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Le Tea Party : un mouvement «blanc, masculin, identitaire»

Grâce à l’influence de sa quarantaine d’élus (républicains) au Congrès, le Tea Party a complètement bloqué le système politique américain pendant plusieurs semaines à l’automne 2013. Mais en quoi consiste exactement ce mouvement ? La réponse de Pap Ndiaye, professeur d’histoire nord-américaine à Sciences-Po.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un sympathisant du Tea Party brandit un panneau demandant que l'on cesse le financement public de la réforme de santé du président Obama («Obamacare») devant le Capitole, siège du Congrès à Washington, le 10 septembre 2013. (Reuters - Jonathan Ernst)
Comment définir le Tea Party, dont le nom fait référence à la Boston Tea Party, mouvement des colons américains contre la couronne britannique en 1773 ?
La référence historique est évidente. Le Boston Tea Party est évidemment un élément fondateur de la révolution américaine. C’était de fait une révolte fiscale. Aujourd’hui, le Tea Party place les éléments anti-fiscaux au cœur de sa problématique : il dénonce un Etat Léviathan qui percevrait trop d’impôts. L’affaire de Boston devient ainsi une référence mythique.

Le mouvement est né en 2009 dans le sillage du plan de relance, d’un montant de 800 milliards de dollars, adopté par l’administration Obama pour aider l’économie et la finance américaines. Il s’appuie sur les travaux d’un théoricien ultralibéral comme Hayek. Mais derrière, il n’y a aucune innovation idéologique. Comme ceux qui critiquaient le New Deal dans les années 30, il s’agit d’un mouvement ultraconservateur. Lequel dénonce un Etat trop gros qui sucerait le sang des citoyens et empêcherait l’économie de libre marché de résoudre les problèmes. Il est résumé par la fameuse phrase de Reagan en 1981 : «Dans la crise actuelle, l’Etat n’est pas la solution à notre problème, l’Etat est le problème».
 
Il y a une parfaite continuité historique depuis le New Deal : un discours réchauffé sur l’Etat trop gros, contre l’Etat-providence. Lequel soutiendrait une partie de la population vivant de l’assistance, ce qui entraînerait des dépenses très importantes. Pour ses partisans, l’Obamacare, la réforme de santé du président américain, désavantagerait la «vraie» Amérique, celle qui travaille.

Le président des Etats-Unis, Barack Obama, défendant sa réforme de la santé (Affordable Care Act) à Largo (Maryland) le 26-9-2013. (Reuters - Kevin Lamarque)

Quelle est la particularité du Tea Party?
D’un point de vue sociologique, c’est un mouvement presque exclusivement blanc, à dominante masculine, de classes moyennes avec une partie de la classe supérieure (médecins, avocats…), des gens à l’aise. Dans le même temps, il a une dimension raciste. En s’opposant aux impôts, il dénonce l’Etat au service des autres, celui qui servirait la «welfare queen», la «reine des allocs», la mère noire célibataire vivant des prestations sociales grâce à ses nombreux enfants.
 
Pour ses membres, Barack Obama est une obsession : ils le critiquent avec une violence inédite, rarement atteinte dans le passé. Pour eux, il est illégitime à la Maison blanche. Tout cela est teinté d’une forte dimension émotionnelle, qui résiste à l’argumentation et au débat politique rationnels. Quand on demande aux membres du Tea Party s’ils sont racistes, ils répondent évidemment que non. Mais tout dans leur manière de vomir Obama est lié à sa couleur de peau.
 
Ils refusent de voir les évolutions en cours aux Etats-Unis, notamment au niveau démographique. De ce point de vue, le mouvement est un repli identitaire face aux changements profonds de la société américaine. Il refuse ainsi la loi sur l’immigration proposée par Barack Obama. Dans le même temps, c’est ce qui le condamne : il défend une société vieillissante et le monde des petites villes.

De fait, ce n’est pas un mouvement national. C’est une nébuleuse qui entend favoriser une recomposition politique au niveau local, faisant ainsi l’économie de la conquête de l’Etat fédéral. Son objectif n’est pas la présidentielle. Ses sympathisants veulent une force de pouvoir très décentralisé, marginalisant ainsi Washington.
 
