Hillary Clinton, la brillante politicienne qui n'arrivait pas à devenir cool
Depuis le début de sa vie publique, Hillary Clinton n'a jamais vraiment réussi à se faire aimer du grand public. Un drame personnel dont elle se sert aujourd'hui.
La scène se déroule à New York, mercredi 19 octobre, quelques heures avant le troisième et dernier débat entre les deux finalistes de l'élection présidentielle américaine. Un imposant véhicule s'arrête en pleine rue, à deux pas d'un studio d'enregistrement. La star du R'n'B Rihanna, 28 ans, en descend, provoquant l'agitation des paparazzi qui l'attendaient. Elle se fraye un chemin jusqu'au trottoir alors que les flashs crépitent, immortalisant sa tenue vestimentaire du jour : un t-shirt sur lequel figure un portrait d'Hillary Clinton, tout sourire, une casquette des Yankees sur la tête. Un vêtement, vendu 35 dollars (environ 32 euros) par une marque new yorkaise branchée. Un bout de tissu qui, en réalité, en dit long sur le parcours réalisé par l'ancienne secrétaire d'Etat.
D'accord, Hillary Clinton n'est pas encore présidente. Mais elle est devenue cool. Enfin, un peu plus cool. Un constat encore improbable pour beaucoup d'Américains il y a encore quelques mois. Retour sur le combat que mène la candidate contre sa propre image.
L'agaçante madame-je-sais-tout des Américains
Tous les portraits consacrés à Hillary Clinton convergent sur un point : dès l'enfance, mademoiselle Rodham est décrite comme incroyablement ambitieuse, intelligente et déterminée, rappelle The Washington Post. Avant de mourir, sa propre mère, citée par The Telegraph, reconnaissait dans une interview qu'elle se félicitait de voir sa fille faire preuve d'une "grande confiance en elle et d'une très haute opinion d'elle-même". Autant de traits de caractère plutôt utiles dans l'exercice de certaines fonctions, mais qui sont alors perçus comme "de la vanité", selon le terme choisi par une amie d'enfance.
Moquée en "Sainte-Hillary", elle apparaît ensuite moralisatrice et donneuse de leçon aux yeux des Américains qui la découvrent à la fin des années 80 au côté de Bill Clinton. Car depuis que le grand public la connaît, il n'a, semble-t-il, jamais aimé Hillary Clinton. A tel point qu'en 1996, la première dame faisait l'objet d'un portrait dans le New Yorker, sobrement intitulé "Haïr Hillary Clinton". "Comme la course hippique, détester Hillary Clinton est un hobby national, qui unit l'élite et les déshérités", y écrivait le journaliste. “Il paraît qu'il y a des gens à qui je rappelle leur belle-mère ou leur patron, ou quelque chose dans ce goût-là", réagissait la première dame d'alors, déjà bien au fait de son problème d'image.
"Ce qui frappe, c'est que les raisons qu'invoquent les gens qui la détestent sont à l'opposée de celles avancées dans les années 90", note Slate, en juillet. "A l'époque, [pour ses détracteurs] elle était une idéologue méprisante ; aujourd'hui, elle est une marionnette du système, corrompue. Elle était trop rigide, maintenant, c'est une girouette." "Sociopathe", "au-dessus des lois", "menteuse pathologique", sont des termes qui viennent à l'esprit des électeurs de 2016. Ceux qui voteront pour elle la disent "compétente". Mais sympa ? Jamais. Pourtant, des personnes qui l'ont côtoyée la décrivent volontairement comme "drôle" et "spontanée." Alors pourquoi ce malaise ?
En septembre, l'intéressée se pose elle-même la question lors d'une allocution de campagne. Tâchant de s'ouvrir un peu, elle confie s'être blindée, condition sine qua non pour s'imposer tout au long de sa carrière professionnelle, débutée à la fin des années 60. "Je ne peux pas en vouloir aux gens qui pensent que je suis froide", conclut-elle dans un discours.
