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Reportage "On va devenir un village fantôme" : dans l’Ohio, le charbon périclite malgré les promesses de Donald Trump

Article rédigé par Robin Prudent - Envoyé spécial à Conesville (Ohio)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
L'usine à charbon derrière le village de Conesville, dans l'Ohio, le 20 octobre 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

En 2016, le futur président américain promettait que le charbon resterait roi dans cet Etat ouvrier. En réalité, le déclin de l'énergie fossile s'est accéléré. Nous sommes allés à Conesville, où la fermeture de l'usine laisse place à la tristesse et à l'inquiétude.

Quand je revenais de vacances et que je voyais la fumée dans le ciel, je savais que j’arrivais à la maison." Jerry, 66 ans, fixe des yeux les trois cheminées géantes de l'usine à charbon située en face de sa terrasse. Pendant plus de 60 ans, une épaisse vapeur blanche a embrumé l'horizon de Conesville, un petit village de l'Ohio, dans le Midwest. Mais au printemps 2020, la centrale électrique a cessé de fonctionner. Le "retour du charbon" promis par Donald Trump quatre ans plus tôt n'est jamais arrivé.

Jerry, un habitant de Conesville (Ohio), le 19 octobre 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"Cette fermeture, c’est une chaîne infinie de catastrophes ici : pour les sous-traitants, pour les mines, pour les chemins de fer, pour les restaurants", souffle le retraité, engoncé dans son tee-shirt sur lequel on peut lire "America, Long Live Freedom" ("Amérique, vive la liberté"). Il faut dire que l'usine était le plus gros employeur du coin, avec, à son apogée, 600 salariés. "Des bons boulots, bien payés. On y entrait pour 30 ans à l'époque", raconte ce pilier du quartier.

"C’était comme une famille"

Dans le village, tout le monde conserve un souvenir nostalgique de l'usine. "Je me souviens surtout de l’amitié avec les collègues, c’était comme une famille proche", raconte Gary, 67 ans, dont la moitié passée à entretenir les machines de la centrale à charbon. "Pendant des années, je savais exactement quand avait lieu la rotation des postes en voyant le ballet des voitures dans les deux sens devant la maison", évoque Marge Donley, la maire de Conesville, qui habite dans la rue principale.

La maire de Conesville (Ohio), Marge Donley, le 21 octobre 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Tout le comté où se situe Conesville profitait alors des bons revenus engrangés par l'usine. Sa capitale, Coshocton, située à moins de dix kilomètres du village, rayonnait. "C'était une ville où l'on ne fermait même pas la porte de sa maison", décrit Paul, ancien mécanicien du site. "Lorsque j'ai intégré l'usine, c'était vraiment quelque chose de prestigieux. Mon père m'avait dit que je n'aurais plus jamais à m'inquiéter de quoi que ce soit désormais", se remémore le quadragénaire.

Les promesses de Trump

Retour quatre ans en arrière. En 2016, Donald Trump promet de faire perdurer cet eldorado, alors même que le charbon connaît déjà de graves difficultés. Casque de mineur sur la tête, le candidat milliardaire fait de l'avenir de cette industrie l'une des promesses phares de sa campagne. "Trump Digs Coal" (que l'on peut traduire par "Trump déterre le charbon") devient son slogan dans l'Ohio. Les habitants de cet Etat ouvrier jubilent et lui accordent une majorité de suffrages. Une victoire surprise et essentielle dans son ascension à la Maison Blanche.

Des pancartes "Trump Digs Coal" ("Trump déterre le charbon") lors de la convention républicaine, le 19 juillet 2016 dans l'Ohio. (JEFF SWENSEN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

L'année suivante, le tout nouveau président revient dans l'Ohio pour remercier ses électeurs... et faire de nouvelles promesses. "Laissez-moi vous dire, les gens de l'Ohio, ne vendez pas vos maisons, lance-t-il, bravache, face à la foule. Nous allons remettre nos mineurs au travail !" Mais derrière les discours flatteurs, les actes ne suivent pas. Au contraire.

Un déclin inexorable

Au milieu de l'année 2018, American Electric Power, propriétaire de la centrale de Conesville, fait une annonce fracassante (article en anglais) : l'usine fermera définitivement ses portes dès le printemps 2020, soit une décennie plus tôt que prévu. La raison ? Le coût de la mise aux normes de la centrale se révèle trop élevé. Surtout, le charbon n'est déjà plus rentable face à la concurrence.

L'usine à charbon de Conesville (Ohio), le 20 octobre 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Les habitants sont sous le choc. "C’était très rapide et abrupt pour les ouvriers et le village", explique Neil Waggoner, directeur de campagne de l'association écologiste Sierra Club. Dans ce contexte morose, Paul, mécanicien de l'usine pendant onze ans, est obligé de faire ses valises. S'il veut conserver son emploi, il doit déménager à 150 kilomètres de Conesville, pour rejoindre une autre centrale du groupe, située à la frontière avec la Virginie-Occidentale. D'autres sont envoyés jusqu'au Texas pour espérer rester dans le groupe quelques années de plus.

Dans tous le pays, le charbon creuse sa tombe, et les ouvriers broient du noir. "Conesville est emblématique de ce qu’il se passe dans l’Ohio, et l’Ohio est emblématique de ce qu’il se passe aux Etats-Unis", résume Neil Waggoner. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Depuis l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, 145 unités dédiées au traitement du charbon ont été mises à l'arrêt aux Etats-Unis, faisant baisser de 15% les capacités de production dans le pays, rappelle le New York Times (article en anglais). Au total, plus de 5 000 postes ont été supprimés dans cette industrie en quatre ans, soit 10% du total.

