Cet article date de plus de huit ans.

L'Amérique d'Obama : à Chicago, la violence et l'amertume

A cinq semaines de la présidentielle américaine, franceinfo s'est rendue à Chicago, ville d'adoption de Barack Obama, où la violence et les tensions raciales n'ont fait qu'empirer ces dernières années. Le reportage de Mathilde Lemaire, envoyée spéciale aux Etats-Unis.

Article rédigé par Mathilde Lemaire, Cécile Mimaut
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Comme un mémorial, un mur portant le nom des habitants du quartier Altgeld Gardens de Chicago, morts d'overdoses ou tués par balle. (MATHILDE LEMAIRE / RADIO FRANCE)

Après huit ans passés au pouvoir, le 44e président des États-Unis, et le premier afro-américain, s'apprête à quitter la Maison Blanche. Mathilde Lemaire, envoyée spéciale de franceinfo aux Etats-Unis, s'est rendue à Chicago, là où il y a 30 ans, le jeune Barack Hussein Obama II, alors âgé d'à peine 25 ans décidait de travailler comme travailleur social dans les quartiers défavorisés du sud de la ville. Un emploi qui l’a motivé à entrer en politique.

L'Amérique d'Obama : à Chicago, la violence et l'amertume - un reportage de Mathilde Lemaire

Pourtant, à Chicago, la présidence Obama laisse un goût amer. Au cours des deux mandats présidentiels, les tensions raciales se sont accentuées et les violences par armes à feu ont augmenté. 

Plus de 560 morts depuis le début de l'année

Certaines banlieues de Chicago vivent aujourd'hui au rythme des homicides. En témoigne ce triste décompte que l’on peut suivre en temps réel sur Twitter et sur le site du Chicago Tribune notamment, qui publie la carte des lieux de crime et le nom de chaque victime. Depuis le mois de janvier, 564 personnes ont été tuées dans la ville (bilan au 3 octobre 2016), plus qu’à New York et Los Angeles réunis. Un record depuis 20 ans. Des statistiques dignes d’une ville en guerre. Une guerre des gangs que la chaîne Fox 32 fait vivre elle aussi en direct avec les vidéos des fusillades, des interviews de mères en larmes ou de policiers sur les dents. 

La chaîne américaine Fox 32 se fait l'écho au quotidien de la violence à Chicago.  (FOX32CHICAGO.COM)

Ces drames ne se déroulent quasiment jamais dans le centre ni dans le nord de Chicago, jamais sur les jolies rives du lac Michigan. Dans 90% des cas, ils se passent dans les banlieues sud et ouest, là où vit la plus grosse concentration d’Afro-Américains de tous les Etats-Unis. Là aussi où Barack Obama a été travailleur social dans les années 80. Une zone que certains ici appellent "CHIRAQ", contraction de Chicago et d’Irak. Un surnom qui en dit long sur le niveau de violence.

Dans le district de Riverdale, Chanise, 51 ans, pousse dans une chaise roulante son fils Sam âgé de 20 ans. Lui est mutique. Elle en revanche, veut parler. "Moi, mon fils, mon bébé, on lui a tiré dessus, il avait seulement 16 ans. Il était à vélo et essayait d’échapper à des mecs qui voulaient qu’il rejoigne leur gang. Lui, il refusait. Il a pris trois balles dans le dos et dans l’estomac. Il lui reste une balle logée dans le dos. Il aura des douleurs toute sa vie", raconte-t-elle.

On ne fait pas des enfants pour les voir se faire tuer sans raison

Chanise, mère de famille

La guerre des gangs à Chicago a d'ailleurs inspiré Chi-Raq, sorti en 2015. Spike Lee situe l'intrigue de son film au cœur des quartiers défavorisés du Southside

Des quartiers où la violence se nourrit de la pauvreté

Obama président n’a pas œuvré plus que ses prédécesseurs contre ces gangs qui se partagent le marché de la drogue et se provoquent sur Facebook. Résultat, des vendettas et des balles perdues. Vendredi 30 septembre, le chauffeur d’un bus rempli d’enfants a été touché. Cet été, un bébé dans son siège auto a reçu une balle mortelle. Autant de personnes dont les noms se retrouvent inscrits sur des murs qui font office de mémoriaux dans ces quartiers où la violence se nourrit de la pauvreté. A Chicago, le chômage atteint 60% par endroits et les familles vivent souvent grâce aux bons alimentaires.

Problème : la majorité des meurtres ne sont pas résolus. Seuls 30% à 40% connaissent une suite judiciaire. La police ne patrouille même plus dans certaines zones où les armes pullulent, en provenance de l’Indiana voisin, État où se procurer un revolver est un jeu d’enfant. Alors le maire de Chicago, Rahm Emanuel, ami de Barack Obama, a décidé le 22 septembre de réagir, annonçant l’embauche de 1 000 policiers, en plus des 12 000 agents déjà en poste.

