Cet article date de plus de six ans.

Cinéma : « Jusqu’à la garde », un film de Xavier Legrand, avec Léa Drucker et Denis Ménochet, au cinéma le 7 février

Le couple Besson divorce. Pour protéger son fils d’un père qu’elle accuse de violences, Miriam en demande la garde exclusive. La juge en charge du dossier accorde une garde partagée au père qu’elle considère bafoué. Pris en otage entre ses parents, Julien va tout faire pour empêcher que le pire n’arrive.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 10min
Jusqu'à la Garde (Haut et Court)

Prix du public dans la catégorie longs métrages français du festival Premiers Plans d'Angers, et Lion d'argent de la mise en scène et du meilleur premier film à la Mostra de Venise.

Extrait d'un entretien avec Xavier Legrand 

Comme dans votre court-métrage, Avant que de tout perdre, vous abordez un drame social, la violence conjugale, en mettant le spectateur sous tension.

La peur est à l'origine de Jusqu'à La Garde. La peur que suscite un homme prêt à tout pour retrouver la femme qui veut se séparer de lui et fuir son extrême violence. Le personnage d'Antoine, interprété par Denis Ménochet, est une menace permanente pour ses proches. Il met son entourage sous tension, il n'entend que sa douleur, il est prêt à manipuler quiconque, y compris ses enfants. Les femmes qui ont subi des violences conjugales, comme celle jouée par Léa Drucker, sont tout le temps en alerte, elles savent que le danger peut surgir de n'importe où, n'importe quand, et n'épargner personne. En France, une femme meurt tous les deux jours et demi des suites de ces violences, et même si les médias en parlent, le sujet reste tabou. Les victimes ont peur de se confier, les voisins et les proches ne disent rien, ils ne veulent pas s'immiscer dans un couple, une histoire privée. Le secret reste lourd. Je ne voulais pas en parler à la manière d'un dossier d'actualité. Comme dans Avant que de tout perdre, je désirais sensibiliser le public à ce drame en le traitant avec les armes du cinéma qui me passionne depuis toujours, celui d'Hitchcock, d'Haneke ou de Chabrol, un cinéma qui fait participer le spectateur en jouant avec son intelligence et avec ses nerfs.

Vous citez d'ailleurs La Nuit du Chasseur de Charles Laughton et Shining de Stanley Kubrick comme vos principales sources d'inspiration pour aborder ce sujet de société.

Trois films m'ont guidé dans l'écriture : Kramer contre Kramer, La Nuit du Chasseur et Shining. Je les ai oubliés ensuite, au moment du tournage, mais ils m'ont aidé à réfléchir aux thèmes que je voulais traiter, et à trouver les humeurs et les ambiances que mes personnages traversent. Kramer contre Kramer est un film sur le droit parental qui m'a beaucoup marqué. On y voit, pour la première fois, une femme abandonner l'exclusivité de la garde de ses enfants et il dépeint, avec une acuité terrible, la douleur de la séparation. La Nuit du Chasseur montre comment l'on peut se montrer sans concession avec les enfants pour arriver à ses fins. Shining m'a inspiré pour la dernière partie de mon film, la folie, l'enferment, la terreur. La violence conjugale peut mener à l'épouvante pure et c'est ce que je voulais raconter.

Comment avez-vous utilisé et travaillé les différents genres cinématographiques - réalisme, drame social, suspense, thriller - pour enrichir les différents aspects de votre film ?

Je me suis d’abord beaucoup documenté. J’ai fait des investigations auprès d’une juge aux affaires familiales, interrogé des avocats, des policiers, des travailleurs sociaux et même des groupes de parole d'hommes violents. Un sujet aussi délicat exige d'être au plus proche de la réalité tout en évitant de tomber dans l’écueil du simple documentaire, ou d’un drame social qui ne raconterait finalement qu’un fait divers. C'est en inversant le point de vue de l'histoire que j'ai pu mettre en exergue le suspense du quotidien. J'ai adopté une dramaturgie où nous suivons bien un « héros » : Antoine, mais du point de vue des différents obstacles qu'il doit surmonter pour arriver à ses fins : la juge, son fils et son ex-femme. Ainsi le spectateur vit en temps réel le doute de la juge, la pression subie par l'enfant et la terreur de la femme traquée. J'ai voulu donner une lecture politique et universelle du sujet, tout en plongeant le spectateur dans une histoire de cinéma de genre (celui du monstre qui cherche sa proie), où le suspense et la tension alimentent le récit et vice-versa. 