"C'était un jour triste"

A Conesville, la centrale à charbon éteint définitivement ses lumières le 31 mai 2020. "C'était un jour triste. Je m'en rappelle, il pleuvait des cordes, comme une métaphore de ce que les gens ressentaient", se remémore Jennifer Bush, la directrice du musée de l'histoire du comté, derrière son masque bleu accordé à son haut. Pour éviter de perdre la mémoire vivante de ce pilier de l'économie locale, son établissement expose désormais des objets apportés par d'anciens employés. Un bloc de charbon, protégé par des vitres en verre, est même conservé comme la relique d'une époque révolue.

Même les fameuses cheminées de l'usine, presque aussi hautes que le dernier étage de la tour Eiffel, vont être réduites en poussière dans les années à venir. "J’ai pris la route tous les jours en voyant ces grandes colonnes. C’est vraiment émouvant de les voir disparaître", lâche, Gary, retraité de l'usine. Sous sa casquette de football américain, il a bien du mal à cacher sa tristesse.

Gary, ancien employé de l'usine à charbon de Conesville (Ohio), le 21 octobre 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Perte sèche pour le village

Tout le comté semble aujourd'hui avoir perdu son énergie. "Vous avez vu ? La rue principale de Coshocton est à moitié déserte maintenant, de nombreux commerces ont fermé", fait remarquer Tyler, 66 ans, dont... 66 passées ici. C'est encore pire dans le petit village de Conesville. "On a vu la différence jusqu’au bureau de poste, explique Don, derrière le comptoir de l'US Mail. Ici, tous les ouvriers avaient leur boîte aux lettres pour régler leurs factures en sortant de l’usine. On était ouvert huit heures par jour, maintenant ce n’est plus que quatre." "Avec la fermeture de l’usine, on va devenir un village fantôme", affirme-t-il.

Don, postier de Conesville (Ohio), le 21 octobre 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

L'usine finançait de nombreuses infrastructures, jusqu'à une table de pique-nique ou une aire de jeux pour enfants. Dès lors, Marge Donley s'inquiète pour l'avenir d'autres établissements. "La fermeture de l'usine, c’est plus de 2 millions de dollars par an qui partent en fumée pour l'école" du district, explique notamment la maire. 

"Son mari est mort d'un cancer"

Les généreux dons du groupe énergétique lui assurent encore aujourd'hui une réputation presque sans faille. Rares sont les voix discordantes face au discours pro-charbon. "Je pêche dans la rivière qui passe juste en dessous de l’usine, et je n’ai rien eu de bizarre qui me pousse sur les bras", sourit Tyler, 27 ans, en jogging et santiags, avec sa fille de 3 ans dans les bras.

Tyler et sa fille, à Conesville (Ohio), le 19 octobre 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Toutefois, en creusant un peu, certaines langues se délient. Assis sur son rocking-chair, Jerry désigne du doigt les habitations de ses voisins, de l’autre côté de la rue : "Dans cette maison, son mari est mort d’un cancer. Dans celle-ci aussi, lance-t-il d'un ton grave. Le problème, c’est qu’on ne sait pas si c’est vraiment lié à l’usine ou pas."

Pour autant, des conséquences non négligeables sur l'environnement et la santé  ont été démontrées. Ainsi, plus de 42% des émissions de mercure des Etats-Unis proviennent des usines à charbon, selon un groupe américain indépendant de scientifiques (article en anglais). "Quand les usines brûlent du charbon, elles rejettent de petites particules composées d’un mélange de métaux, de produits chimiques et de gouttelettes d’acide dans l’air. Les plus petites particules (...) sont facilement inhalées par les humains, et peuvent se loger dans les poumons et passer jusque dans le sang", rappelle Sierra Club.

"Trump a essayé de faire quelque chose"

Face à ces risques, la colère commence à gronder. "La population demande des actions contre la pollution de l'air. A cela s'ajoute le fait que les énergies renouvelables deviennent moins chères. Le charbon subit donc une pression économique et publique très forte", explique Mary Anne Hitt, directrice nationale de campagne de l'association écologique. Ce n'est prêt de s'arrêter. Quelque 70 autres usines à charbon ont déjà annoncé leur intention de fermer durant la prochaine décennie.

Dans ce contexte, le volontarisme affiché par Donald Trump a été bien insuffisant. "On a vu son administration essayer de renflouer certaines usines, de déréguler les normes environnementales, mais cela a échoué au final", explique Neil Waggoner. De quoi faire perdre des électeurs au président républicain dans l'Ohio ? Pas si sûr.

Une pancarte en faveur de Donald Trump à Conesville (Ohio), le 20 octobre 2020. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"Trump a essayé de faire quelque chose pour conserver ces usines, salue Jerry, à quelques mètres de la centrale de Conesville. Obama, lui, voulait les détruire !" Dans le village, d'ailleurs, les pancartes "Trump 2020" sont bien plus nombreuses que celles en faveur de Joe Biden, quasiment inexistantes. "Nous avons besoin des énergies fossiles dans le Midwest, il n'y pas de débat", renchérit Gary, retraité du secteur et toujours fidèle supporter du président. Accoudé au comptoir de la poste, Don se met à espérer : "Les démocrates et les républicains devraient arrêter de se chamailler, ainsi ils pourraient peut-être sauver cette industrie."

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