Cinéma : "Petit paysan" d’Hubert Charuel, avec Swann Arlaud et Sara Giraudeau, le 30 août au cinéma
Pierre, la trentaine, est éleveur de vaches laitières. Alors que les premiers cas d’une épidémie se déclarent en France, Pierre découvre que l’une de ses bêtes est infectée. Il ne peut se résoudre à perdre ses vaches et ira jusqu’au bout pour les sauver.
En sélection à la Semaine Internationale de la Critique - Festival de Cannes 2017.
Extrait d’un entretien avec Hubert Charuel, réalisateur du film :
Vous êtes fils de paysans ?
Et mes parents sont tous les deux enfants de paysans. Leur ferme est à Droyes, entre Reims et Nancy, à vingt kilomètres de Saint‑Dizier, la ville la plus proche. Ce qui leur a permis de survivre à la crise laitière, c’est beaucoup de travail, peu d’investissements, peu de nouveaux outils, des emprunts limités. Cela signifie beaucoup d’intelligence et aussi s’user physiquement pour survivre.
Quand le cinéma est-il apparu dans votre vie ?
Les seules sorties que j’avais avec mes parents, c’était d’aller au cinéma à Saint-Dizier. On partait peu en vacances, toute la vie était vouée aux vaches. La passion du cinéma est sans doute née là. Je voulais devenir vétérinaire, sauf que je n’avais pas de bonnes notes dans les matières scientifiques au lycée. Mes parents m’ont dit : " Il faudrait peut-être réfléchir à faire autre chose "… Je leur ai dit : " Du cinéma ". Leurs bouches ont dit : " D’accord ", leurs yeux : " On est foutu ". Je suis parti à la fac de lettres à Nancy, on m’a expliqué que le concours de La fémis était trop dur, trop aléatoire. Je me suis résigné, un temps. Et puis, mes parents m’ont poussé : " Tente La fémis, qu’est-ce que ça te coûte ? On te paye le concours ". J’ai passé le concours en section production et j’ai été reçu.
Comment est née l’idée du film ?
La crise de la vache folle m’a beaucoup marqué. Je me revois devant la télé, il y a un sujet sur la maladie, personne ne comprend ce qui se passe, on tue tous les animaux. Et ma mère me dit : " Si ça arrive chez nous, je me suicide ". J’ai dix ans et je me dis que ça peut arriver… Je me souviens de la tension qu’il y avait partout. Comme Pierre le fait avec sa sœur, les paysans appellent souvent leur vétérinaire, ils veulent être rassurés. Et Creutzfeld-Jacob était si particulier que les vétos ne savaient pas quoi dire. On ne savait pas par où passait la contamination, c’était la panique générale. Une paranoïa totale. A La fémis, on avait un exercice de scénario à faire, sous la supervision d’une scénariste américaine, Malia Scotch Marmo. C’est elle qui m’a dit : " Tu tiens quelque chose, tu dois écrire ". Son soutien m’a désinhibé. Après être sorti de l’école, j’ai rencontré Stéphanie Bermann et Alexis Dulguerian de Domino Films, qui ont été convaincus par le synopsis et quelques pages dialoguées écrites avec Claude. C’était parti pour deux ans et demi d’écriture, de 2013 à 2015…
Pierre, c’est vous ?
Le personnage est différent de moi dans ses réactions et la manière dont il parle, mais la vie de Pierre est évidemment celle que j’aurais dû avoir si je n’avais pas décidé de faire du cinéma. Son rapport aux animaux, sa relation avec ses parents nous rapprochent. Le film est tourné chez mes parents, il y a dans l’exploitation de Pierre une trentaine de vaches, comme chez mes parents. Ma mère tient beaucoup à ses vaches : si une vache est malade, et que la soigner coûte très cher, elle le fera. Pierre est comme ça.... Mais c’est aussi une exploitation laitière, et la production est meilleure si on s’occupe bien des animaux. Il y a cette ambivalence : on aime ses animaux, c’est sincère mais on les exploite.
Pourquoi tourner chez vos parents ?
C’était une obligation. Faire le film, c’était ma manière à moi de reprendre l’exploitation. Quand on a commencé à écrire, je n’y pensais pas parce que la ferme était toujours en activité. Mais après la retraite de mon père, ma mère est partie avec ses bêtes dans une autre exploitation. A partir du moment où on avait cette ferme vide, je me suis dit : " C’est le décor que je connais le mieux ". J’ai fait venir Sébastien Goepfert, mon chef-op, on est tombé d’accord : cette vieille ferme, que mes parents ont retapée eux-mêmes, a un cachet. Bon, ensuite, Sébastien a fait un peu la tête en voyant l’exigüité de la salle de traite… !
Comment transforme-t-on un film naturaliste en thriller mental ?
A l’écriture, au filmage et au montage ! Il y avait cette idée de basculer du naturalisme à une veine plus thriller, de jouer avec les codes du genre. Le récit progresse beaucoup par les manoeuvres de diversion de Pierre : pour sauver ses vaches, il est obligé d’avoir une vie sociale, de voir ses amis, et même de diner avec la boulangère. Il gagne du temps, sans cesse… Au tournage, on a changé peu à peu les cadrages et les lumières : le film démarre dans une atmosphère solaire, et on bascule ensuite dans une lumière plus artificielle et industrielle. Les scènes de « meurtres » sont emblématiques, par leur durée, leur découpage et leur rythme. La première fois, Pierre fait des allers et retours dans la maison, se demande avec quoi il va la tuer… Ça prend du temps… Au deuxième meurtre, on laisse le champ complètement vide, on lâche le personnage le temps qu’il aille chercher son fusil. Quand il revient dans le cadre, c’est devenu quelqu’un d’autre, un tueur. La musique, qui a été composée par Myd, du collectif Club cheval, permet aussi le glissement du naturalisme au genre. Pierre est souvent seul et la musique sert aussi à rentrer dans sa tête.
Tourner avec des vaches, c’est compliqué ?
Surtout quand il y en a trente. Une vache, c’est comme un enfant de cinq ans, sauf qu’elle fait 900 kilos et qu’elle ne va pas à l’école. Elles compliquent tout : installer un plan dans la salle de traite devient un casse-tête. Pour une vache, la traite dure dix minutes, alors, on ne va pas la laisser attachée vingt minutes dans cette chaleur, après ça devient mauvais pour elle. Les acteurs tolèrent plus de choses, mais ils savent pourquoi ils sont là, les vaches, elles, n’ont rien demandé ! Le respect animal, pour moi, était hyper important. On ne pouvait pas faire n’importe quoi. D’autant qu’un animal stressé, ça se voit à l’écran. Si je raconte l’histoire d’un type en osmose avec ses vaches, la moindre des choses est que les vaches aient l’air en osmose avec lui !
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