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Volodymyr Zelensky, le clown qui voulait devenir président de l'Ukraine

Novice en politique, l'humoriste Volodymyr Zelensky est arrivé largement en tête de la présidentielle en Ukraine face au président sortant Petro Porochenko.

Article rédigé par Louise Hemmerlé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Volodymyr Zelensky sur le plateau de tournage de "Serviteur du peuple" à Kiev (Ukraine), le 4 mars 2019.  (SERGEI SUPINSKY / AFP)

C'est l'histoire d'un homme qui devient président d'Ukraine alors qu'il n'a aucune expérience en politique. C'est celle de Vasyl Petrovych Holoborodko, un personnage fictif dans la série à succès ukrainienne Serviteur du peuple, diffusée depuis 2015 sur la chaîne 1+1. C'est aussi celle, bien réelle, de l'acteur qui incarne à l'écran ce personnage. Volodymyr Zelensky, comédien et humoriste de 41 ans est arrivé largement en tête du second tour de l'élection présidentielle en Ukraine, dimanche 21 avril.

Alors que la course s'annonçait comme un duel entre deux vétérans de la politique, le président actuel Petro Porochenko et l'ex-Première ministre Ioulia Timochenko, cet acteur populaire et entrepreneur prospère du monde du spectacle en a complètement bousculé les lignes. Sa candidature à la tête d'un pays en proie à un conflit armé aux portes de l'Union européenne était prise très au sérieux.

Le "Serviteur du peuple" 

"Ces salauds arrivent au pouvoir, et ils volent, volent, volent. Ces enfoirés ont des noms différents, mais ils agissent de la même façon ! Et tout le monde s'en fout !" Vasyl Petrovych Holoborodko ne le sait pas, mais ce professeur d'histoire dans un lycée ukrainien est filmé à son insu par un de ses élèves, qui s'empresse de poster la vidéo sur internet. Sa diatribe contre les luttes intestines de pouvoir et la fraude généralisée dans la politique ukrainienne devient virale. Et quelques semaines plus tard, Holoborodko devient président de la République. Pétri de valeurs, de bonnes intentions et de naïveté, le protagoniste de la série Serviteur du peuple se démène tout au long d'un scénario cocasse pour purger le pouvoir de la corruption qu'il a dénoncée, tout en continuant à se déplacer à vélo et à vivre chez ses parents.

L'affiche de la première saison de "Serviteur du peuple", diffusée sur Netflix depuis 2017.  (NETFLIX)

La série, dont le premier épisode a été diffusé le 16 octobre 2015, est "le plus gros succès de l'histoire de la télévision ukrainienne", observe Wojciech Kononczuk, qui gère le département ukrainien au think tank du Centre d'études orientales, situé à Varsovie (Pologne). "Les Ukrainiens avaient besoin de voir des exemples de réussite politique. Si ce n'est dans la vraie vie, alors au moins sur un écran de télévision", analyse-t-il. 

L'Ukraine est minée depuis 2014 par sa pire crise depuis son indépendance en 1991. L'arrivée des pro-occidentaux au pouvoir à Kiev en février 2014, dans la foulée du soulèvement pro-européen du Maïdan, réprimé dans le sang, a été suivie par l'annexion par Moscou de la péninsule de Crimée, puis par une guerre avec les séparatistes prorusses. Le conflit a fait près de 13 000 morts, un bilan qui continue de s'alourdir. "L'Euromaïdan a relevé les attentes du peuple, mais les réformes se mettent en place tout doucement et beaucoup d'Ukrainiens sont déçus et désabusés", explique à franceinfo Volodymyr Paniotto, directeur de l'Institut international de sociologie à Kiev.

Le succès de la série, diffusée sur Netflix, dépasse les frontières ukrainiennes. Une vingtaine de pays ont racheté les droits pour l'adapter, selon son réalisateur, Aleksey Kiryushchenko, contacté par franceinfo. En France, c'est Elephant Story qui a obtenu les droits pour en faire un remake. "Tout le monde rêve d'un président comme Holoborodko", analyse-t-il devant l'engouement pour sa création. 

De la fiction à la réalité, et entre les deux  

"Dès la diffusion de la première saison, les gens se sont mis à interpeller Zelensky dans la rue en l'appelant 'Monsieur le Président' !", se souvient Kiryushchenko. "A la fin de la première saison, je lui ai demandé : 'tu penses qu'à force de les tourner en dérision, tu finiras par faire changer tous ces politiques ? Tu ne penses pas qu'un jour, il faudra inverser les rôles ?' Cette conversation lui a donné matière à réflexion, c'était une petite graine plantée là", se plaît à raconter le réalisateur.

