franceinfo vous explique les raisons de cette campagne qui patine.

Parce que l'affaire Fillon empêche les débats de fond

Si Benoît Hamon n'arrive pas à "imprimer" dans cette campagne présidentielle, c'est d'abord la faute de François Fillon. C'est en tout cas ce que dit son porte-parole, le député Alexis Bachelay, interrogé sur franceinfo lundi : "Le débat public est tiré vers le bas par ces semaines que nous passons à commenter des procédures judiciaires, les divisions d'une famille politique."

Benoît Hamon a fait des propositions extrêmement fortes, mais elles ne passent pas le mur de l'actualité qui se focalise sur les divisions de la droite.

Alexis Bachelay, porte-parole de Benoît Hamon

sur franceinfo

"A chaque fois que je veux parler de service public, on me ramène au feuilleton interminable de François Fillon et ses amis", s'est lui-même agacé Benoît Hamon, lundi. De fait, la difficulté existe pour tous les candidats : comment parler du fond ?Comment faire exister un débat politique sur des propositions, quand la droite passe ses semaines à s'écharper et à se diviser  autour du maintien ou non de la candidature de François Fillon ?

Le camp Hamon peine à trouver la réponse. "Il faut qu'il se ressaisisse de sa campagne, en particulier du calendrier. Il donne le sentiment de subir, reproche un ministre, interrogé par franceinfo. C'est peut-être injuste, mais la situation est celle-là. Il lui appartient de reprendre la main." Un des dirigeants de sa campagne relativise, espérant que le premier débat entre les cinq principaux candidats, prévu le 20 mars sur TF1, permettra aux propositions de Hamon d'émerger. "Le débat sera le premier moment d'exposition médiatique très fort, où les uns et les autres seront audibles. Je ne dis pas que ce sera +5 le lendemain, mais bon…"

Parce qu'il a mis du temps à démarrer sa campagne

Le feuilleton Fillon n'explique pas tout. Le 29 janvier, Benoît Hamon remporte largement la primaire de la gauche face à Manuel Valls. Dans les jours qui suivent, une dynamique semble s'enclencher dans les sondages, qui voient le candidat socialiste gagner rapidement quelques points et distancer Jean-Luc Mélenchon. Il engage alors des discussions avec Yannick Jadot et le candidat de la France insoumise.

Plus de trois semaines sont nécessaires pour s'accorder avec le premier et obtenir le retrait de l'écologiste. Quant aux discussions avec le second, elles ont fini par achopper, a priori de manière définitive. Pendant toute cette période, Benoît Hamon est resté quasi invisible. Dans l'entourage du candidat, on tente de justifier le temps passé à négocier ce deal : "Grâce à l'accord avec les Verts, on ne descendra jamais sous les 15%, ni sous Mélenchon, on a un socle solide."

Mais cette analyse ne fait pas l'unanimité. "Après la primaire, on n'est pas passé assez vite à la suite de la campagne, à savoir aux propositions de fond", reconnaît une proche du candidat.

Cela a été la drôle de campagne, comme il y avait eu la drôle de guerre… mais j'espère que cela ne finira pas comme en juin 1940 !

Une proche de Benoît Hamon

à franceinfo

Interrogée par franceinfo, une ministre s'alarme de ce retard à l'allumage. "Il a perdu beaucoup de temps au début. Un temps qui aurait été utile. Un temps que Macron a mis à profit. Après une primaire, c'est vrai pour tous les vainqueurs, le soufflé retombe toujours un peu. Mais lui ne pouvait pas se le permettre."

Parce qu'il est loin de faire l'unanimité au sein de la famille socialiste

Autre conséquence de ce temps passé à tendre la main aux écologistes et au camp de Jean-Luc Mélenchon : Benoît Hamon n'a (toujours) pas réussi à rassembler derrière lui tous les socialistes, en particulier ceux de l'aile droite du PS.

De nombreux ministres restent bloqués par son positionnement et son programme, et n'hésitent plus à le faire savoir. "On ne lui demande pas de défendre le bilan du quinquennat alors qu'il a été élu en le critiquant, explique un membre du gouvernement. Mais qu'au moins, il rende l'avenir désirable [son slogan de campagne] y compris pour les sociaux-démocrates. Je n'ai pas envie d'un gouvernement où on m'explique que la dette, si on peut la rembourser tant mieux, sinon tant pis !"

