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Ecoles privées, grizzlis, conflits d'intérêts... La classe américaine selon Betsy DeVos, la ministre de l'Education de Trump

La nomination de la milliardaire a été confirmée de justesse, mardi. Franceinfo dresse le portrait de celle que les démocrates accusent déjà d'incompétence.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Betsy DeVos lors de son audition par le Sénat à Washington (Etats-Unis), le 17 janvier 2017. (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

Betsy DeVos a bien failli ne jamais faire partie de l'administration de Donald Trump. La nomination de la nouvelle secrétaire d'Etat américaine à l'Education a été confirmée de justesse par le Sénat, mardi 7 février. "Quand elle a été nommée, elle est apparue comme l'incarnation de tout ce que les gens reprochent aux réformateurs de l'éducation : blanche, privilégiée, riche et qui envoie ses enfants dans des écoles privées", estime la directrice d'un groupe de soutien à l'enseignement public, interrogée par The Atlantic (en anglais). Pourquoi Betsy DeVos a-t-elle concentré les critiques des démocrates et de l'opinion publique américaine, au point de gêner au sein même de son parti ? Franceinfo s'est penché sur la question.

Une milliardaire influente chez les républicains

Betsy DeVos est l'une des trois plus riches secrétaires d'Etat de l'administration Trump. Elle est l'épouse de Dick DeVos, le fils de l'industriel Richard DeVos, dont la richesse était estimée à 4,8 milliards d'euros en 2016. Soit la 88e fortune des Etats-Unis, selon le magazine Forbes (en anglais). Le couple formé par Betsy et Dick DeVos disposerait, lui, de 546 millions à 1,4 milliard d'euros, indique USA Today (en anglais). Le frère de la secrétaire d'Etat, Erik Prince, a également amassé un joli pactole grâce à la société militaire privée Academi, anciennement connue sous le nom de Blackwater. La firme de cet ancien Navy Seal et agent de la CIA a fait l'objet d'une vive polémique en 2007, après le meurtre de 14 civils en Irak, rappelle Le Monde.

Les DeVos ont largement utilisé leur fortune pour soutenir les causes politiques qui leur tiennent à cœur. La secrétaire à l'Education a ainsi déclaré qu'il était "possible" que sa famille ait versé jusqu'à 187 millions d'euros aux Républicains au fil des ans, note Forbes (en anglais). Mais cette apparente générosité a un prix. "Nous attendons certaines choses en retour", a-t-elle concédé en 1997, selon Cosmopolitan (en anglais).

Cet aveu gêne ses détracteurs, car la républicaine a soutenu les campagnes électorales de 17 sénateurs parmi ceux qui se sont prononcés sur sa nomination, indique Politico (en anglais). Quatre d'entre eux se trouvaient même au sein de comité sur l'Education chargé de superviser sa confirmation. "Pensez-vous que, sans ces donations, vous seriez devant nous aujourd'hui ?", s'est inquiété le sénateur indépendant Bernie Sanders, lors de l'audition de Betsy DeVos par le Sénat, le 17 janvier.

Armer les écoles contre les ours

Cette attaque n'est pas uniquement liée à la question sensible de l'influence de Betsy DeVos sur les hommes politiques. La républicaine a été l'auteure de l'une des pires prestations devant la commission du Sénat chargée de confirmer les nominations au gouvernement. Un exemple ? Elle a d'abord affirmé qu'il fallait "laisser le choix aux Etats" d'appliquer une loi fédérale sur les besoins des élèves handicapés, alors qu'elle devra défendre le texte en tant que secrétaire à l'Education. Elle s'est ensuite rétractée, expliquant avoir "mal compris" la question, note Five Thirty Eight (en anglais).

Les sénateurs écoutent Betsy DeVos lors de son audition de confirmation à Washington (Etats-Unis), le 17 janvier 2017. (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

Elle a également semé le trouble parmi les sénateurs lorsqu'elle a eu des difficultés à différencier les notions de "progrès" et de "résultats". Ces deux critères sont pourtant au cœur d'un débat sur la manière d'évaluer le niveau des écoles américaines depuis plusieurs années.

Les inquiétudes des démocrates ont atteint leur pic lorsque Betsy DeVos a exposé sa position sur le port d'armes dans les écoles en évoquant... des ours. La républicaine a pris l'exemple d'établissements ruraux qui pourraient avoir à se défendre contre des grizzlis, laissant certains sénateurs ahuris.

"La moins qualifiée d'un gouvernement historiquement peu qualifié"

En multipliant les erreurs, Betsy DeVos a conforté les démocrates et une partie de l'opinion publique dans l'idée qu'elle n'avait pas les compétences pour son poste. Les permanences de certains sénateurs ont vu leurs lignes saturées par les appels de citoyens incrédules après avoir vu l'audition de la future secrétaire d'Etat, rapporte Politico. Des dizaines d'électeurs ont demandé à leurs représentants d'empêcher sa nomination, inquiets pour l'avenir de leurs enfants. Des centaines d'autres ont manifesté devant le Capitole, lundi 6 février.