Jusqu'à la garde (HAUT ET COURT)

Qu'est-ce qui vous a mené à explorer ce même thème dans vos deux premiers films ?

J'avais déjà Jusqu'à La Garde à l’esprit quand j'ai tourné Avant que de tout perdre. C'est un sujet qui me touche en tant que citoyen et qui n'est sans doute pas assez traité. Mon court métrage m’a emmené partout en France, parfois à l’étranger, pour le montrer dans les écoles afin de pouvoir en débattre et sensibiliser les jeunes sur ce sujet. Je voulais continuer à m'interroger sur la nature de cette violence, sur la domination masculine, sur le couple, la folie de la possession et, comme je suis passionné de faits divers, sur la famille au coeur desquelles se trament la plupart des crimes. Je désirais aussi en apprendre plus sur la distinction entre le couple conjugal et le couple parental. Un conjoint violent, un mauvais conjoint, fait-il forcément un mauvais parent ? Comment en décider ? Comment en juger ? J'ai enquêté sur ce sujet. J'ai rencontré un juge des affaires familiales et je l'ai suivi dans son travail.

Vos comédiens rendent formidablement cette fragilité et cette charge émotionnelle, comment les avez-vous choisis, comment les avez-vous dirigés ? Et plus particulièrement les deux jeunes acteurs ?  

J'ai écrit avec Léa Drucker en tête. Pour moi, elle se confond avec le personnage de Miriam, par son mélange de force et de fragilité, une femme très concrète qui ne s'abandonne jamais au pathos. Une femme sur laquelle la tempête est passée et qui doit se reconstruire dans la fuite. Léa a beaucoup travaillé son rôle seule avant le tournage, et je ne lui ai donné que peu d'indications psychologiques. J’ai simplement insisté sur le fait qu'à aucun moment, elle ne devait jouer la victime. Je l'avais vue dans un court métrage où elle forme un couple très amoureux avec Denis Ménochet et, comme je le trouve excellent comédien, j'avais envie de le retrouver avec elle dans une autre situation, un autre temps de l'amour. Avec Denis, j'ai beaucoup travaillé sur le plateau. Nous avons discuté des moindres détails. C'est un rôle dur où il doit aborder de front la violence, la manipulation, la noirceur sans qu'on perde son personnage, sans qu'on le rejette et qu'on refuse de le comprendre. Il doit se glisser dans la peau d'un homme malheureux, en butte à lui-même, qui essaye de se faire aimer, mais vit dans le déni.

Jusqu'à la garde (HAUT ET COURT)

Denis Ménochet sert le rôle à merveille. Il porte en lui cet alliage de virilité robuste et de blessure enfantine qu'on retrouve souvent chez les hommes qui violentent leur femme. Pour ce qui est du travail avec Thomas Gioria et Mathilde Auneveux, j’ai dû procéder de manières très différentes. Pour Thomas, dont c'est la première expérience en tant qu'acteur, il était très important pour moi qu’il comprenne ce qu’est la vérité du travail de comédien, et qu’il différencie bien la réalité de la fiction d'autant que sa partition est très difficile puisque son personnage traverse des situations extrêmes. Du casting jusqu’au tournage, Amour Rawyler, spécialisée dans le coaching pour enfant, l’a préparé à aborder le travail que nous allions faire sur le tournage. Thomas a une qualité très rare pour son âge et digne des meilleurs acteurs : c’est son écoute et sa respiration. J’entends par « écoute » sa présence, sa façon d’écouter ce que son partenaire lui dit. Thomas parle avec ses yeux, dialogue avec l’intensité de sa respiration. Son écoute est entière, pleine, sans tricherie. Notre travail avec la coache a été de mettre en valeur ses qualités tout en préservant sa spontanéité, si précieuse pour le jeune acteur qu’il est. Pour Mathilde, qui joue Joséphine, c'était surtout un travail de répétitions car les séquences qui la concernent étaient techniquement difficiles, puisqu’elles sont toutes en plan séquence, donc d’une précision rigoureuse - que ce soit la scène des toilettes ou de son anniversaire. Il fallait absolument qu'elle connaisse son parcours à la seconde près, pour qu’elle puisse se sentir libre de jouer malgré beaucoup de contraintes.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.