Ils refusent de se construire en parti. Ils préfèrent pratiquer l’entrisme au sein du Parti républicain où ils se sont installés, un peu comme un coucou dans le nid d’un autre oiseau. Ils peuvent ainsi exercer leur influence. C’est très bien calculé car le système politique américain, bipartisan, ne permet pas l’émergence d’une troisième force. Ils représentent ainsi l’extrême droite au sein du Parti républicain.

Une réunion de sympathisants du Tea Party à Washington le 24-3-2012. (Reuters - Jonathan Ernst)

Dans ce contexte, on assiste à une bagarre très violente à l’intérieur de cette formation. D’un côté, il y a l’élite républicaine modérée, très proche du monde des affaires, ce qu’on appelle parfois le «parti des chambres de commerce». De l’autre, il y a les sympathisants du Tea Party, qui n’ont que mépris pour les premiers, et dont le programme est de démanteler l’Etat fédéral. Depuis 2010, ils l’ont emporté face aux premiers dans certaines primaires. Les élites ont senti passer le vent du boulet. L’exemple type de ces patriciens menacés, c’est l’ancien candidat contre Obama en 2012, Mitt Romney, héritier d’une dynastie centriste : quand il était gouverneur du Massachussets, il a mis en place une réforme de santé proche de l’Obamacare, il n’est pas opposé à l’avortement. Résultat : il a eu fort à faire pour s’imposer dans son camp.

Comment ce conflit interne peut-il évoluer ?
Il y a plusieurs hypothèses. La première est que l’élite du Parti républicain limite l’influence du Tea Party. Il lui faudrait alors se recentrer, recoller aux évolutions de la société américaine et courtiser l’électorat perdu : hispanique, jeune urbain, moderne, qui n’est pas effrayé par la mondialisation. Seconde hypothèse : le parti s’aligne sur les thèses du Tea Party.

Mais dans cette perspective, son handicap est de ne pas avoir de dirigeant charismatique. Je pense qu’au final, les républicains vont se recentrer pour rester dans une logique de reconquête du pouvoir à Washington. 

L’intransigeance du Tea Party a entraîné les Etats-Unis au bord du shutdown. Cette affaire n’est-elle révélatrice d’une crise du système politique américain dans son ensemble ? 
De fait, celui-ci est aujourd’hui complètement paralysé. Il faut voir qu’il s’agit d’un système fondé sur le compromis et la négociation. Au Congrès, des majorités de circonstance se forment entre républicains et démocrates pour régler tel ou tel problème.
 
Evidemment, le Tea Party a bouleversé la donne. Ses membres refusent le compromis et disent non à tout. Leurs élus, qui ne vont pas dîner en ville et ne jouent pas au golf comme les autres membres du Congrès, sont fermés à toute négociation. Leur objectif est de casser la baraque. A leurs yeux, le shutdown aurait permis de montrer l’inutilité de l’Etat.
 
Pour autant, cela ne veut pas dire que les institutions américaines ne vont pas savoir s’adapter. Car, finalement, ce système, mis en place par une Constitution rédigée au XVIIIe siècle, n’a pas si mal marché. Il s’est montré plutôt stable. Alors qu’en France sur la même période, on a connu 15 textes constitutionnels !
 
Trois des «pères fondateurs» de la nation américaine, Benjamin Franklin (à gauche), John Adams (au milieu) et Thomas Jefferson (debout à droite), en train de rédiger la Constitution des Etats-Unis d'Amérique. D'après un tableau de J.L.G. Ferris. (AFP - Photo12 - Ann Ronan Picture Library)

D’une manière générale, c’est vrai que l’on assiste aujourd’hui à un repli de la puissance américaine, contrairement à ce qui passait du temps de Bush. Les Etats-Unis se sont retirés d’Irak, quittent l’Afghanistan. Ce qui n’est d’ailleurs pas pour déplaire au Tea Party, très isolationniste !
 
Mais en même temps, les Américains sont partie intégrante de la mondialisation. L’immigration reste très importante aux Etats-Unis : les Asiatiques viennent d’ailleurs maintenant en plus grand nombre que les Hispaniques. On estime par ailleurs qu’entre six et neuf millions d’Américains (sur un total de 300 millions) vivent à l’étranger. Alors, c’est vrai, il y a incontestablement une crise. Le pays est tiraillé entre un courant de repli qui agite des peurs et une population plus ouverte sur le reste du monde. Mais je ne m’aventurerais pas à parler de crise terminale !

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