Dès l'été 2018, l'acteur Volodymyr Zelensky s'est retrouvé inclus dans tous les sondages électoraux. "Les analystes politiques de Porochenko ont commencé à tester la popularité de plusieurs personnalités", dont Zelensky, pour identifier un candidat issu de la société civile qui aurait pu neutraliser le vote contestataire, explique Volodymyr Fesenko, directeur du centre d'études politiques Penta, à Kiev, dans une interview à Society. Pris au jeu, Zelensky annonce sa candidature le 31 décembre aux douze coups de minuit sur la chaîne 1+1, à la place des vœux présidentiels dont la diffusion est retardée. 

Volodymyr Zelensky soumet sa candidature à la présidence à la commission électorale centrale à Kiev, le 25 janvier 2019.  (PAVLO YURKIN / VOLODYMYR ZELENSKY PRESS SERVICE / AFP)

Quelques semaines plus tard, les premières enquêtes d'opinion de 2019 provoquent une onde de choc : Zelensky fait la course en tête. Et depuis, il n'a cessé de creuser l'écart avec ses concurrents.

Ce que Zelensky essaie de faire, c'est de répéter l'histoire de la série.

Wojciech Kononczuk, politologue

franceinfo

Le réalisateur de la série décrit Volodymyr Zelensky comme un homme animé par "un vrai code moral", "extrêmement honnête", "ni fier ni orgueilleux", "sans aucun défaut". "C'est vrai qu'il épouse à 100% le personnage de Holoborodko. Il joue avec un tel naturel qu'on oublie presque qu'il s'agit d'un rôle. Et il n'apprend jamais ses textes par cœur, donc, dans la série, il s'exprime toujours avec ses propres mots, ça vient du cœur", détaille Aleksey Kiryushchenko.

Volodymyr Zelensky sur le tournage de "Serviteur du peuple" à Kiev en Ukraine, le 6 mars 2019.  (SERGEI SUPINSKY / AFP)

Dans cette course à la présidence, Volodymyr Zelensky et son équipe capitalisent sans scrupules sur la sympathie des téléspectateurs pour Holoborodko et la confusion entre acteur et personnage. Serviteur du peuple est le nom de son parti, ainsi que l'un de ses slogans placardés dans le pays sur les panneaux d'affichage : "Président serviteur du peuple. Bientôt." La troisième saison de la série a été opportunément diffusée les 27, 28 et 29 mars, juste avant le premier tour des élections.

Dans ces nouveaux épisodes, l'Ukraine est plongée dans le chaos après un renversement du pouvoir. Se succèdent à la tête de l'Etat "un homme d'affaires, en référence à Porochenko", expose le réalisateur de la série, puis "une femme populiste" – double de Ioulia Timochenko. Tous deux échouent lamentablement à remettre sur pied le pays ; seul Vasyl Petrovych Holoborodko, en grand sauveur, parvient à réunifier l'Ukraine, qui vit alors une période de miracle économique. La scène finale est une vue aérienne de la place Maïdan, recouverte d'une montagne de tout l'or frauduleusement acquis par les oligarques et restitué à la nation, enfin libérée de ses dettes.

Un novice en politique

De clown de sa classe à roi du divertissement, Volodymyr Zelensky a fait de la satire politique sa marque de fabrique. Fils d'universitaires, il s'est écarté de sa formation de juriste dans les années 1990 pour concourir dans le jeu télévisé "KVN", un show humoristique et la première émission russophone à faire de gens ordinaires des stars. Zelensky et son équipe Quartier-95, qui représentaient leur ville de Kryvyi Rih, trouvent leur public avec des blagues sur les galères de la vie quotidienne dans une Ukraine fraîchement indépendante. Au début des années 2000, Quartier-95 devient une boîte de production. Avec aujourd'hui un millier de salariés, l'entreprise inonde les ondes de spectacles, de séries, de films ou même de dessins animés. Au cœur de la machine : Zelensky.

Son expertise, expliquait-il il y a quelques années dans un entretien accordé à Komsomolskaya Pravda, porte sur le show-business. Il admettait alors ne pas comprendre complètement la politique, une affaire compliquée. "Quand des personnalités célèbres en dehors de la politique vous promettent la lune, c'est du populisme pur", déclarait-il.

Volodymyr Zelensky lors d'un spectacle avec sa troupe Quartier-95 à Kiev, le 13 mars 2019.  (SERGEI SUPINSKY / AFP)

Depuis, l'humoriste semble avoir changé d'avis. Dans son programme, il vend aux électeurs le pays de leurs rêves. Il promet de "lutter pour la paix en Ukraine", d'assurer une "victoire contre la corruption", de rendre ses concitoyens "prospères" et d'exercer leur volonté exprimée "via des référendums" réguliers… mais donne peu de détails sur la méthode. "Je n'appellerais même pas ça un programme, au mieux un manifeste", commente le politologue Wojciech Kononczuk.