Des opposants à la nomination de Betsy DeVos à l'Education manifestent à Washington (Etats-Unis), le 6 février 2017. (MARIO TAMA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

"Elle est la moins qualifiée dans un gouvernement historiquement peu qualifié", a abondé le chef du groupe démocrate, Chuck Schumer. La sénatrice démocrate du Massachusetts a, de son côté, souligné que la républicaine n'avait jamais dirigé de banque, ni supervisé un programme financier, ni même contracté un prêt étudiant. "En tant que secrétaire à l'Education, Betsy DeVos devra gérer un fonds de prêts étudiants de plusieurs milliards de dollars, a noté Elizabeth Warren, citée par CNN (en anglais). Elle n'a aucune expérience dans ce domaine. (...) Je ne vois pas comment elle pourrait être secrétaire à l'Education."

Encore plus inquiétant : Betsy DeVos n'a aucune expérience dans le domaine de l'enseignement public. "Elle n'a jamais dirigé, enseigné, été en cours ni même envoyé l'un de ses enfants dans une école publique", s'émeut le New York Times (en anglais) dans son édito du 7 février.

Réformer l'école publique au profit du privé

Betsy DeVos défend le système d'éducation privée, où elle a effectué toute sa scolarité, détaille le New Yorker (en anglais). Elle explique vouloir promouvoir "le droit des parents à choisir la meilleure éducation pour leurs enfants". Cette éducation est, selon elle, dispensée dans les "charter schools", des écoles privées à financement public pratiquement indépendantes du gouvernement. Le couple DeVos a milité et financé le développement de ces établissements dans son Etat d'origine, le Michigan, depuis les années 1990.

La nouvelle secrétaire à l'Education promeut également le système de "chèques éducation" permettant aux parents de financer la scolarisation de leurs enfants à domicile ou dans des écoles privées. Selon une enquête du Detroit Free Pressles contribuables du Michigan payent pour ces "vouchers" à hauteur de 934 millions d'euros par an.

Les résultats de cette politique sont largement décriés par le New York Times (en anglais). "Le Michigan est l'un des pires exemples pour affirmer que le choix [des parents] a permis une meilleure éducation, assure le quotidien américain. Alors que l'Etat a adopté (...) les 'charter schools' durant les deux dernières décennies, il a chuté au classement national des examens de lecture et de mathématiques. La plupart des 'charter schools' ont des résultats inférieurs à la moyenne de l'Etat."  Des conclusions inquiétantes alors que Betsy DeVos entend promouvoir ce système d'éducation au niveau national. Mais le projet a séduit Donald Trump, qui avait promis durant sa campagne de réallouer 18,6 milliards d'euros de fonds fédéraux au développement des écoles privées.

Betsy DeVos et Donald Trump lors d'un meeting à Grand Rapids (Michigan, Etats-Unis), le 9 décembre 2016. (DREW ANGERER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Des conflits d'intérêts assumés

Mais sa foi dans les écoles privées n'est pas ce qui inquiète le plus. La républicaine s'expose, avec ses nouvelles fonctions, à plusieurs conflits d'intérêts potentiels. Le quotidien conservateur The Hill (en anglais) évoque ainsi son "incapacité à atteindre ne serait-ce que les prérequis minimums" sur le plan éthique.

Betsy DeVos compte, par exemple, continuer à investir dans la compagnie Neurocore durant son mandat. The Hill estime cette décision reviendrait à "promouvoir" les produits de cette compagnie en tant que secrétaire à l'Education. Problème : Neurocore développe des traitements contre la dépression, l'autisme ou l'hyperactivité, notamment destinés aux enfants. Les méthodes de la compagnie seraient "discutables" et l'efficacité de ces traitements loin d'être prouvée, selon des experts médicaux interrogés par le New York Times (en anglais)

Autre point épineux : son rôle au sein de la Fondation Edgar et Elsa Prince, créée par ses parents. L'organisme a soutenu financièrement de nombreux groupes anti-LGBT, selon le quotidien conservateur. Lorsque les sénateurs ont interrogé Betsy DeVos à ce sujet, elle a affirmé ne jamais avoir été impliquée dans cette fondation. Son nom figure pourtant sur des comptes-rendus de séances où elle apparaît comme "vice-présidente", note Quartz (en anglais). "C'est une erreur administrative", répond Betsy Devos. "Une erreur qui a quand même duré dix-sept ans", relève The Hill.

"Elle va faire quelque chose de radical"

Toutes ces inquiétudes et critiques n'ont pas suffi à faire plier la Maison Blanche. La nomination de Betsy DeVos a été validée de justesse, mardi 7 février. Deux républicaines se sont, en effet, opposées à sa nomination. Les sénateurs se sont du coup trouvés partagés : 50 ont voté pour, 50 contre. Le choix de Donald Trump n'a été approuvé que grâce au vote du vice-président, Mike Pence, qui a dû départager la chambre pour la première fois de l'histoire américaine.

Betsy DeVos prête serment face au vice-président Mike Pence à Washington (Etats-Unis), le 7 février 2017. (ANDREW HARRER / DPA / AFP)

Quelles seront les premières décisions de Betsy DeVos ? La nouvelle secrétaire d'Etat à l'Education n'a pas donné beaucoup de détails sur sa feuille de route. Mais pour ses détracteurs, cette nomination signe le déclin d'un enseignement public déjà moins performant que ceux des autres pays occidentaux. "Il y a tous les signes qu'elle va faire quelque chose de radical, avertit un ancien membre du comité de la Chambre des représentants sur l'éducation, interrogé par le New York Times (en anglais). [Donald] Trump n'aurait pas nommé cette femme à ce poste s'il ne comptait pas faire quelque chose de radical."

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