De la glace à la classe
En 2000, elle est encore première dame quand elle entre dans la course au Congrès. Pour se faire élire sénatrice dans l'Etat de New York, elle se lance dans un long "tour d'écoute" dans le but de se familiariser avec les problématiques locales et, surtout, se montrer proche des Américains. Bref, plaire. Une nouvelle facette de sa personnalité se révèle alors aux électeurs et la candidate décroche le siège deux mandats d'affilée. Quand, en 2007, elle se lance dans la primaire démocrate, le New York Times salue ainsi "la transformation de son image", construite autour de son épatante capacité à écouter et à questionner l'Américain moyen. Le quotidien rapporte : "Elle enlace moins que Bill, mais quand elle le fait, elle l'accompagne d'un air-bisou sonore : 'Mmmmmmmmwwaaaaah.'" Cependant, elle ne parvient pas à décrocher l'investiture démocrate face à Barack Obama. Six mois plus tôt, ce jeune sénateur est pourtant infiniment moins connu qu'elle. Mais qu'est-ce qu'il est cool !
"Mettre son expérience en avant n'attire pas plus les électeurs aujourd'hui qu'en 2008, se désole le site Salon. Clinton ne devrait pas avoir à nous prouver qu'elle est assez cool pour être élue. Elle devrait mettre en avant la moins sexy et plus insaisissable des qualités : qu'elle est capable et prête à faire le job." Car "Hillary Clinton est bonne pour faire de la politique", rappelle le site, "mais elle n'a jamais excellé dans le showbiz", à la façon d'un Barack Obama. Lui a été le premier président à vanner en direct les hôtes des talk-shows, du plus grand public au plus audacieux.
Or, "Clinton sait comme le cool peut transformer une personnalité politique". Elle en a brièvement fait l'expérience en 2012. Quand une photo d'elle, concentrée et immergée dans son smartphone, lunette noire sur le nez, a déclenché une série de détournements appelés "Texts from Hillary", la secrétaire d'Etat a connu un inattendu pic de popularité.
Devenir elle-même ?
Au début de la campagne, Hillary Clinton se bat encore contre son image. En octobre 2015, son apparition sur le plateau de l'émission humoristique Saturday Night Live montre une candidate mal à l'aise dans l'exercice. En mars, elle accepte pourtant d'apparaître en icône féministe dans Broad City, une série branchée et délurée dans laquelle les deux héroïnes passent une bonne partie de leurs journées à fumer des joints devant leur webcam. Entre-temps, sa stratégie a changé : pourquoi ne deviendrait-elle pas elle-même ?
Quelques mois plus tard, elle s'assoit avec le comédien Zach Galifianakis sur le plateau de sa parodie d'émission "Between two ferns" et prouve une capacité insoupçonnée à l'auto-dérision quand il enchaîne blagues sexistes et autres références au scandale des e-mails. Dans le sketch, validé par l'équipe de campagne, Hillary Clinton se joue froide et hautaine. Bingo. C'est drôle.
Si souvent parodiée au fil des ans dans les "late shows" (les émissions de deuxième partie de soirée), elle a offert, au cours de cette campagne, sa propre parodie de ce personnage dont elle ne parviendra de toute façon jamais à se défaire.
Jouant à fond la carte de "l'executive woman", son équipe de campagne a même commercialisé des t-shirts moquant ces tailleurs stricts. Tirant bénéfice des moqueries et insultes dont elle fait l'objet, le camp Clinton assure une communication d'autant plus efficace que son adversaire, Donald Trump, n'a de cesse d'attaquer la démocrate. Quand il l'a qualifiée de "méchante femme", lors du débat de mercredi, les internautes eux-mêmes ont pris l'initiative de la défendre, en se réappropriant ce slogan, notamment via des t-shirts. Le message ? Elle est peut-être méchante, froide, ambitieuse et calculatrice, mais cela l'a menée aux portes de la Maison Blanche. Et ça, c'est plutôt cool, non ?
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