"Il a tout faux", commentent les travailleurs sociaux des quartiers de Chicago. "Le maire embauche 1 000 policiers. OK, mais ça ne marchera pas ! Il n’a pas compris que les zones où il y a la guerre des gangs ont surtout besoin d’investissements, de ressources. Ici, 54 écoles ont fermé. Il y a aussi tellement de jeunes qui sont sans abris. Des vétérans également sont à la rue, et on ferme des foyers d’accueil. Il y a un très gros problème, là !" réagit Carolina, organisatrice de communauté à Riverdale.

Un sentiment d'injustice alimenté par les bavures policières

Ces derniers mois, il a souvent été question de Ferguson et de Charleston. Mais la colère gronde aussi à Chicago. Surtout depuis qu’en octobre 2014, un policier a vidé son chargeur de 16 balles sur Laquan McDonald, un jeune homme noir de 17 ans non armé et qui gisait au sol. Il a fallu un an avant que les autorités publient la vidéo. A sa diffusion, en novembre 2015, des rassemblements sous tension ont eu lieu à Chicago. Le patron de la police a été renvoyé et le FBI a ouvert une enquête. 

Rassemblements sous tension à Chicago
Rassemblements sous tension à Chicago Rassemblements sous tension à Chicago

Eric Russel, de l’association Tree of Life Justice League of Illinois, dénonce une police "à la gâchette facile", corrompue et raciste. "On a le sentiment d’être du gibier, d’avoir une cible dessinée dans le dos. A chaque fois qu’un Noir sort, son risque de prendre une balle de la part d’un policier de Chicago est très élevé. On est très déçus ! On aurait aimé que le président déclare la criminalité à Chicago grande cause nationale ! Mais il ne l’a pas fait. C’est dur pour moi de dire ça. Moi qui étais si fier le jour où, il y a huit ans, un homme noir appelé Barack Hussein Obama est devenu président des États-Unis", constate-t-il, très ému.

C'est dur, mais je le dis : cet homme, Barack Obama, a échoué pour sa communauté et il a échoué pour sa ville

Eric Russel,
Tree of Life Justice League of Illinois

En 2008 certains ont cru qu’Obama allait purger le pays de ses inégalités raciales. Espoirs déçus. Obama a dit : "Il y a 35 ans j’aurais pu être Trayvon Martin", en référence à ce jeune Afro-Américain de 17 ans victime d'une bavure dans la soirée du 26 février 2012 à Sanford en Floride. Obama a aussi inauguré à Washington un musée de l’histoire afro-américaine. Mais ce ne sont que des symboles aux yeux de ceux qui ont lancé un nouveau mouvement des droits civiques, Black Lives Matter ("la vie des Noirs compte"). Pas de leader à la Martin Luther King, mais des dizaines de sections locales. Celle de Chicago organise chaque semaine des rassemblements. Comme devant le bureau du maire, où les Black Lives Matter réclament le CPAC, acronyme pour Civilian Police Accountability Council (comité citoyen de contrôle de la police.

Kofi, un militant de Black Lives Matter, poing levé, explique : "Aujourd’hui, vous avez le maire, le procureur, le conseil de police... toutes ces entités font tout pour s’assurer de l’impunité des policiers, même quand ils tuent des gens. On veut changer cette dynamique, déplacer le pouvoir, en créant un comité de citoyens élus auquel les policiers devront rendre des comptes dans chaque district. On pourrait ainsi établir de vraies règles concernant l’usage de leurs armes par les policiers. On gérerait leurs embauches et, s’il le faut, leurs licenciements."

Dans les quartiers riches, les habitants ont bien plus de contrôle sur leur police. Pourquoi pas dans les quartiers pauvres ?

Kofi, militant
de Black Lives Matter

Des militants du mouvement Black Lives Matter manifestent devant le bureau du maire de Chicago. (MATHILDE LEMAIRE/RADIO FRANCE)

Barack Obama a reçu à la Maison Blanche des militants de Black Lives Matter. Eux attendent maintenant Hillary Clinton, qu’ils espèrent voir succéder à Obama. La candidate démocrate, dans sa campagne, part clairement à la conquête des minorités.

2008 - 2016 : L'AMÉRIQUE D'OBAMA

Huit ans après la première élection de Barack Obama et un mois et demi avant celle de son successeur, franceinfo dresse le bilan des deux mandats du premier président noir des Etats-Unis. Reportages, analyses, invités, c'est à suivre mardi 4 octobre sur franceinfo. 

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