Il ne peut pas s'adresser simplement à 20% des Français qui, pour telle ou telle raison, sont sensibles à des thèmes d'une gauche radicalisée.

Jean-Marie Le Guen

sur RTL

En signant un accord avec Yannick Jadot, qui a encore "gauchisé" son programme, Benoît Hamon s'est un peu plus compliqué la tâche. Il a en effet intégré plusieurs points très éloignés de la doxa socialiste, comme la sortie du nucléaire. Si dans son équipe, on assume cette rupture, elle passe très mal chez certains loyalistes. "L'accord avec les Verts, on l'a là", dit un ministre en montrant sa gorge pour signifier que cela ne passe pas. "Benoît Hamon ne discute qu'avec ceux qui ont contesté la politique du gouvernement. C'est une façon de se faire plaisir et de se concentrer sur son noyau, mais tout ça est condamné à rester minoritaire."

J’ai 42 ans de parti derrière moi, je suis un socialiste légitimiste. Benoît est notre candidat, qu’il n’y ait pas de malentendu. J’ai envie que Benoît nous donne envie. Mais aujourd’hui, le compte n’y est pas.

Patrick Kanner

dans le "JDD"

Dans l'équipe de Hamon, on préfère minimiser le problème. "La plupart des députés ont voté les textes de loi pendant ce quinquennat par fidélité, pas par adhésion, explique à franceinfo un responsable de la campagne. Aujourd'hui, ils sont dans une espèce de syndrome de Stockholm : vous vous êtes donné du mal, vous avez pris les coups, vous dites que si cela ne marche pas, c'est la faute des frondeurs. C'est aussi le cas chez certains ministres. Certains voudraient que les propositions de la primaire soient validées par le parti, mais ce n'est pas possible." Pas sûr qu'avec ce genre de réponse, le rassemblement se fasse correctement.

Parce que c'est Macron qui incarne le vote utile

Le rassemblement derrière Benoît Hamon est d'autant plus compliqué qu'à gauche, de plus en plus d'élus, cadres et militants semblent tentés par Emmanuel Macron. Dans les sondages, l'ancien ministre de l'Economie a pris le large : selon l'enquête quotidienne menée par l'institut Ifop, le candidat d'En marche ! a désormais douze points d'avance sur Benoît Hamon, alors qu'il n'en avait que deux début février. Mieux, Emmanuel Macron peut clairement prétendre à une qualification au second tour : s'il reste derrière Marine Le Pen, il bénéficie d'une avance de cinq à six points sur François Fillon. A l'inverse, aucune enquête n'a pour l'heure qualifié Benoît Hamon, qui oscille entre 12,5% et 16% des intentions de vote.

Or, cet argument pèse lourd dans le choix des électeurs de gauche, tout comme dans celui des figures de plusieurs partis. Ainsi, si le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, hésite à voter Hamon ou Macron, c'est parce qu'"on ne peut pas laisser Marine Le Pen caracoler en tête au premier tour, au risque de la mettre en position favorable au second", justifie-t-il mardi dans Le Monde. Un ministre interrogé par franceinfo acquiesce : "Ce n'est pas seulement un vote utile classique, pour faire barrage à l'extrême droite. C'est refuser que le vote anti-Marine Le Pen soit un vote Fillon."

Qui peut au deuxième tour battre Marine Le Pen ? Si c’est François Fillon, la gauche n’ira pas voter, si c’est Benoît Hamon, la droite n’ira pas voter, donc si vous voulez vraiment nous éviter Marine Le Pen, Emmanuel Macron est le mieux placé.

Daniel Cohn-Bendit

sur franceinfo

Même Patrick Braouzec, figure du Parti communiste et du Front de gauche, reprend cet argument, pour justifier son choix de voter en faveur d'Emmanuel Macron. "Je mesure les conséquences dramatiques d’un second tour droite extrême-extrême droite", écrit-il dans une tribune publiée mardi dans Le Monde. "Le 24 avril, il sera trop tard pour avoir des regrets et dire qu’on ne pensait pas… Comme Daniel Cohn-Bendit, je pense qu’Emmanuel Macron est le seul candidat à permettre de ne pas se retrouver devant cette situation et d’éviter que les gens subissent une politique rétrograde."

Une analyse que pourrait rejoindre de nombreux électeurs de gauche si, d'ici au premier tour, la campagne de Benoît Hamon n'avait pas réussi à prendre son envol.

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