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Affaire Bettencourt : les trois techniques de défense de Nicolas Sarkozy

Rarement interrogé à ce sujet dans les médias, le président candidat suit une ligne de défense à géométrie variable. FTVi décrypte ses arguments.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Nicolas Sarkozy invité de "La matinale" de Canal+, le 3 avril 2012 (capture d'écran). (CANAL+)

Nicolas Sarkozy a-t-il eu recours à un financement illégal pour sa campagne de 2007 ? A ce stade de l'enquête, menée par le juge d'instruction bordelais Jean-Michel Gentil, personne n'en a apporté la preuve, malgré les nombreux et troublants rebondissements que réserve l'affaire Bettencourt. Rarement interrogé à ce sujet dans les médias, le président candidat suit une ligne de défense à géométrie variable. FTVi décrypte ses arguments.

• Le plan A : l'esquive

La technique est éprouvée. Face à une question dérangeante, le plus confortable est encore de ne pas y répondre. Dès son premier déplacement de campagne, le 16 février à Annecy (Haute-Savoie), une journaliste de Mediapart met les pieds dans le plat : "Monsieur Sarkozy, pensez-vous, comme vous l’avez dit en 2010 à David Pujadas pour la presse, que des officines sont derrière les juges qui ont mis Eric Woerth [trésorier de sa campagne de 2007] en examen ?" Mais le chef de l'Etat n'a pas envie de répondre, et le fait savoir : "Ecoutez… Qu’est-ce que vous me parlez de ça... Je suis là... à Annecy, j’ai pas envie de parler de ça." La journaliste insiste, puis il ajoute : "Ecoutez, on est en démocratie, et on a bien le droit de ne pas répondre aux questions. Vous avez le droit de les poser, j’ai le droit de ne pas y répondre."

• Le plan B : le démenti

Quand le journaliste s'accroche un peu trop, il faut bien trouver quelque chose à répondre. Une valeur sûre : tout démentir en bloc. C'est la stratégie que Nicolas Sarkozy a mise en œuvre le 12 mars dans l'émission "Parole de candidat", sur TF1. Il avait d'abord répondu vertement à Laurence Ferrari, qui le questionnait à propos d'un éventuel financement illégal de sa campagne par le colonel Kadhafi. "Grotesque." Puis, quand le journaliste Michel Field l'a interrogé sur "la succession sans précédent d'affaires politico-judiciaires", Nicolas Sarkozy a évoqué l'affaire Woerth-Bettencourt : "Y a-t-il une preuve ? Ai-je été condamné ? On me demande de me justifier sur quoi ? De la part de qui ?"
Le procédé avait déjà été utilisé en 2010, lors d'une interview face à David Pujadas à l'Elysée. Nicolas Sarkozy avait alors parlé de "calomnies" et de "mensonges".

• Le plan C : l'explication (imprécise)

Mardi 3 avril, invité de "La matinale" de Canal+, Nicolas Sarkozy a d'abord appliqué le plan B, en fustigeant les "boules puantes" qui éclatent inévitablement à l'approche d'une échéance électorale. Puis il a mis en œuvre son plan C : "La commission nationale des comptes de campagne a certifié ces comptes en disant qu'il n'y a pas un centime dont on se demande d'où il vient, qu'il n'y a pas une dépense dont on se demande par qui elle a été financée."

L'aval du Conseil constitutionnel Mais au-delà de ses explications habituelles, Nicolas Sarkozy a commis cette fois quelques petites erreurs factuelles. "Le Conseil constitutionnel a validé ces comptes", a-t-il ainsi poursuivi, insistant sur cette double validation. Or, les Sages n'ont jamais eu à se pencher sur la question. En effet, depuis 2006, c'est la Commission nationale des comptes de campagne qui est chargée de valider ou d'invalider les comptes des candidats à l'élection présidentielle. Le Conseil constitutionnel, lui, n'est compétent que si la décision de la commission fait l'objet d'une contestation. Et Nicolas Sarkozy le reconnaît lui-même : "Personne n'a rien trouvé à redire. Il n'y a pas eu un contentieux."

La comparaison avec les autres candidats "C'est d'ailleurs l'une des premières fois" qu'il n'y a pas de contentieux, a-t-il ajouté, avant d'évoquer de prétendus litiges sur "la campagne de M. Balladur, la campagne de M. Chirac, la campagne des uns et la campagne des autres…" Mais là encore, le président candidat prend des libertés avec la réalité : le Conseil constitutionnel – compétent à l'époque – a bien validé les comptes d'Edouard Balladur en 1995, et ceux de Jacques Chirac en 1995 et 2002.

Pourtant, c'est bien à la validation de ces comptes en 1995 que Nicolas Sarkozy fait allusion. Car s'ils n'ont pas fait l'objet d'un contentieux juridique, leur sincérité est aujourd'hui gravement remise en cause par plusieurs acteurs proches de ce dossier. Comme le rappelle cet article des Inrockuptibles, de forts soupçons de financement illégal pesaient sur les comptes d'Edouard Balladur et de Jacques Chirac. Relevés par trois rapporteurs du Conseil d'Etat, ils auraient été passés sous silence par le Conseil constitutionnel pour éviter d'avoir à annuler le résultat de l'élection présidentielle. Parmi ces irrégularités figurent notamment un versement suspect de 10 millions de francs en espèces sur le compte de campagne d'Edouard Balladur. Une somme sur laquelle enquêtent les juges chargés du volet financier de l'affaire Karachi, dans laquelle plusieurs proches de Nicolas Sarkozy ont été mis en examen. Une drôle de façon de se défendre.

Les rencontres avec André Bettencourt Dernier point troublant dans les explications de Nicolas Sarkozy : la nature de ses relations avec André Bettencourt, mort fin 2007. Dans un article paru le 2 avril, L'Express fait état d'une rencontre suspecte avec le milliardaire le 24 février 2007, soit deux mois avant le premier tour de l'élection. Selon l'hebdomadaire, l'Elysée "conteste toute pratique illicite et l'existence d'une quelconque entrevue entre Nicolas Sarkozy et André Bettencourt au début de 2007. Le président a toujours assuré qu'ils ne s'étaient rencontrés que deux fois lors de dîners, et en présence de plusieurs participants."

Mais le lendemain, dans son interview à Canal+, Nicolas Sarkozy donne une explication très différente, laissant entendre qu'ils se sont croisés à de plus nombreuses reprises : "Sur André Bettencourt et sa femme, j'ai été vingt ans maire de Neuilly, ils habitaient à Neuilly. Il a été sénateur pendant que j'étais député, il était dans la majorité, la même que la mienne."

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