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Vers la fin des camps de travail chinois ?

Un dirigeant chinois a annoncé lundi la fin prochaine des camps de rééducation par le travail en Chine. La nouvelle, diffusée d'abord par la télévision d'Etat, a ensuite totalement disparu des médias chinois. Mais le système des camps, en vigueur depuis les années 50 et très contesté ces dernières années, pourrait effectivement être réformé.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (Quirky China News / Rex Features Sipa)

"Une fois
recueillie l'approbation de l'Assemblée nationale populaire
, il sera mis
un terme cette année au système de rééducation par le travail
", selon
Meng Jianzhu, chef de la Commission politique et judiciaire du Parti communiste
chinois. Voilà ce qu'on l'on a pu lire, lundi, sur tous les médias chinois.
L'information a d'abord été rapportée par un microblog de la chaîne d'Etat
CCTV.

Mais en peu de temps,
l'annonce a disparu de tous les supports. La presse, contrôlée par le PCC,
parti unique, a dû retirer ces propos de tous les supports, et les remplacer
par une autre dépêche, plus vague :

"Le
gouvernement chinois va œuvrer cette année à la réforme du système controversé
de rééducation par le travail".

Dans tous les cas, le
système des camps de rééducation par le travail, les Laogai, devrait changer,
s'il n'est pas purement et simplement supprimé, comme le laissait entendre la
première information. Dans un communiqué publié dès lundi, l'ONG Amnesty
International a demandé que soient détaillées ces réformes : "Le
danger, c'est qu'avec leurs belles paroles les autorités instaurent une réforme
uniquement en apparence, sans que la réalité change pour les milliers de
personnes détenues dans ces structures
", affirme le communiqué.

A mi-chemin entre le
camp et l'entreprise

Les Laogai ont été créés
par Mao Zedong, qui a théorisé le principe de "rééducation par le
travail
" en 1957. Ils servent, dans les premiers temps, à emprisonner
les contre-révolutionnaires et ceux qui étaient considérés comme les ennemis du
régime (classés en neuf catégories, parmi lesquels les propriétaires fonciers,
les riches paysans, ou encore les intellectuels, pendant la Révolution
culturelle). C'est ainsi qu'en 1957, le poète Ai Qing est enfermé avec sa femme
et ses enfants, dont le petit Ai Weiwei, devenu depuis l'un des artistes
contestataires
les plus célèbres.

Calqués à l'origine sur le
modèle du Goulag soviétique, les Laogai ont évolué à l'image du paradoxe de la
Chine, pays communiste qui s'est ouvert au capitalisme. En 1983, Deng Xiaoping
fait de chaque camp une unité économique autonome. Les chefs des camps
deviennent chefs d'entreprise, et les Laogai se transforment en lieux de production.
Selon le gouvernement chinois, ils rapportent à l'Etat quelque 200 millions
d'euros par an. Y seraient fabriqués des denrées alimentaires, des pièces
automobiles, mais aussi des produits de consommation courante comme des jouets.

Désormais, les résidents
des camps ne sont plus emprisonnés, mais "embauchés pour être éduqués
par le travail
", selon le Conseil d'Etat, pour une durée allant
jusqu'à quatre ans. Les catégories de population susceptibles d'être enfermées ont,
elles aussi, changé. Si les contre-révolutionnaires et les "anti-socialistes "
sont toujours visés, les petits délinquants peuvent aussi être enfermés, de même
que les personnes renvoyées de leur travail "qui n'ont aucun moyen de
gagner leur vie
".

Des controverses de
plus en plus nombreuses

Dans son communiqué de
lundi, le gouvernement chinois reconnaît en tout état de cause que le système
est "controversé ". Et pour cause, les camps de rééducation par
le travail sont sous le feu des critiques en Chine. L'été dernier, une mère de
famille avait été enfermée en camp de travail pour "trouble à l'ordre
social et influence négative sur la société
". Sa faute : avoir demandé
aux autorités que les coupables du viol de sa fille soient plus sévèrement
punis. Des avocats chinois avaient alors pris position pour l'abolition des camps dans une lettre ouverte.

Fin décembre, une autre
histoire
a ému la communauté internationale : une Américaine, Julie Keith, a
raconté avoir trouvé, dans un paquet de décorations d'Halloween, une lettre
anonyme, l'appel au secours d'un travailleur chinois. L'auteur du courrier
raconte qu'il est prisonnier du camp de travail de Masanjia, à Shenyang, où les
ouvriers travaillent 15 heures par jour, sans week-end ni vacances, pour
l'équivalent de 1,20€ par mois. Le tout dans des conditions de torture et
d'humiliation. L'histoire a fait réagir l'ONG Human Rights Watch (HRW), d'autant
plus que l'importation de produits fabriqués par des prisonniers est
normalement interdite aux Etats-Unis. "Les conditions décrites dans la
lettre coïncident avec ce que nous soupçonnions déjà sur les conditions de
travail dans ces camps
", a déclaré Sophie Richardson, responsable en
Chine de HRW.

Vers une plus grande
transparence ?

A l'heure où le système
est remis en cause, il bénéficie déjà d'un bilan édifiant, même si les chiffres
ne sont pas clairement définis. Le gouvernement parle de quelques centaines de
camps à travers le pays (350 probablement), mais la Fondation de recherche sur
le Laogai (LRF)
, une association américaine, évoque plus de 1000 camps. Quelque deux millions d'individus y seraient actuellement incarcérés, deux à trois fois
plus selon la LRF. Et surtout, la fondation estime que 50 millions de personnes
y auraient vécu depuis la création des camps. Ils seraient 20 millions à y
avoir laissé la vie. Le fondateur de la LRF, Harry Wu, s'exprimait, dans les années 90, à la télévision française, pour parler des conditions d'emprisonnement en Chine :

A défaut de suppression du système, si une réforme
devait avoir lieu, elle pourrait intervenir sur la question de la transparence
du système. A l'heure actuelle, il est supra judiciaire, c'est-à-dire que
l'emprisonnement se fait sur la base d'une simple décision administrative. Le
gouvernement chinois pourrait décider d'imposer la saisine d'un tribunal – et donc
la tenue de procès – pour trancher sur l'internement des dissidents. Pour
l'instant, le ministère de la justice chinois n'a toutefois pas précisé quel
serait son rôle.  

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