Pour se former à la politique, une profession qu'il n'a fait qu'incarner sur petit écran, Volodymyr Zelensky a multiplié les consultations avec des spécialistes de l'économie, des experts du système judiciaire, des diplomates. "Il se présente de manière similaire à Holoborodko, en disant : 'J'ai beaucoup à apprendre, mais je suis honnête et je ne suis pas contrôlé par les oligarques', expose Wojciech Kononczuk. Il reconnaît ses faiblesses et s'en sert."  

Sans toujours convaincre ses interlocuteurs. "Il était trop général, sans idées concrètes. C'était effrayant si on pense qu'il s'agit d'un candidat à la présidence", a déclaré à l'AFP une source diplomatique occidentale à Kiev après une rencontre avec Zelensky. 

On essaie de reconstituer ce que Zelensky pense sur certains sujets à partir de ses rares interviews, mais ce n'est pas évident.

Wojciech Kononczuk, politologue

franceinfo

"Une des idées de Zelensky était d'installer des antennes des ministères dans chaque ville, pour être plus proche des réalités de terrain. On lui a expliqué que ce serait difficile et coûteux…" raconte à franceinfo Victor Andrusiv, le directeur de l'Institut du futur, sollicité par l'équipe de Zelensky pour le conseiller. "Il pose beaucoup de questions, il n'a pas forcément d'idées arrêtées sur les sujets, et il les réajuste quand il a davantage d'informations", poursuit Victor Andrusiv. 

"[Zelensky] est comme une théière vide : ce qui compte, c'est ce que l'on verse à l'intérieur, et qui le fait", commentait il y a quelques semaines, dans Le Monde, le député et militant anticorruption Sergueï Lechtchenko. Depuis, visiblement déterminé à remplir lui-même la théière, il s'est rallié à Zelensky, tout comme Aivaras Abromavičius, un ancien ministre de l'Economie, et Oleksandr Danylyuk, ancien ministre des Finances sous Porochenko.

Même s'il s'est entouré de poids lourds de la politique, "quand il est pressé sur des questions difficiles, d'économie ou de politique internationale, il n'est pas à l'aise, observe Wojciech Kononczuk. Désormais, les rares interviews auxquelles il accepte de participer ne sont jamais diffusées en direct." Plutôt qu'à la télévision ou dans la presse, Volodymyr Zelensky s'exprime dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Il a fait campagne en évitant les meetings électoraux et en se bornant à poursuivre la tournée des spectacles humoristiques de son studio Quartier-95 à travers le pays.

Clown ou marionnette ?

Samedi, veille du premier tour de l'élection présidentielle et journée où toute campagne était censée être interdite, la chaîne 1+1 a consacré près de sept heures d'antenne à des spectacles avec le comédien. Elle a aussi diffusé un documentaire sur Ronald Reagan, acteur américain élu président, dont la voix était doublée par Volodymyr Zelensky.

Depuis le début de la campagne électorale, cette chaîne, qui appartient au sulfureux oligarque ukrainien Igor Kolomoïski, couvre abondamment et de manière largement positive la campagne de Zelensky. Or, le milliardaire est à couteaux tirés avec l'administration Porochenko. En 2016, sous pression du FMI pour assainir son système financier, le pouvoir a nationalisé la principale banque commerciale privée du pays, Privatbank, dont l'actionnaire principal était Igor Kolomoïski.

"Le serviteur de l'oligarque" : cette affiche dénonce les liens présumés entre Volodymyr Zelensky et Igor Kolomoïski dans la ville de Lviv, en Ukraine, le 8 février 2019.  (YURI  DYACHYSHYN / AFP)

Pour autant, Zelensky dément toute liaison politique avec le milliardaire. "Mon lancement en politique n'est lié au souhait de personne", affirme l'acteur. L'oligarque nie lui aussi influencer le comédien. "Je suis davantage sa marionnette qu'il n'est la mienne", a-t-il assuré au site d'information ukrainien Lb.ua.

Autre ombre au tableau, des journalistes d'investigation ont révélé fin janvier que l'humoriste détenait des affaires en Russie, en l'occurrence des sociétés de production gérées via des compagnies offshore basées à Chypre. Après avoir insulté les journalistes, Zelensky a finalement confirmé l'information et promis de vendre ses parts. "Volodymyr savait que la politique était une sale affaire, mais il ne s'attendait pas à faire face à autant de critiques sales", le défend son ami Aleksey Kiryushchenko. "A vrai dire, il n'est même pas enchanté à l'idée d'être président, car son ascension fulgurante dans les sondages est inattendue. Présider un pays dans un tel état, c'est de la pure folie." Reste à savoir si porter un clown au pouvoir est une folie que les électeurs ukrainiens seront prêts à voir devenir réalité. 

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