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Présidentielle américaine : Trump a su parler aux "déclassés" pour qui "les promesses d'hier sont devenues des frustrations"

Le sociologue Louis Chauvel décrypte les frustrations d'un électorat populaire "sous tension", en Amérique comme en Europe. Et pour qui, aux Etats-Unis, Donald Trump est apparu comme une réponse.

Article rédigé par franceinfo
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Meeting de trump à Delaware, dans l'Ohio, le 20 octobre 2016. (TY WRIGHT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

L'élection de Donald Trump à la tête des États-Unis a montré les angoisses d'une partie de la société américaine, celle des classes moyennes inférieures qui souffrent du déclassement. Louis Chauvel, sociologue, professeur à l'Université du Luxembourg et auteur de La spirale du déclassement, était l'invité de franceinfo, jeudi 10 novembre. Il est revenu sur les conditions qui ont rendu possible l'élection de Donald Trump et "ce rêve américain qui s'est refermé."

Pour Louis Chauvel, cette situation dépasse largement les États-Unis. "Les sociétés post-industrielles font toute face à une difficulté de gestion des classes moyennes inférieures qui avaient connu une expansion extraordinaire dans les années 60-70 et qui depuis sont profondément sous tension", estime-t-il, ajoutant que "ces tensions sont une vraie menace pour la démocratie".

franceinfo : Le vote pour Donald Trump peut s'analyser comme un vote de colère de la part de la classe moyenne blanche inférieure. Peut-on dire qu'il s'agit aussi d'un vote d'espoir ?

Louis Chauvel : Oui, d'une certaine façon, un espoir un petit peu sombre. C'est le constat d'une, voire deux générations de difficultés croissantes pour la moitié inférieure de la société américaine. Notamment de la société américaine blanche. Dans les années 60, la société américaine avait connu un développement de la classe moyenne salariée, et même du haut de la classe ouvrière, qui a accédé à la voiture, qui a connu un développement extraordinaire de la société de consommation. Mais depuis une génération et demie, quasiment deux générations, ces salariés et ces ouvriers sont sur une pente très forte. Parmi les sources de frustration, il y a d'une part l'éducation, et d'autre part le logement. Aujourd'hui, il faut consacrer 25 000 dollars par an et par enfant pour faire des études supérieures et même, bien avant, pour être sélectionné dans une université. C'est extraordinairement cher ! Le deuxième motif de frustration, c'est le logement, et son acquisition. Avec la crise économique post 2008, un grand nombre de petits épargnants américains ayant acheté leur petite maison se sont retrouvés avec un bien qui valait un tiers de sa valeur, ou de ce que ça leur a coûté à la banque.

Ce sont ces Américains que l'on appelle les déclassés ?

Oui, c'est une part massive de la population aux États-Unis, comme dans d'autres pays. Les promesses d'hier sont devenues des frustrations. Les promesses d'hier, c'était plus d'éducation, une mobilité sociale ascendante et l'accès au logement, et tout ce que ça signifie en terme d'accès à la société de consommation. Et ce rêve américain s'est refermé sur la génération précédente, massivement. Les ouvriers américains [des générations qui ont suivi] pourraient voter à l'extrême gauche, ils pourraient trouver un Mélenchon local. Mais la réalité est tout autre. L'histoire de l'humanité montre que les classes moyennes inférieures frustrées ne sont pas forcément marxistes, ni les plus grands soutiens de l'extrême gauche.

Si on transpose la situation des États-Unis à la réalité française, arrive-t-on à la même conséquence, un vote populiste ?

Les tensions s'accumulent quels que soient les pays. Les sociétés post-industrielles font toute face à une difficulté de gestion des classes moyennes inférieures, qui avaient connu une expansion extraordinaire dans les années 60-70 et qui, depuis, sont profondément sous tension. Mais les conséquences de ces tensions qui s'accumulent peuvent être très différentes d'un pays à l'autre. Trump a bénéficié de sa condition de candidat radicalement nouveau dans l'offre politique américaine. C'était une façon de sortir de la boîte fermée dans laquelle l'électorat se trouvait depuis des années aux États-Unis. En France, on a une offre électorale très connue : rien ne sort de la boîte dans l'immédiat. Peut-être qu'Emmanuel Macron montrera quelque chose d'autre, mais il n'a pas le profil socio-politique [de Trump]. Ce que nous savons, c'est qu'entre un tiers et la moitié inférieure de la société française est sous tension et que les problèmes remontent par capillarité dans la pyramide sociale. Dans l'offre politique, je doute sincèrement des capacités de Jean-Luc Mélenchon. Et pour ce qui est de la famille Le Pen et du Front national, le nom du parti et ce nom de famille sont déjà connus depuis des générations. La question du renouvellement reste en suspens. 

Aux États-Unis, le parti démocrate a échoué à renouveler l'offre politique et à séduire cet électorat. C'est le même ressort en France, avec le vote ouvrier que ne capte plus la gauche ?

Le vote en général, et pas seulement le vote ouvrier, s'est libéré de l'association à tel ou tel parti qui prévalait dans les années 70. C'est devenu très fluctuant et les gens votent en fonction de leur dernière exécration. Les transformations de la valeur de l'éducation, du patrimoine, tout un ensemble de promesses d'avenir intenables, frustrent une partie croissante de la population. Ces tensions sont une menace pour la démocratie si des démagogues sont capables de faire monter la chantilly. Trump a réussi à faire monter cette chantilly et nous ne savons pas en France qui sera capable de faire monter une autre chantilly.

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