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Traité de libre échange transatlantique: le doute gagne le Parlement européen

Le Traité de libre échange transatlantique (TTIP ou TAFTA) vise à supprimer les barrières commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis et à harmoniser les normes sanitaires et environnementales entre les deux grandes économies occidentales. Membre d’Europe Ecologie Les Verts,le député européen Yannick Jadot répond aux questions de Géopolis suite au report du vote au Parlement européen le 10 juin.
Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min
Manifestation à Marseille contre le traité de libre échange Etats-Unis-Europe. (AFP-Citizenside/ Jean-François Gil)

Le Partenariat transatlantique de Commerce et d'investissement (TTIP) en négociation depuis 2013 a de nombreux partisans en Europe. Pourquoi les verts européens trouvent-ils ce projet dangereux?
Les écologistes ont toujours soutenu l’idée d’un grand partenariat avec les Etat-Unis, sur les questions qui touchent à la vie quotidienne des Européens et des Américains. On a toujours souhaité avoir un accord sur le climat, sur les paradis fiscaux, sur la supervision bancaire, sur l’agriculture… Mais le mandat de négociation confié par les gouvernements européens à la Commission européenne ne reprend au fond aucun de ces sujets.

Cette négociation vise à harmoniser les normes pour faciliter le commerce des entreprises et accroître leur rentabilité et leurs profits; mais cela se fait au détriment de l’environnement, de la santé, ou du social. On l’a vu sur les OGM, sur les perturbateurs endocriniens… La Commission européenne recule devant ses obligations en matière de protection des citoyens. Malheureusement, ce traité se fait à l’avantage des multinationales, dans l’opacité, sans les citoyens; contre une partie des règles démocratiquement construites.

Le traité ne vise-t-il pas à aplanir les barrières commerciales afin d'encourager la croissance et l'emploi?
Le commerce est déjà libre entre les Etats-Unis et l’Europe. Les études commanditées par la Commission européenne donnent un gain de croissance annuel de 0,03%; c’est très peu. D'autres études prédisent 600.000 emplois détruits en Europe dont 130.000 en France. Entre l’impact social et les risques sur nos conditions de vies, ce traité tel qu’il se construit est un mauvais traité.

Le TTIP vise en fait à harmoniser les normes et les règles qui encadrent l’économie. Quand cela concerne des contraintes administratives excessives, des différences sur les pare-chocs ou les rétroviseurs d’une automobile, on a raison de trouver des normes communes. En revanche, lorsqu’il s’agit d’alimentation, d’environnement, de santé, de service public, de propriété intellectuelle, de protection des données personnelles, l’Europe et les Etats-Unis n’ont pas la même histoire, n’ont pas la même culture et donc n’ont pas les mêmes normes.

Manifestation à Berlin contre les tribunaux privés prévus par le TTIP. (Reuters/ Fabrizion Bensch )

Un des points les plus contestés est la mise en place de tribunaux d’arbitrage indépendants, capables de sanctionner les Etats. Selon vous cette justice privée représente-t-elle un danger?
Cette justice privée représente un immense danger. Elle incarne aujourd’hui la vraie logique de cette négociation. Déjà, des entreprises attaquent les Etats et demandent des milliards de dollars : Philip Morris, le géant du tabac, attaque en justice l’Australie car elle a adopté des paquets neutres pour les cigarettes, dans le cadre de sa politique de santé. L’entreprise Vattenfall, le géant de l’énergie en Suède, demande 4,7 milliards à l’Allemagne parce qu’elle a décidé de sortir du nucléaire après Fukushima.

On assiste à un transfert inacceptable de souveraineté démocratique vers les multinationales, une forme de privation de la justice rendue par des avocats d’affaires et non plus par des magistrats. C’est donc un grand danger pour la démocratie. L’Europe et les Etats-Unis ont des systèmes légaux robustes, il n’y a aucune raison d'accepter ces logiques d’arbitrage qui remettront en cause les justices nationales publiques.

Le vote consultatif du Parlement européen prévu le 10 juin 2015 a été subitement reporté. Le Parlement peut-il peser sur ces négociations très opaques?
Le Parlement européen, à la fin des négociations, aura le pouvoir de dire oui ou non à ce traité. Ce vote consultatif devait dire l’opinion de l'institution européenne. Le report du vote et l’annulation du débat montrent qu’il y a un certain sentiment de panique et de doute dans les grands groupes politiques du Parlement. Ce traité qui a recueilli un soutien très majoritaire il y a deux ans le divise aujourd'hui. Sur les tribunaux arbitraux privés, ou sur les normes, Il n’y a plus de majorité évidente pour soutenir le mandat de négociation.

C’est une bonne nouvelle pour les écologistes. C’est le résultat d'un débat qui a traversé la société civile. Les consommateurs, les syndicats, les ONG, les villes, les régions ont exprimé des critiques. S'il y a panique du côté de la grande coalition entre le PPE et les Sociaux démocrates, c’est que ce Parlement n’est pas imperméable au débat public. Ce traité concerne la vie quotidienne des Européens et des Américains. Il interroge notre capacité à faire des choix de société. C’est un traité majeur sur le projet européen et pour notre avenir. On souhaite garder cette capacité démocratique à décider, on ne veut pas la transférer à des firmes multinationales. 
 
 

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